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23/02/2007
Chronique Livres

Un hymne à l’adolescence

(MFI) Wilfried N’Sondé, né au Congo, propose sous le titre Le Cœur des enfants léopards un premier roman puissant et inventif, avec pour décor l’univers tragique de la banlieue parisienne.


En présentant, il y a deux ans, le numéro d’été de la revue Notre Librairie (rebaptisée aujourd’hui Cultures Sud) consacré aux Plumes émergentes, son directeur Jean-Louis Joubert évoquait la vitalité de la génération montante d’écrivains africains et l’attrait des jeunes auteurs pour la poésie. « La pratique de la poésie accompagne souvent celle de la prose », écrivait-il. A tel point que la frontière entre prose et poésie s’estompe dans leurs écrits et le lecteur a l’impression de se retrouver devant des narrations scandées par la percussion des voix interrogeant désespérément le silence et la nuit. Le roman de Wilfried N’Sondé Le Coeur des enfants léopards, paru le 2 février dernier, appartient à cette famille de récits poétiques. Dans une langue à la fois baroque et intime, il met en scène une histoire sombre d’amour, de folie et de trahison, portée par des évocations quasi-incantatrices de l’Afrique ancestrale et surtout de la banlieue parisienne où le narrateur a grandi, sous le regard équivoque des fétiches de béton et goudron. « Trois petits anges, deux garçons noirs, une fille blanche, voleurs et rieurs, courent une dernière fois vers le terrain vague qui borde la route nationale. Ils planent un peu entre les bâtiments et les rails, puis s’évanouissent à jamais. »

Un lieu d’apprentissage du monde, de ses beautés et de ses cruautés

Le récit s’ouvre sur une cellule de dégrisement d’un commissariat parisien où le jeune héros est en garde à vue. Il est accusé du meurtre d’un policier. Entre deux séances d’interrogation musclée, l’accusé évoque son passé, ses parents, son ami d’enfance Drissa qui depuis belle lurette a sombré dans la folie et surtout la belle Mireille qui fut sa protectrice, son amante et son unique lien avec « les sources palpitantes de la vie ». Arrivé en France à l’âge de trois ans, il n’en a pas connu que les ghettos et le racisme. La banlieue de la région parisienne où il a grandi a été pour lui un lieu d’apprentissage du monde, de ses beautés et de ses cruautés, d’amitiés, de compagnonnages et de la découverte de la sensualité avec Mireille. Les deux se sont connus à la maternelle et depuis ils ont fait les 400 coups ensemble, partageant secrets, déceptions et triomphes. Ils ont voyagé ensemble dans des pays lointains et peut-être même rêvé de grand amour. Mais aventurière dans l’âme, se sentant à l’étroit dans l’univers de la banlieue où les échecs s’entassent sur de nouveaux échecs, Mireille décide de couper ses liens avec le passé. Une décision lourde de conséquences pour Wilfried. Le monde s’effondre pour lui le jour où dans un café de la place de Châtelet elle lui annonce qu’elle va devoir le quitter pour s’en aller loin, pour vivre sa vie. « J’entendis au fond de moi une bête hurler à la mort. »
Dans sa cellule, en attendant une nouvelle séance d’interrogation, Wilfried se souvient aussi de son père, « l’ancêtre, fier et exubérant dans son costume bleu foncé », qui a tenté d’inculquer à ses enfants les valeurs de la fierté, de l’intégrité et du courage. « N’oublie pas l’histoire, d’où tu viens, où tu vas, rappelle-toi toujours la brousse, la jungle, les léopards, nos esprits qui appellent et agissent jusqu’au-delà des chaînes de la servilité. » Pour les impressionner, il leur montrait parfois, en levant sa chemise, « la tache brune clair imprimée sur sa peau, au niveau des reins », là où un léopard noir et féroce l’avait un jour léché, signifiant son intégration dans la tribu. Il y a quelque chose de cette épreuve initiatique dans le parcours du narrateur qui cherche désespérément son léopard à lui qui viendrait lécher sa cicatrice et donner un sens à sa vie.
Ce récit est un hymne à l’adolescence, à la banlieue qui peine à proposer une vie décente à ses jeunes. Il y a du Grand Meaulnes et du Bateau ivre dans ce texte sombre et lyrique d’une centaine de pages, qui incarne à travers la descente aux enfers de son héros « avec la gueule à ne pas être comme les autres », le naufrage annoncé de toute une génération.

Tirthankar Chanda


Le Coeur des enfants léopards, par Wilfried N’Sondé. Collection « Afriques », Edition Actes Sud, 141 pages, 15 euros.



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