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14/10/2008 | |||
A la recherche du véritable Gandhi | |||
(MFI) Adoré par ses compatriotes, admiré dans le monde entier pour sa pensée de la non-violence, l’Indien Gandhi est une des plus grandes figures du 20e siècle dont le sourire éclaire notre humanité. Mais qui était vraiment Gandhi ? Les biographies nombreuses et confites en admiration excessive empêchent de connaître la vérité de l’homme, ses ambiguïtés et ses faiblesses. Tel est le point de départ de la biographie de mille pages qu’a consacrée à Gandhi son petit-fils, avec pour ambition de dévoiler la véritable histoire de ce grand-père à la fois hors du commun et profondément humain. | |||
Il y a soixante ans, en janvier 1948, disparaissait Gandhi. Par un après-midi frisquet de l’hiver nord-indien, l’apôtre de la non-violence est tombé sous les balles de son assassin hindouiste, au moment où il se rendait à sa séance de prières publique et quotidienne. Après deux siècles de colonisation, l’Inde venait d’accéder à l’indépendance, mais se trouvait encore au cœur du cyclone déclenché par sa partition sur des bases religieuses. Hindous et musulmans s’entretuaient dans une frénésie qui menaçait de ramener ce pays plurimillénaire à l’âge de pierre. La mort sacrificielle de l’homme qui fut paradoxalement le principal artisan de la résistance anticoloniale indienne, marque la fin de ce cycle de violences et l’entrée de l’Inde dans une ère de liberté et de reconstruction. Tout au long de cette année anniversaire, les Indiens ont célébré le souvenir de ce martyr dont le visage est aujourd’hui partout, sur les calendriers, sur les billets de banques, sur les timbres, sur les posters qui ornent les murs des villes et des villages. Père de la nation pour les Indiens, Gandhi incarne aussi une figure morale incontournable dont la lutte non-violente contre le pouvoir britannique et continue d’inspirer les résistants du monde entier, engagés dans des combats à mort contre des pouvoirs apparemment inébranlables. Mais sait-on qui était vraiment Gandhi ? Comment cet homme timide et gauche, que rien ne prédestinait à cette fortune mondiale, a su galvaniser 300 millions d’Indiens et libérer son pays de l’emprise coloniale, avec pour seules armes son sourire édenté et son refus de répondre à la violence par la violence ? « Malgré, ou peut-être à cause de son renom, l’homme lui-même est relativement méconnu », écrit Rajmohan Gandhi, petit-fils du grand Gandhi qui vient de consacrer à son ancêtre une biographie magistrale de près de mille pages, dont l’ambition est d’arracher l’homme Gandhi à sa carapace de mythes et de métaphores afin de « dresser un tableau candide et complet de son existence ». Dans sa jeunesse, Ghandi était un fervent adepte de la violence Cette existence commence en 1869. Gandhi est né à Porbandar, une ville portuaire, au nord de Bombay. Sa famille appartient à la caste des commerçants. Son père est un notable, Premier ministre de la principauté locale. Sa mère est illettrée, comme le sont la plupart des femmes indiennes de l’époque. Pourtant, c’est elle qui, à la mort du père, poussera son fils à partir en Angleterre pour poursuivre ses études de droit. A Londres, puis en Afrique du Sud où il s’installe après ses études et s’illustre en dirigeant des campagnes de désobéissance civile pour améliorer le sort des travailleurs indiens émigrés, le jeune Gandhi prend conscience de son destin et décide de consacrer sa vie à la lutte pour la libération de son pays. Sensible très tôt à la folie d’opposer la violence à la formidable force de frappe du colonisateur, il érige la non-violence en règle de vie et outil de lutte efficace contre le pouvoir. Pour Rajmohan Gandhi, ce sont ses lectures de Tolstoï et d’autres penseurs pacifistes occidentaux, ainsi que son expérience de la lutte désastreuse des Zoulous contre la superpuissance britannique qui ont incité son grand-père à embrasser la non-violence. Or, dans l’esprit à la fois rationnel et mystique de son aïeul, rappelle l’auteur, cette pratique de la non-violence a toujours été étroitement associée à une discipline personnelle de chasteté et de purification de soi. L’un des événements fondateurs de la vie de Gandhi concerne ses relations conjugales. Selon la pratique de l’époque, il est marié à l’âge de 12 ans à Kasturba, une jeune fille de sa caste. Deux ans après son mariage, son père tombe très gravement malade. C’est Gandhi qui le soigne, quittant rarement la chambre du père agonisant. Pourtant, la nuit où son père décède, le jeune Gandhi se trouve dans le lit de sa ravissante épouse, en train de lui faire l’amour. Toute sa vie, il regrettera d’avoir abandonné son père pour satisfaire ses besoins charnels. D’où son obsession de la chasteté, qu’il imposera à son épouse après la naissance de leur quatrième fils. D’où aussi, sans doute, son attitude pour le moins atypique à l’égard de la sexualité qui le conduira, au cours des dernières années de sa vie, à faire allonger des jeunes femmes à côté de lui « pour mettre sa propre chasteté à l’épreuve » ! Sous la plume du petit-fils, la sexualité trouble du grand-père devient une métaphore, celle des nombreuses faiblesses personnelles et morales que l’homme Gandhi va devoir maîtriser et surmonter pour s’ériger en « Mahatma », la grande âme. L’une de ces faiblesses, selon les propres affirmations de Gandhi, c’était la haine et la violence dont son esprit était empli dans sa jeunesse et dont la lecture de Tolstoï le sauva : « Lorsque je suis parti en Angleterre, j’étais un fervent adepte de la violence. J’avais placé toute ma foi en elle et aucune dans la non-violence. » Rajmohan Gandhi dévoile également les relations difficiles que son grand-père entretenait avec ses proches, leur imposant parfois un style de vie trop austère et trop excentrique qui aura un effet dévastateur sur son fils aîné Hiralal. Celui-ci se convertira à l’islam pour défier son père, avant de sombrer dans l’alcoolisme. On apprend également dans les pages de cette imposante biographie que Gandhi empêcha son second fils d’épouser une musulmane au prétexte que l’avenir des couples multiconfessionnels risquait d’être hasardeux. Il est vrai que le défenseur des intouchables et de l’union entre les hindous et les musulmans n’était pas à une contradiction près. L’une des plus importantes révélations de ce livre est sans doute l’attirance que Gandhi éprouva à l’âge de cinquante ans pour une des femmes indiennes les plus accomplies de son époque. Saraladevi, la nièce de l’écrivain Tagore, que Gandhi rencontra en 1919 au hasard de ses déplacements à travers l’Inde, était une femme de grande culture. Frustré dans sa vie personnelle, Gandhi s’était laissé subjuguer un temps par la beauté et l’intelligence de cette femme hors du commun avant de se ressaisir. Cet égarement bref est, au dire même de l’auteur de Gandhi, sa véritable histoire, exemplaire de la fragilité de ce grand homme qui a souvent été tenté par l’abîme de sa propre humanité mais a su s’en éloigner à temps pour incarner la conscience d’un siècle et conduire son pays à la liberté. Gandhi. Sa véritable histoire par son petit-fils, par Rajmohan Gandhi. Traduit de l’anglais par François Jaouën. Editions Buchet-Chastel, 951 pages, 36 euros. | |||
Tirthankar Chanda | |||
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