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25/08/2009
Obama, l’héritier de la pensée césairienne?


(MFI) Le dernier numéro de la revue Présence africaine a mis à l’honneur deux figures emblématiques du monde noir contemporain : Aimé Césaire et Barack Obama. A travers son dossier principal intitulé « Nouveaux horizons politiques », la célèbre revue publiée à Paris explore les rapports de « filiation et de continuité » entre le père de la négritude et le chantre de l’Amérique post-raciale.

Césaire, Obama, même combat ? C’est la question rhétorique que pose la revue Présence Africaine dans sa dernière livraison consacrée à deux phénomènes poético-politiques qui ont marqué l’année 2008 : la disparition d’Aimé Césaire, le 17 avril, et l’élection, le 5 novembre, de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis.
Rappelant combien cette coïncidence entre la mort du père de la négritude et l’émergence d’une pensée post-raciale avec l’élection par les Américains de leur premier président noir est riche de sens, le rédacteur en chef de la célèbre revue de la rue des Ecoles (Paris) écrit : « de Césaire à Obama, il s’établit une sorte de filiation et de continuité dont il faut mesurer l’importance et interroger les implications au regard du rapport de la culture au politique ».

A tout rééquilibrage, il y a un préalable culturel

Cette filiation réside aux yeux de Romuald Fonkoua essentiellement dans la proclamation par les deux protagonistes (Césaire et Obama) de la primauté de la culture. Lors d’un discours qu’il avait prononcé en 1987 à l’université internationale de Floride, à Miami, Césaire affirmait « qu’à tout grand réajustement politique, qu’à tout rééquilibrage d’une société, qu’à tout renouvellement des mœurs, il y a un préalable […] culturel ».
Le poète martiniquais faisait référence à sa propre lutte pour l’affirmation de la culture « nègre » qui avait préparé le terrain pour la décolonisation du continent noir dans les années 1960. Il faisait aussi référence au rôle primordial joué par les écrivains du mouvement de la Black Renaissance dans l’évolution de la situation des Noirs aux Etats-Unis. En faisant du respect des autres cultures et du dialogue entre elles le préalable de sa politique internationale, Obama est « sur la même longueur d’ondes » que Césaire, écrit Fonkoua.

Obama plus proche de la pensée de la créolité ?

Sept articles de fond composent le dossier que consacre la revue Présence africaine à l’émergence d’Obama et à sa vision du monde. Ces textes ont en commun leur souci d’inscrire le phénomène Obama dans l’évolution de la pensée noire sur la race et la culture dont Césaire fut l’un des principaux énonciateurs au 20e siècle. Partant des discours prononcés par le président américain pendant la campagne électorale et de ses récits autobiographiques (Les rêves de mon père et L’audace d’espérer), le philosophe Marc-Vincent Howlett décrit le regard que l’actuel président américain porte sur la question raciale aux Etats-Unis.
« Lire les textes d’Obama ne manque pas de nous convaincre, écrit Howlett, (…) de la dimension proprement « raciale » de ses analyses et on engagement. » La post-racialité d’Obama consiste à dépasser cette souffrance noire en l’intégrant dans une problématique sociale et historique plus large dont le savoir serait plus important que des revendications de pardon ou de repentance. Cette vision progressiste qui n’enferme pas la communauté noire américaine dans un repli identitaire et lui permet d’imaginer l’avenir pas seulement en termes du passé, fait d’Obama le véritable héritier de la pensée césairienne.
Le linguiste martiniquais Jean Bernabé va plus loin dans son article sur la dimension raciale dans la pensée d’Obama. Selon Bernabé qui fut avec Chamoiseau et Confiant l’un des auteurs de l’essai mémorable Eloge de la créolité, les prises de position d’Obama sur la question de la race sont plus proches de la pensée de la créolité que de celle de la négritude. C’est une pensée avant-gardiste dans la mesure où « la créolité, explique Bernabé, remplace la race par la culture, par l’appartenance à une mémoire tout à la fois plurielle et collective, non inscrite dans un atavisme claustral. »
Daté du second semestre 2008 bien qu’il ne paraisse que maintenant, ce volume de Présence africaine se veut aussi numéro hommage à Aimé Césaire, disparu l’année dernière. On connaît la fidélité sans faille du Martiniquais à Alioune Diop et sa maison d’édition (Présence africaine), qui a publié l’essentiel de son œuvre. Les articles en hommage au défunt que publie la revue du même nom rappellent cette fidélité et expliquent la portée des combats que Césaire a menés pour la dignité des Noirs dans les pages de la revue.
On lira également avec intérêt les articles consacrés aux textes littéraires d’Aimé Césaire sous la plume des spécialistes patentés (Aliko Songolo, Lilian Pestro de Almeida, Justin Bisanswa…) qui rappellent combien cette œuvre est riche et universelle. Sa véritable force réside sans doute dans la pertinence avec laquelle elle continue d’éclairer la marche de l’homme noir vers l’affirmation de soi dans un monde enfin libéré de la fixité de l’opposition Blanc/Noir, ce que suggère l’élection par la première puissance mondiale d’un président noir à sa tête.


Présence Africaine no 178, 2e semestre 2008. Revue éditée par Présence Africaine, 25 bis, rue des Ecoles, 75005 Paris. 212 pages, 19 euros.

Tirthankar Chanda

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