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03/02/2006
Mexico 2006 : professionnels et politiques face à la crise de l’eau
Vers une répartition équitable d’une ressource qui se raréfie ?


(MFI) Pour maîtriser la crise de l’eau qui menace notre planète, un dialogue semble aujourd’hui souhaité entre les différents acteurs du secteur de l’eau chargés des réformes. Une dimension qui jusqu’ici n’avait pas reçu toute l’attention qu’elle méritait, les débats ayant plutôt été confinés au niveau technique.

Comment les structures de pouvoir influent-elles sur les politiques de l’eau ? A l’issue d’un Atelier, à Marseille en 2004, qui a rassemblé des spécialistes de l’eau chargés des réformes, le Conseil mondial de l’eau (CME) a intégré dans ses programmes l’idée d’une médiation entre professionnels et politiques. Pour une meilleure analyse des processus de prises de décisions politiques, le CME a lancé un programme, Eau et politique, limité dans un premier temps aux niveaux local et national. Avec l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), il a mis en place des projets pilotes dans différents bassins versants (Mexique, Tanzanie, Kenya, Ghana, Burkina Faso, Thaïlande, Cambodge, Laos, Vietnam), en vue d’engager les responsables politiques et techniques à dialoguer sur les choix opérés. Dans cet esprit, l’équipe de José Esteban Castro, de l’université de Newcastle*, a planché sur un des thèmes transversaux du 4e Forum mondial de l’eau : Développement institutionnel et processus politiques. Son rapport préliminaire lève d’ores et déjà un coin du voile sur la tonalité des débats qui auront lieu à Mexico en mars 2006.

Transformations institutionnelles et crise de l’eau

Au 19e siècle, les pays développés sont convaincus que la gestion de l’eau potable et des services d’assainissement relève du devoir des Etats envers leurs citoyens, tandis que la classe politique a toujours estimé que ces services doivent être gérés comme des produits marchands, estime l’auteur du rapport. Libéralisation, privatisation, commercialisation de la ressource et des services afférents résultent de changements politiques amorcés au 20e siècle. Dans les années 1980, ils impliquent des réformes institutionnelles, voire même constitutionnelles, afin de créer des réseaux de distribution (Chili, Pérou, Mexique), décentraliser les circuits (délégation de services à la municipalité de Mexico), les privatiser (Angleterre) ou encore promouvoir la participation du secteur privé à la place des services publics (concessions, contrats de service à travers le monde)…
Ces transformations s’opèrent parallèlement à l’émergence de problèmes écologiques et en particulier d’une crise de l’eau, exprimée singulièrement par les réseaux sociopolitiques : un large éventail allant des déplacements forcés de population résultant de grands travaux d’infrastructures (barrages) au besoin de protéger les fragiles écosystèmes, en passant par la défense d’un secteur public de l’eau jugé de grande qualité, jusqu’à la lutte pour la reconnaissance de l’accès à l’eau comme droit humain essentiel.

Gouvernance et citoyenneté

De nombreuses déclarations ont reconnu l’urgence de trouver des remèdes à la crise. Mais l’adoption des OMD sur l’eau (2000, 2002) marque un tournant. Désormais, il ne sera pas possible de réaliser ces objectifs fixés par les Nations unies sans que de réelles politiques de l’eau soient élaborées, dans les pays développés comme en développement. Les acteurs liés aux sociétés privées multinationales donnent du processus politique une définition technique : « Une série de systèmes politique, social, économique et administratif, en place pour développer et gérer les ressources en eau et la distribution des services de l’eau » (Partenariat mondial pour l’eau, 2003). Basée sur les arrangements institutionnels qui caractérisent la gestion des activités liées à l’eau, cette définition gomme toute « relation entre ces arrangements et le processus politique », analyse l’auteur du rapport.
Une autre définition met aussi l’accent sur la bonne gouvernance, qui doit inclure la coordination des actions à différents niveaux, la transparence et la participation publique de tous les acteurs, y compris des femmes et des enfants (ONU, 1998, PNUD, 2003). Prescrite par les institutions internationales, celle-ci devient une condition préalable et nécessaire à la réussite de l’exécution des programmes de Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE), ainsi que de ceux de la Directive européenne sur l’eau (UE, 2000). Les donateurs, agences d’aide et Institutions financières internationales (IFI), recommandent son adoption pour accorder des prêts.

Reformuler les termes de la bonne gouvernance

La présentation, essentiellement technique, de la bonne gouvernance contribue à « dépolitiser le débat et mériterait d’être reformulée », souligne José Esteban Castro. Loin d’être académique et abstrait, celui-ci a des conséquences importantes sur les politiques publiques. Notamment, ce modèle souligne les notions de partenariat public privé ou de partenariat tripartite, éléments clés de ces politiques. En outre, des termes comme société civile et citoyenneté recouvrent des significations différentes selon les sociétés – libérale anglo-saxonne ou socio démocrate européenne, par exemple. En pratique, résume-t-il, « l’essentiel des services publics liés à l’eau sont aux mains des entreprises privées, principaux acteurs du développement de modèles politiques dans lesquels la participation des citoyens se résume à l’acceptation des décisions prises sans qu’ils aient été consultés ».

« Etre gouvernés par qui et pour qui ? »

Or la participation est au cœur des engagements de la communauté internationale. Mais les institutions qui jouent un rôle clé dans l’ordonnance des politiques publiques mondiales ont du mal à reconsidérer leurs schémas. « Elles continuent à appliquer des politiques largement aveugles quant aux besoins et aux désirs des pays en développement, notamment les plus pauvres. Et contribuent ainsi à affaiblir les structures étatiques et civiles qui perdent toute capacité à exercer un contrôle démocratique ou une régulation des services ». Un problème crucial quand il s’agit de ressources naturelles et de services essentiels. « Etre gouvernés par qui et pour qui ? » L’inégalité d’accès à l’eau, comme la pauvreté, n’est pas le résultat d’échecs techniques mais de politiques socio-économiques qui reflètent les inégalités sociales. La tâche sera donc gigantesque pour atteindre les OMD liés à l’eau, et ne pourra être couronnée de succès sans l’action coordonnée de tous ses acteurs. « C’est pourquoi, conclut le rapport, le débat sur les modèles contradictoires de gouvernance est plus que jamais souhaité ».

Antoinette Delafin


* Rapport préliminaire pour le 4e Forum mondial de l’eau. Thème transversal n° 2. Développement institutionnel et processus politiques. Sous la direction de José Esteban Castro, de l’université de Newcastle. Août 2005. J.E.Castro@newcastle.ac.uk



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