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15/05/2007
Questions internationales (1)
La lente reconstruction d’Haïti


(MFI) Le 14 mai 2006, René Préval était investi président de la République en Haïti. Un an après, le spectre du chaos s’éloigne. Les institutions politiques se stabilisent ; toujours élevée, la criminalité diminue néanmoins et la communauté internationale soutient le pays. L’économie cependant reste en très mauvaise santé. L’avenir d’Haïti est moins sombre qu’aux temps des dictatures passées, mais reste fragile.

Le président René Préval a-t-il réussi à stabiliser la situation politique en Haïti ?

Haïti a été le premier pays au monde à se libérer du joug esclavagiste et à établir une république noire indépendante en 1804. Mais depuis, ce pays qui partage, avec la République dominicaine, l’île d’Hispaniola dans les Caraïbes, n’a connu que dictatures, coups d’Etat militaires et régimes corrompus. En deux siècles, seuls six de ses 38 présidents ont achevé leur mandat. Lorsque René Préval accède à la magistrature suprême le 14 mai 2006, les Haïtiens lui confient un mandat clair : pacifier un pays qui, depuis le départ forcé de son prédécesseur en 2004, connaît une quasi-guerre civile. Mission impossible pour cet agronome de 64 ans, au verbe posé et aux idées modérées, qui a déjà dirigé le pays de 1996 à 2001 ? Tout du moins est-il illusoire d’attendre des résultats spectaculaires en seulement un an.
Pourtant, dans un pays ruiné économiquement et sans culture démocratique, René Préval est en train de rebâtir les institutions de l’Etat. Une première étape indispensable à l’avenir du pays. Ainsi a-t-il formé un large gouvernement de coalition avec tous les partis présents au Parlement, à la condition que ceux-ci s’engagent à « respecter le jeu démocratique », comprenez : ne plus entretenir de milices. A chaque occasion, il appelle à la réconciliation nationale. De même a-t-il rompu avec la tradition clientéliste consistant à remplacer tous les fonctionnaires après chaque élection. « L’administration compte des gens sérieux ; il faut les encourager et mettre un terme au népotisme. » Surtout, des élections municipales ont été organisées, permettant à une cinquantaine de communes d’avoir enfin un maire.
La priorité est désormais la réforme du système judiciaire. « La population n’a confiance ni en la police ni en la justice. La corruption est telle que les pires criminels bénéficient d’une impunité pénale. Seule une réforme profonde du système judiciaire permettra la fondation d’un cadre étatique durable », écrit ainsi l’International Crisis Group. Pour poursuivre la reconstruction des institutions du pays, René Préval doit absolument venir à bout de la corruption qui gangrène la société. Selon l’association Transparency International, Haïti est le pays le plus corrompu au monde. Le combat sera donc difficile. René Préval a aussi besoin d’hommes alors que le taux d’analphabétisme est supérieur à 50 % et que les Haïtiens les plus compétents sont souvent installés à l’étranger (la diaspora compte quatre millions de personnes). « Ne m’envoyez pas d’argent ; envoyez-moi des experts et des techniciens », avait-il plaidé lors d’une tournée en Europe en juin 2006, appelant par là la diaspora à rentrer au pays.

Les premiers pas de René Préval incitent-ils à l’optimisme quant à l’avenir du pays ?

C’est l’histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Les optimistes soulignent que le spectre de l’anarchie est désormais écarté. Les chimères, ces portes-flingues recrutés dans les bas quartiers de Port-au-Prince par les hommes politiques, ne font plus parler d’eux. Des élections locales ont eu lieu, une école de la magistrature inaugurée et une loi sur la transparence dans l’attribution des marchés publics adoptée. René Préval joue la carte de la réconciliation nationale en offrant des emplois aux anciens militaires dans le cadre de son Programme d’apaisement social. « Haïti n’est pas encore un Etat de droit. Mais nos institutions politiques se stabilisent et le cadre juridique s’améliore », veut croire Jean-Claude Bajeux, le président du Centre œcuménique des droits de l’Homme (voir interview ci-après). Haïti bénéficie en outre d’un fort soutien de la communauté internationale qui a adopté un plan d’aide de 750 millions de dollars à la mi-2006. L’Union européenne, pour sa part, conditionne la distribution de ses fonds au constat effectif d’une bonne gouvernance. Jusqu’à présent, elle n’a pas gelé son aide. Comme l’écrit un récent rapport de la Banque mondiale : « On note des résultats encourageants dans la reconstruction de l’Etat. Mais vu l’étendue des lacunes de la gouvernance économique et la faiblesses des institutions existantes, les progrès seront lents et progressifs. »
Les pessimistes, eux, notent que les administrations fonctionnent mal et que, même en baisse, la criminalité bat toujours des records (voir article ci-après). Ils soulignent que René Préval ne tient à son poste que grâce à la présence des 9 000 casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) et le soutien financier international. Que l’un de ces deux piliers disparaisse, et Haïti replonge dans le chaos. Enfin, selon eux, la discrétion des politiciens et de leurs milices est conjoncturelle. Le jour où ils le souhaiteront, ils auront les moyens de mettre le pays à feu et à sang. Et de rappeler que lorsque Jean-Bertrand Aristide a succédé à la terrible dictature des Duvalier en 1990, il avait l’image du bon prêtre des bidonvilles, avant de se transformer en dictateur paranoïaque.

L’avenir économique d’Haïti semble-t-il aujourd’hui plus favorable ?

Difficile de répondre positivement. Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde. Il est le seul d’Amérique latine dans la catégorie des pays les moins avancés. Qu’on en juge : le PNB par habitant est de 480 dollars ; 54 % des 8 millions d’habitants vivent en-dessous du seuil de pauvreté avec un dollar par jour, et 80 % avec moins de deux dollars ; 90 % des Haïtiens sont touchés par le sous-emploi, travaillant soit dans une agriculture rudimentaire, soit dans le secteur informel des villes (commerces de rue, petits ateliers…). Les infrastructures sont dans un état lamentable. Moins d’un tiers des ménages ont l’électricité et à peine 10 % l’eau courante. Seuls 5 % des routes sont en bon état.
Les indicateurs sociaux sont tout aussi sombres. A peine 55 % des enfants sont scolarisés ; 23 % des moins de 5 ans souffrent de malnutrition et la mortalité infantile est quatre fois plus élevée que la moyenne régionale. L’espérance de vie est faible (51 ans) et le sida fait des ravages. Le taux de séroprévalence est de 5,6 % (12 % en ville), le chiffre le plus élevé hors d’Afrique. Enfin les inégalités sont criantes puisque 1 % des Haïtiens détient 50 % des richesses du pays. Pire : tous les indicateurs économiques et sociaux se sont détériorés ces dix dernières années. La faiblesse des infrastructures, conjuguée avec la forte insécurité, un Etat de droit chancelant et une corruption endémique expliquent le peu d’intérêt des investisseurs pour Haïti, plongeant le pays dans le cercle vicieux de la récession.

N’y a-t-il aucune raison d’espérer ?

En stabilisant la vie politique, René Préval – réputé intègre – rassure. L’inflation est passée de 38 % en 2004 à 10 % aujourd’hui. Une ébauche de réseau bancaire voit le jour et les règles d’attribution des marchés publics sont plus transparentes. Port-au-Prince est en train de rembourser ses dettes et d’assainir ses finances publiques. Le soutien de la communauté internationale est aussi décisif. Outre les associations locales, une quarantaine de grosses ONG sont présentes en Haïti et les donateurs étrangers (Etats-Unis, Union européenne, Canada, Japon, institutions internationales) ont mis 750 millions d’euros sur la table. Ils ont défini 380 chantiers prioritaires : ici la réfection d’une route ou d’une école, là le creusement d’un égout, ailleurs encore la construction d’une centrale électrique ou l’ouverture d’un dispensaire. Comme le souligne la Banque mondiale : « Plusieurs grands projets d’infrastructures sont en cours. Mais tirant la leçon du passé, les bailleurs de fonds préfèrent financer des projets de petite taille avec la participation étroite des habitants. Les succès locaux sont réels, même si à l’échelle d’Haïti les progrès sont encore lents. » De même, des médecins cubains sont présents dans 85 communes. René Préval compte d’ailleurs sur ses bonnes relations avec les pays d’Amérique latine ancrés à gauche pour résoudre nombre de difficultés du pays. Certains soulignent cependant que depuis 1994, la coopération étrangère a injecté 2,4 milliards de dollars en Haïti sans résultats probants.
Autre motif de satisfaction, néanmoins : la prochaine création d’une zone franche, l’implantation d’une banque britannique pour développer le micro-crédit et l’investissement dans l’hôtellerie d’un grand groupe touristique. Comme ses voisines des Caraïbes, Haïti offre de superbes paysages et une côte magnifique à même de séduire les touristes. Mais ces trois projets ne représentent qu’un îlot d’espoir dans un océan de misère.

Jean Piel

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