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11/09/2007
Questions internationales (1)
La Belgique au plus fort de la division


(MFI) Depuis le 10 juin, la Belgique na plus de gouvernement. La difficult pour former une coalition nest pas politique, mais communautaire. Les Flamands revendiquent plus de pouvoirs pour leur rgion, alors que les Wallons minoritaires en nombre et moins riches conomiquement dfendent lunit du pays. La crise est si profonde que certains redoutent dj une partition du royaume.

Comment expliquer cette crise politique en Belgique ?

Six semaines de ngociations nauront pas permis Yves Leterme, le leader des chrtiens-dmocrates flamands, de constituer une coalition gouvernementale entre les quatre partis arrivs en tte des lections lgislatives du 10 juin, les libraux et les chrtiens-dmocrates, flamands et wallons. Depuis trois mois, la Belgique est donc dirige par un gouvernement de transition. Une crise politique aussi discrte que profonde dans un pays qui abrite les principales instances de lUnion europenne.
Ce nest pas sur un programme commun que les formations narrivent pas saccorder. Les partis flamands exigent une rvision constitutionnelle pour donner plus de pouvoirs aux rgions. Ils rclament notamment la rgionalisation des impts, des allocations familiales, de la Scurit sociale, de la justice, du droit du travail et des conditions doctroi de la nationalit. Ils souhaitent aussi la scission du district de Bruxelles-Hal-Vilvorde, situ en terre flamande mais o vivent 150 000 francophones.
Autant de revendications auxquelles les dirigeants wallons opposent une fin de non-recevoir. Comme lexpliquait dans Le Monde Didier Reynders, le prsident des libraux wallons : La Belgique est un Etat fdral depuis 1993, mais la rgionalisation a commenc ds 1970. Au fils des ans, la loi a confi aux communauts linguistiques la gestion de tout ce qui fait la vie quotidienne des habitants : lducation, la culture, la police, lurbanisme, lconomie, lamnagement du territoire, lemploi, lenvironnement, laide aux plus dmunis LEtat central na comme pouvoir que la dfense, la diplomatie, les finances, la justice et la Scurit sociale. Le projet des partis flamands revient dpecer lEtat, le transformer en une coquille vide. Cest inacceptable.
Les francophones accusent les Flamands de viser lclatement du royaume, avec la cl la cration de deux pays : la Flandre et la Wallonie. De leur ct, les Flamands souponnent les francophones de vouloir profiter des transferts financiers dune Flandre plus riche que la Wallonie. A Bruxelles, certains redoutent dj une dclaration dindpendance unilatrale du Parlement flamand. Personne ne veut faire un pas vers lautre. Lavenir est inquitant , soupire Damien Thiry, le maire de Linkebeek, lune des rares villes francophones situes en Flandre. Je nai pas le souvenir dune telle crispation, mme lpoque des conflits linguistiques les plus extrmes au dbut des annes 60 , reconnat Rudy Aernoudt, secrtaire gnral du ministre flamand de lEconomie, cit par Le Point. Dj certains voquent un scnario la tchcoslovaque.

Do vient cet antagonisme Flamands-Wallons ?

De lHistoire et aujourdhui de lconomie. La Wallonie a longtemps t la rgion la plus riche du royaume grce aux mines et la sidrurgie. Les patrons taient wallons, les ouvriers flamands , rsume lhistorien Xavier Mabille. Une domination conomique qui a dteint sur le terrain politique. Or culturellement et linguistiquement, le foss est large entre les deux communauts. Les Flamands ont longtemps eu un complexe face aux francophones. Ces derniers taient non seulement riches, mais ils avaient la rputation dtre innovants, ouverts sur le monde, alors queux Flamands taient des gens rustres, travailleurs, les deux pieds dans la terre et le dimanche lglise. Ils ont aussi le sentiment de stre fait dpossder de leur langue. Ce sont les lites qui ont impos le franais aprs la cration de lEtat belge en 1830 , ajoute Xavier Mabille.
Depuis, le vent a tourn. Les mines et les industries ont ferm ; lconomie wallone est en berne. A contrario, la Flandre est lune des rgions les plus prospres dEurope. Les francophones 40 % de la population sont sur la dfensive face ce renouveau de la moiti nord du royaume. Les chiffres sont sans appel : le taux de chmage est de 18 % en Wallonie, de 8,5 % en Flandre ; cette dernire reprsente 57,3 % du PNB de la Belgique contre 23,5 % pour la Wallonie et 19,2 % pour le district de Bruxelles-Capitale. Enfin le taux de croissance de la moiti nord du pays est de 2,2 %, contre 1,4 % pour la moiti sud. Nous ne voulons plus payer pour des gens qui ne travaillent pas et ninnovent pas, mais entretiennent lassistanat. Les Flamands sont des gens rigoureux et travailleurs. Notre succs conomique repose sur le commerce et les hautes technologies. La Wallonie est un boulet qui nous empche de nous dvelopper encore plus. Contrairement notre rputation de bigots rustres et ternes, nous sommes aussi des gens cratifs, ouverts sur le monde et sachant faire la fte , sinsurge Remi Vermeiren, le leader dIn De Warande, un groupe de rflexion dentrepreneurs flamands favorables au sparatisme. Yves Leterme, lui, na pas hsit comparer la Wallonie un sac de cailloux qui entrave la marche de la Flandre prospre , faisant rfrence aux 8,5 milliards deuros que la province du nord rtrocde sa voisine du sud par le biais de la Scurit sociale et de la loi sur le financement des rgions. Mme politiquement, le clivage existe : les Flamands votent traditionnellement droite, les Wallons gauche. Les diffrences entre la Flandre et la Wallonie, sur le plan conomique, politique et culturel, sont trop fortes. Chacun y gagnera se sparer de lautre , conclut Remi Vermeiren. Mettons les clichs en sourdine. Les Wallons ne sont pas que des fainants se reposant sur lEtat. Nous sommes aussi travailleurs, innovants, mme sil est vrai que la province a tard rorienter son conomie la fermeture des industries. Les Flamands sont nombreux approuver les thses sparatistes, alors que notre honneur est de dfendre lunit dans la diversit du royaume , lui rpond Jean Wuytens, un porte-parole du Parti socialiste wallon.

Peut-on srieusement imaginer une partition de la Belgique ?

Le 13 dcembre dernier, la RTBF la tlvision publique francophone interrompt ses programmes pour une mission spciale : la Flandre a proclam son indpendance. On y voit des foules joyeuses dfiler dans les rues dAnvers ; des jeunes brler le drapeau noir, jaune, rouge ; des euros mis au pilon et remplacs par le florin flamand ; des francophones apeurs se barricader chez eux Il sagit dun gag ralis avec des acteurs. Mais pendant une vingtaine de minutes, tous les tlspectateurs y ont cru, preuve que la perspective dune partition du pays ne constitue plus une aberration. La Belgique ressemble un vieux couple qui ne se supporte plus, mais reste ensemble par habitude et pour prserver les apparences , samuse Didier Pavy, qui a publi Les Belges.
Certains estiment quil faut juste avoir le courage dofficialiser une sparation qui, dans les faits, est consomme. Les deux communauts ont leurs propres mdias, leur propre Parlement, leurs propres rgles sociales, des mentalits et des centres dintrts diffrents, et chacune ignore ce qui se passe chez lautre. On trouve plus dinformations sur lAsie que sur la Wallonie dans la presse flamande, et rciproquement dans la presse francophone , samuse un journaliste de la RTBF.
Cette mconnaissance mutuelle est lobjet danecdotes savoureuses. Tel ces lycens flamands qui citent Marseille lorsquon leur demande le nom dune ville wallone. Ou cette commerante de Wanze, un gros bourg francophone, qui reconnat ntre jamais alle en Flandre, moins de 20 km de chez elle, car elle ne parle pas anglais .
La rglementation nest pas la mme partout. En Wallonie, il est interdit de fumer dans les restaurants ; cest autoris en Flandres. On roule 90 km/h sur les grandes routes de la moiti sud, 70 sur celles de la moiti nord. Mais les diffrences ne sont pas toutes anecdotiques. A Linkebeek, ville majoritairement francophone mais situe en Flandre, si les lus municipaux francophones (13 sur 15) prononcent un seul mot dans leur langue, les dlibrations sont annules par les autorits rgionales. Pire : la diplomatie belge relve de la comptence de lEtat central, mais le commerce des armes est de la comptence des rgions. Rsultat : alors que Bruxelles sinvestissait diplomatiquement dans la rgion des Grands lacs pour trouver une issue pacifique au conflit, la rgion flamande octroyait une licence dexportation darmes la Tanzanie, des armes qui inluctablement auraient aliment les affrontements sur place. Officiellement cependant, cette licence na jamais t honore.
Les nerlandophones et les francophones se parlent trop peu pour parler dune dmocratie saine. Les clichs battent des records , regrette Philippe Van Parijs, professeur de sciences politiques luniversit catholique de Louvain. Selon un rcent sondage, 45 % des Flamands sont favorables lindpendance de leur rgion. En septembre 2006, ils ntaient que 15 %. Cest lexpression de lmotion du moment. La crise politique actuelle dteint sur lopinion , se rassure Rudy Aernoudt, le secrtaire gnral du ministre flamand de lEconomie. Non, lhostilit est plus forte quavant, rpond Eric Verbrucken, un habitant de Linkebeek, cit par Le Monde. Nous ne sommes ni insults ni menacs. Mais nos enfants subissent des rflexions lcole. Nos voisins flamands nous disent que la sparation des deux entits serait une bonne chose, que cest dans la logique des diffrences de mentalits et de langues. Dj ils ne nous reoivent plus chez eux. Sur les panneaux routiers bilingues, lindication en franais a partout t barre au feutre. Si vous ne savez pas que Lille se dit Rijsel en flamand, vous ny arriverez jamais .
On se rapproche de la disparition de lEtat belge. Quant la nation belge, elle nexiste dj plus. Partout ailleurs en Europe, les rgions riches et pauvres cohabitent dans un change ingal, mais accept. Il en va ainsi de lItalie, de lEspagne, de lAllemagne o les Lnder de louest financent ceux de lest. Cette solidarit, naturelle chez nos voisins, nexiste plus chez nous. Ce qui est la logique dun Etat fdral est vcu comme un fardeau par la moiti de la population , crit le quotidien La Libre Belgique.
Les points communs des Wallons et des Flamands se rsument aujourdhui la religion catholique, au roi, larme et aux Diables rouges , lquipe nationale de football.


Les dirigeants, dhier et daujourdhui, nont-ils pas une responsabilit dans ce foss entre les communauts ?

Cest lavis de beaucoup. Ainsi, Batrice Delveaux, rdactrice en chef du Soir, le quotidien francophone de Bruxelles, ne cache pas sa colre face aux propos de certains lus : Les partis politiques flamands nont rien gagner courir aprs lextrme droite. Yves Leterme a tenu des propos incendiaires et men des pseudo-ngociations pour former le gouvernement. Une perte de temps criminelle qui a dbouch sur un seul rsultat : une dangereuse radicalisation des esprits entre les deux communauts. Il ne faudrait pas jouer trop longtemps avec le feu. En effet, le Vlaams Belang un parti dextrme droite xnophobe est le premier avoir rveill le nationalisme flamand, au cri de Eigen volk eerst (Notre peuple dabord) et Belgi barst (Que la Belgique crve). Or ces trois dernires annes, le Vlaams Belang enregistre des succs lectoraux croissants. Do la tentation des autres formations de rcuprer le thme du nationalisme flamand tout en rejetant les ides extrmistes du Vlaams Belang. Dj les chrtiens-dmocrates ont rdig un projet de constitution de la nation flamande et se sont allis avec les nationalistes du NVA, une formation qui fait de lindpendance son cheval de bataille. Un jeu dangereux car en politique, les lecteurs prfrent loriginal la copie. Mme si le vote en faveur du Vlaams Belang sexplique plus par les problmes dimmigration et dinscurit que par un dsir de partition du pays , rappelle Philippe Van Parijs.
Le systme institutionnel de la Belgique est aussi une usine gaz : six Parlements ; quatre gouvernements ; des dcisions qui exigent lintervention de multiples autorits ; une division administrative qui ne se superpose pas toujours aux frontires linguistiques En outre, il nexiste pas de partis politiques nationaux, tous sont rgionaux. Le systme lectoral veut que les Flamands votent uniquement pour des Flamands, les francophones uniquement pour des francophones. Cela complique la formation des gouvernements et encourage un repli communautaire.
Certains estiment que le pch originel remonte la loi de 1963 impose par les Flamands contre la volont des Wallons qui trace une frontire linguistique travers le royaume. Avant, tout tait bilingue, et les listes lectorales taient mixtes. La loi de 1963 a mis un terme cette bonne entente. Les gouvernements nont jamais su non plus crer un sentiment dappartenance la nation. Ils ont toujours cd aux revendications rgionalistes , regrette Damien Thiry, le maire de Linkebeek.
Alors que les Flamands sont unis et dfendent une forte identit communautaire, les Wallons ne prsentent pas un front solide ; ils sont plus divers, moins solidaires, facilement tourns vers la France sur le plan culturel. Le dfi du futur Premier ministre sera donc de savoir marier ces contraires et dtre acceptable par toutes les communauts. Pour linstant, aucun nom nest en vue.

Jean Piel

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