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10/02/2008 | |||
IVème conférence des ministres francophones de la Justice Rachida Dati | |||
« J’attends que les liens de la Francophonie sortent renforcés de cette rencontre » (MFI) Hôte de la 4è Conférence des ministres francophones de la Justice, la ministre française de la Justice et Garde des Sceaux Rachida Dati confie en avant-première à MFI ce que seront, selon elle, les grands chantiers de la Francophonie pour les années à venir. | |||
MFI : Vous allez présider la 4ème conférence des ministres francophones de la justice, qui se réunit à Paris les 13 et 14 février 2008. Qu’attendez-vous de cette rencontre ? Rachida Dati : La conférence des ministres de la justice francophones constitue le temps fort de l’action extérieure de la Chancellerie au premier semestre 2008, avant le début de la présidence française de l’Union européenne. Elle constituera un relais privilégié de sa diplomatie juridique et de la promotion du droit continental. Cette conférence est l’occasion de rencontres à haut niveau entre les représentants de pays amis de la langue française puisque 67 ministres de la justice et 400 délégués devraient échanger à cette occasion. J’attends donc en premier lieu que les liens de la Francophonie sortent renforcés de cette rencontre. Au-delà, à travers les thèmes retenus pour cette conférence, nous allons travailler sur le contenu du futur programme de coopération de l’Organisation internationale de la Francophonie. Cette organisation, dont le soutien est essentiel pour l’organisation de la conférence, est un relais essentiel de notre diplomatie juridique. Donc, en second lieu, j’attends de cette conférence qu’elle nous permette de dégager les grandes orientations de la coopération juridique entre les pays de la Francophonie. Pour être tout-à-fait claire, mon objectif est qu’au sein de cet espace francophone la qualité de la justice aide à forger des Etats de droit et un espace de paix. Mais il s’agit également de faire en sorte que l’espace juridique francophone soit un espace attractif où la qualité de la règle de droit et la qualité des systèmes judicaires tirent la croissance économique. MFI : Comment garantir l’indépendance et l’impartialité de la justice ? R. D. : L’indépendance et l’impartialité de la justice sont à la fois des questions de règles et des questions de comportement. Tout d’abord, il ne peut y avoir d’indépendance ni d’impartialité de la justice sans règles définissant, en particulier, le mode de recrutement des magistrats, leur avancement et leurs obligations déontologiques. Mais il y a à l’évidence, au-delà des règles, une question de comportement en cette matière. Il faut donc que nos actions tendent à créer au sein de l’ensemble des systèmes judiciaires une « culture » de l’indépendance et de l’impartialité. Le respect de ces grands principes est aussi une question de contrôle. A cet égard, le fait que certains Etats se soumettent au contrôle d’organes de contrôle internationaux, tels que la Cour européenne des droits de l’homme ou le comité des droits de l’homme des Nations unies, constitue indéniablement une garantie. MFI : Quelles sont les conditions d’une justice efficace et de qualité ? R. D. : Le justiciable attend de la justice qu’elle soit rapide, de qualité et efficace. S’agissant de la qualité de la justice, la question de la formation des magistrats me paraît absolument essentielle. Nous disposons, en France, avec l’Ecole nationale de la magistrature, d’un atout remarquable et nous faisons le maximum pour que nos partenaires puissent bénéficier de son expertise à travers différentes actions de coopération. Par ailleurs, une justice de qualité ne doit pas craindre de rendre des comptes. Il importe que les acteurs de la justice répondent de leurs actes en cas de dysfonctionnement. C’est l’une des garanties de sa qualité. L’efficacité de la justice réside en outre dans sa capacité à apporter dans un délai raisonnable une solution appropriée à un litige. On le comprend, il y a là tout d’abord une question de rapidité. De ce point de vue, il est bon que les systèmes judiciaires modernes fassent une place à la réflexion sur la performance. Mais il faut également que la procédure suivie, le mode de règlement du litige choisi permettent de traiter la question posée dans les meilleures conditions. C’est donc à la fois dans le choix des textes applicables, des pratiques suivies et des modes de contrôle que se créent les conditions d’une justice efficace. MFI : Que pensez-vous du concept de diversité juridique développé par l’OIF ? Faut-il défendre ce concept ? R. D. : La promotion de la diversité des systèmes juridiques au sein de l’espace francophone repose sur l’idée que chaque système juridique est la traduction d’une histoire et d’un mode de pensée qu’il convient de respecter. Je ne crois pas qu’un système juridique uniforme puisse s’imposer à tous les pays sans tenir compte de leurs spécificités. Il existe certes, en matière de justice, quelques valeurs de référence que l’on doit regarder comme universelles, telles que la présomption d’innocence en matière pénale. Pour autant, le respect de ces valeurs ne s’oppose nullement à ce que les différents systèmes reflètent des traditions juridiques et culturelles particulières. La diversité juridique est une réalité. Elle existe et elle doit être prise en compte. MFI : Cela vous semble-t-il une réponse adaptée aux défis posés par la mondialisation du droit ? R. D. : Le souci de préserver une certaine diversité des systèmes juridiques au sein de l’espace francophone ne constitue aucunement un rejet de la mondialisation. Bien au contraire, la Francophonie a entrepris de nombreux efforts d’harmonisation entre systèmes juridiques nationaux, précisément pour favoriser le commerce et les échanges internationaux. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie à une initiative africaine tout à fait remarquable, l’Ohada, qui fait œuvre d’harmonisation dans le domaine du droit des affaires. La mondialisation ne doit pas se solder par l’avènement d’un système universel de droit s’imposant et se substituant progressivement à tous les autres. Ce sont, au contraire, les interactions entre des systèmes juridiques d’inspirations différentes, sources de création du droit, qui permettront de trouver les réponses les mieux adaptées aux nouveaux défis posés par la mondialisation. L’émulation entre divers systèmes de droit ne peut être, à cet égard, que bénéfique. MFI : Vous accompagnez, comme le font des responsables de grandes entreprises françaises, le président de la République dans nombre de ses voyages à l’étranger, ce qui est une première. Le droit est-il un instrument du développement économique d’un pays ? R. D. : La qualité de l’environnement juridique est essentielle pour le développement économique d’un pays. La sécurité juridique est indispensable au développement des affaires. Les investisseurs se détournent des pays où leurs droits ne sont pas garantis du fait de législations inadaptées ou du fait de l’absence de fiabilité du système judiciaire. Une des priorités des pays de la zone francophone en recherche de développement est donc de se doter d’un système juridique de qualité. Les déplacements internationaux sont l’occasion d’évoquer avec mes interlocuteurs étrangers les rapports qu’entretiennent le droit et l’économie. Cela a été le cas lorsque je me suis rendue en Chine, où la question de la protection des droits de propriété intellectuelle et de la répression de la contrefaçon est centrale. MFI : Que pensez-vous de l’action de la Fondation pour le droit continental, à laquelle le ministère de la Justice prête des locaux ? Le soutien du ministère va-t-il au-delà ? R. D. : La Fondation pour le droit continental a été créée en 2003 pour défendre notre tradition juridique en associant les forces de la sphère privée et celles de la sphère publique. Cette Fondation est à l’origine de nombreuses initiatives tendant à montrer combien le droit continental est un vecteur de compétitivité économique pour les entreprises, en raison de son accessibilité et de son caractère équilibré et sécurisant pour les transactions. Je suis pour ma part persuadée que l’équilibre juridique mondial ne peut être atteint qu’au travers de l’existence de différents systèmes d’inspiration de droit. La Fondation joue un rôle majeur pour le dialogue des systèmes juridiques. C’est en enjeu essentiel de la mondialisation. Les formes de collaboration du ministère de la Justice et de la Fondation sont multiples. Outre le prêt de locaux et de personnels, le ministère met également à son service ses compétences et ses réseaux à l’étranger. MFI : Où en est le projet de loi portant adaptation du droit pénal français au Statut de la Cour pénale internationale ? R. D. : Le gouvernement est résolu à assurer rapidement la transposition complète du statut de Rome. Un projet de loi d’adaptation du droit français a, comme vous le savez, été déposé au Sénat par le précédent gouvernement. Viendra ensuite le temps du débat parlementaire que je souhaite voir aboutir au cours de la première moitié de l’année 2008. MFI : La France est l’un des rares pays de l’Union européenne à n’avoir pas accepté la compétence territoriale élargie pour les crimes les plus graves, ce qui s’impose au regard du principe de complémentarité posé par le Statut de Rome et en vertu des Conventions de Genève de 1949. Pensez-vous souhaitable que la loi d’adaptation corrige cette exception ? R. D. : Le projet de loi actuellement déposé au Sénat ne comporte pas de disposition reconnaissant à la France une « compétence quasi-universelle » permettant de poursuivre, à raison de sa seule présence en France, l’auteur d’un crime prévu par le Statut commis à l’étranger. Rien dans le Statut de Rome n’oblige les Etats parties à reconnaître cette compétence et, dans un tel cas de figure, il est à noter que les Etats parties ont déjà l’obligation de remettre la personne en cause à la Cour pénale internationale. MFI : Le Statut de Rome (article 29) pose le principe d’imprescriptibilité des crimes de guerre. Pensez-vous souhaitable que la loi d’adaptation française soit sur ce point conforme au Statut de Rome ? R. D. : Si, effectivement, il résultait de l’article 29 du Statut de Rome que tous les crimes de guerre sont imprescriptibles, la France n’aurait naturellement d’autre choix que de transcrire cette règle dans son droit interne. Mais ce que dit le Statut sur ce point, c’est que les crimes qui entrent dans la compétence de la Cour – c’est-à-dire les crimes qui dépassent un certain seuil de gravité – sont imprescriptibles. Le projet de loi déposé au Sénat limite l’imprescriptibilité aux crimes les plus graves, tels que les crimes contre l’humanité ou les crimes de génocide. Dans la mesure où la prescription des infractions est un principe fondamental du droit pénal français, la position consistant à encadrer strictement les dérogations à ce principe se justifie non seulement en opportunité mais elle s’impose sans doute également en droit. MFI : Quel peut être l’apport de la coopération francophone en matière de droit pénal international ? R. D. : La coopération pénale constitue un volet essentiel de l’action de la Francophonie dans le domaine de la justice. L’adoption et l’application de lois conformes aux accords internationaux consacrés aux questions de coopération pénale, la signature de ces accords et leur ratification par les Etats membres de l’espace francophone sont des objectifs de premier rang. Il revient en particulier à l’Organisation internationale de Francophonie d’inciter les Etats de cet espace à faire vivre cette coopération pénale, en leur fournissant, lorsque cela est utile, un appui technique pour ce faire. | |||
Propos recueillis par Ariane Poissonnier | |||
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