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22/04/2008 | |||
Questions internationales (2):Maurice Lemoine « Les maras sont le produit de la guerre civile et de la mondialisation » | |||
(MFI) Rédacteur en chef du Monde diplomatique, Maurice Lemoine est un spécialiste de l’Amérique latine. Selon lui, le phénomène des maras s’explique par les terribles inégalités sociales et la faiblesse des Etats dans la région. | |||
MFI : Comment expliquer que les maras se soient développés en Amérique centrale et non en Amérique latine où les inégalités sociales sont tout aussi fortes ? Maurice Lemoine : La spécificité de l’Amérique centrale, ce sont les années de guerre civile : trente ans au Guatemala, douze ans au Salvador. Des guerres civiles particulièrement meurtrières à l’échelle des pays ; on a compté 75 000 morts au Salvador, un pays à peine grand comme la Sardaigne. Ces guerres civiles ont favorisé une libre circulation des armes et une culture de l’extrême violence. Tout petit Salvadorien ou Guatémaltèque né à cette époque a vu des morts, assisté à des exécutions. Les familles se sont désintégrées ; des parents ont immigré aux Etats-Unis, des frères ont été tués, des neveux ont quitté la capitale pour les campagnes. Tous les repères traditionnels ont volé en éclat. Les maras sont le produit de la guerre civile et de la mondialisation. Une mondialisation qui a créé un véritable apartheid social en Amérique centrale. La politique néolibérale conduite par des gouvernements de droite a creusé les inégalités sans jamais faire reculer la misère. Là-dessus, se greffe une impunité en faveur des puissants qui ne peut que marquer l’imaginaire d’adolescents en quête d’idéal. Les maras leur fournissent l’identité sociale qui leur manque. L’Amérique latine des années 1980 et 1990 a certes connu les mêmes inégalités sociales, la même politique libérale et une dictature qui a favorisé une petite élite. Mais à la différence de l’Amérique centrale aujourd’hui, elle n’a jamais été secouée par des guerres civiles. Les dictatures ont maintenu l’ordre. Jamais non plus les structures de l’Etat n’ont disparu, alors qu’en Amérique centrale, l’Etat est en pleine déliquescence. MFI : Les maras menacent-ils vraiment la stabilité politique de la région ? M.L. : C’est une idée sans doute excessive, même si on peut la défendre dans la mesure où la violence des maras rend plus difficile la reconstruction des institutions étatiques. Diaboliser les maras, comme le font les autorités du Guatemala, du Salvador ou du Honduras, est aussi un moyen d’obtenir des fonds de Washington pour moderniser leurs polices. En 2005, George Bush lui-même a déclaré que les maras menaçaient la sécurité nationale des Etats-Unis. Certes, les mareros sont terriblement violents. Certes, ils sont liés au trafic de drogue, mais de là à menacer la sécurité de la première puissance mondiale, il y a un pas à ne pas franchir. Prétendre que les maras sont liés au terrorisme international et à Al-Qaeda, comme l’ont fait certains politiciens d’Amérique centrale, est ridicule. Les maras posent un terrible problème à des pays encore pauvres et fragiles, mais la menace qu’elles représentent est aussi exagérée à des fins politiques. MFI : Quelle solution adopter pour mettre fin aux maras ? M.L. : Je me garderais bien de donner des conseils aux gouvernements d’Amérique centrale. Il est évident qu’on ne peut pas négliger la répression. Les mareros sont si violents que même les anciens guérilleros reconnaissent en avoir peur. Mais il est tout aussi évident que la seule répression policière ne suffira pas. Il faut réduire les inégalités sociales et améliorer les conditions de vie de chacun. C’est facile à dire, mais c’est vrai. L’exemple du Costa-Rica le prouve, où le gouvernement a investi dans l’éducation, la santé, les infrastructures, la formation professionnelle. Les inégalités sociales sont moins marquées, l’espoir de promotion existe. Résultat, les maras sont nettement moins présentes que dans les pays voisins. Il est impératif que le Guatemala, le Honduras, le Salvador, rebâtissent un Etat fort, avec une police et une justice indépendantes, une meilleure répartition des richesses, des espoirs d’avenir. Sinon, la spirale de la violence sera sans fin. Déjà, on voit réapparaître des escadrons de la mort, ces groupes d’autodéfense, adeptes des exécutions extrajudiciaires. Les maras ne se laisseront jamais tirer dessus sans réagir ; cela sonne le début d’un cycle de violence infernal. | |||
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