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22/07/2008
Questions internationales (1)
Le Cambodge en voie de normalisation politique


(MFI) Les Cambodgiens liront leurs dputs le 27 juillet. Sauf surprise de dernire minute, la formation au pouvoir le Parti du peuple cambodgien devrait remporter le scrutin. Hritier du parti communiste, le PPC contrle le systme politique et profite de la faiblesse de lopposition. Plus libre et moins violente, la campagne lectorale tmoigne de la normalisation dun pays toujours marqu par le gnocide Khmer rouge. Les principaux responsables du rgime de Pol Pot seront dailleurs bientt jugs.

Dans quel contexte politique se droulent ces lections lgislatives ?

Sauf coup de tonnerre politique, le vainqueur des lections lgislatives au Cambodge est dj connu : il sagit du Parti du peuple cambodgien (PPC), au pouvoir depuis 1993. Lors des lections municipales davril 2007 (considres comme un test pour ces lgislatives), le PPC sest en effet adjug 90 % des communes. A sa tte, le Premier ministre Hun Sen, un ancien Khmer rouge de 56 ans, davantage connu pour ses menaces contre lopposition que pour son amour de la dmocratie. Hritier du Parti communiste cambodgien, le PPC a abandonn toute rfrence au marxisme pour dsormais louer lconomie de march et les Etats-Unis.
La victoire du PPC fait dautant moins de doute que le parti monopolise laccs aux mdias. Les chanes de tlvision dressent longueur de journe des portraits laudateurs de Hun Sen et du PPC ; il en va de mme des radios. Le Comit national lectoral a pourtant rappel plusieurs reprises que tous les partis avaient droit un gal accs aux moyens dinformation ; un rappel formel puisque la majorit des membres du CNE sont proches du gouvernement.
Au-del des mdias, le PPC est partout prsent : dfils quotidiens de militants, distribution de tracts dans le moindre village, haut-parleurs chaque carrefour diffusant les messages du parti, petits cadeaux dans les entreprises Avec ses 5 millions de membres revendiqus (sur 15 millions dhabitants), le PPC a les moyens de mener une campagne denvergure.
Mais loutil le plus efficace du PPC est le soutien des autorits locales. Dans un pays largement rural, o certains districts sont isols, celles-ci disposent dun grand pouvoir. Comme lexplique Kul Panha, directeur du Comfrel, le Comit pour des lections libres et justes au Cambodge : Nous avons enregistr plusieurs cas o des chefs de district ont abus de leur pouvoir pour dfendre les couleurs du PPC. Des fonctionnaires font campagne pendant leur temps de travail ou utilisent les moyens de ladministration : voitures, fax, ordinateurs Les autorits locales menacent les habitants de bloquer leurs dmarches administratives sils ne se rallient pas au PPC. Elles interdisent des meetings de lopposition. Ces autorits font parfois du zle par rapport ce que souhaite la direction du PPC. Mais elles ont peur de perdre leur emploi donc une source de revenu lucrative vu la corruption si le parti gouvernemental ne remporte pas les lections.
La seule inconnue reste le nom du futur Premier ministre. Selon la Constitution, Hun Sen ne peut pas briguer un quatrime mandat. On parle de la princesse Norodom Arunrasmy, fille de lancien roi Norodom Sihanouk et pouse du leader du Funcinpec, un parti centriste dinspiration royaliste, membre de la coalition gouvernementale. Un parti dont linfluence est en baisse cependant. Reste savoir si Hun Sen Premier ministre depuis 1985 respectera une Constitution quil a souvent bafoue.

Outre le PPC, quels sont les partis en lice ?

Onze partis prsentent des candidats pour les 123 siges de dputs. Dans la majorit, le PPC et le Funcinpec. Les deux principaux partis dopposition sont le Parti Sam Rainsy et le Parti Norodom Ranariddh, du nom de leur leader respectif. De tendance librale, le PSR avait remport 22 % des suffrages et 24 siges aux lections lgislatives de 2003. Condamn 18 mois de prison pour diffamation, Sam Rainsy a d sexiler en France de fvrier 2005 fvrier 2006. Son retour dans le Royaume sest fait au prix dexcuses publiques devant Hun Sen, ce qui la dcrdibilis auprs des Cambodgiens. Pour sa part, Norodom Ranariddh, frre du souverain actuel, vit toujours en exil. Il a t condamn Phnom Penh pour des malversations financires. Cet ancien prsident du Parlement na pas toujours t hostile au PPC.
Les autres formations sont marginales. Le Parti des droits de lhomme doit son existence la communaut cambodgienne aux Etats-Unis ; le Parti de la justice sociale axe sa campagne sur la lutte contre la corruption et le renvoi des immigrs vietnamiens ; le Parti dmocratique Khmer insiste sur la lutte contre la misre et les ingalits sociales. On laura compris : si le PPC nest pas un modle de dmocratie et abuse des avantages que confre le pouvoir, il na pas non plus besoin de trop se forcer pour remporter ce scrutin, tant lopposition est faible, divise ou dcrdibilise par des alliances politiciennes contre-nature et de sombres affaires dargent. A noter que le roi, Norodom Sihamoni, fils de Norodom Sihanouk, mont sur le trne en 2004, rgne mais ne gouverne pas. Il nintervient donc pas dans la campagne lectorale.

Ces partis dopposition ont-ils nanmoins les moyens dexister dans la campagne lectorale ?

Au-del de leur faiblesse, cest un peu lhistoire du verre moiti plein ou moiti vide. Le Cambodge a connu, de 1975 1979 avec les Khmers rouges, lune des pires dictatures du XXe sicle, puis il a t occup par le Vietnam jusquen 1989. Plac sous tutelle de lOnu en 1991, il a connu ses premires lections libres en 1993 ; ce qui na pas empch plusieurs coups de force de Hun Sen par la suite, lorsque les rsultats des scrutins lui dplaisaient. Une histoire qui, dans un pays en outre trs pauvre, ne favorise pas limplantation rapide dune dmocratie parfaite. Nanmoins, la situation samliore. Certes, il y a encore des prisonniers politiques au Cambodge, une justice largement infode au pouvoir, des abus de la police et des autorits. Mais le pays a aussi t le premier de la rgion abolir la peine de mort, les ONG y sont nombreuses, la presse parfois audacieuse, la libert dentreprise une ralit
Chacun reconnat que cette campagne lectorale se droule dans un climat plus serein que les prcdentes ; les intimidations et les violences sont moins frquentes. Les partis ne crent pas des problmes comme lors des autres campagnes. Quand deux cortges se croisent, personne ne se bat ni ne sinsulte. Les citoyens subissent moins de pressions pour faire leur choix , tmoigne Thach Sothon, un bonze de la pagode de Moha Muntrey, cit par le site dinformation Ka-Set. Ce que confirme Kul Panha : Les achats de vote et les intimidations persistent, mais globalement la situation est meilleure. Les candidats peuvent plus facilement coller des affiches, tenir des meetings. La violence est moindre, et quand elle existe, elle est le fait, non des appareils politiques, mais de militants sur-politiss. Les discours sont aussi dun meilleur niveau ; ils concernent les problmes quotidiens des lecteurs, et ne sont plus des litanies dinsultes contre les autres candidats.
De l dire que tout va pour le mieux, il y a un pas difficile franchir. Plus le scrutin approche, plus les heurts sont nombreux. Le 12 juillet, le journaliste Khem Sambo et son fils ont t tus Phnom Penh. Proche de lopposant Sam Rainsy, Khem Sambo avait crit plusieurs articles sur des affaires de corruption et dexpropriations abusives visant les cercles du pouvoir. En mars, deux militants du parti de Norodom Ranaridh ont galement t assassins. Des candidats et des militants ont t menacs voire agresss. Le prsident du Parti des droits de lhomme, Kem Sokha, dnonce les vexations de chefs de district qui interdisent nos meetings la dernire minute. Nos affiches sont arraches, et nos supporters intimids. Des imprimeurs ont t tabasss pour avoir ralis nos tracts. On nous met lamende pour un cortge dsordonn alors que des maisons sont peintes aux couleurs du PPC contre lavis de leur propritaire . Prs de 60 000 personnes ont aussi t rayes des listes lectorales sans raison apparente. Les leaders de lopposition dnoncent surtout leur impossibilit de passer la tlvision, et les caricatures que font deux certains mdias. A en croire Son Chhay, un des tnors du Parti Sam Rainsy : Oui, la situation progresse. Oui, la violence diminue. Mais elle est encore suffisamment forte pour effrayer les lecteurs. LUnion europenne va dpcher 120 observateurs ; cest bien, mais cela prouve que le scrutin nest pas encore totalement libre.

Quels thmes retiennent lattention des lecteurs ?

La situation du Cambodge se normalisant, les lecteurs attachent davantage dimportance aux questions conomiques et sociales. On parle plus de la vie chre que du retour la paix, plus de laccs aux soins que des luttes idologiques. A en croire un habitant de Siem Rap, cit par LExpress : Nous ne suivons plus aveuglment un leader politique, mais lisons avec attention les programmes des diffrents partis.
Linflation est lune des principales proccupations des Cambodgiens dont le niveau de vie a chut depuis le dbut de lanne, du fait de la hausse des prix. Alors que linflation tait stabilise depuis plusieurs annes, en 2007 elle a fait un bond de 10,8 %. Ce sont surtout les produits de base qui enregistrent des hausses records. Les prix grimpent, mais nos revenus naugmentent pas. On se retrouve vivre au jour le jour, et retirer nos enfants de lcole pour les envoyer travailler. Cest inacceptable , se plaint Mao Vanna, une vendeuse de jus de canne, interviewe par le site dinformation Ka-Set. Et un enseignant dajouter : La situation actuelle oblige les fonctionnaires trouver un autre travail en parallle et les tudiants parfois retourner lagriculture en dsespoir de cause. Une fois diplms, ils narrivent pas trouver du travail. Laccs aux soins inquite aussi les plus dmunis. Quand on arrive lhpital, avant mme de nous examiner, on nous demande de largent , dnonce Sok Sol, un chauffeur de taxi de Phnom Penh. Avec un taux de croissance suprieur 10 %, lconomie du Cambodge est la plus dynamique de la rgion. Cette croissance repose sur le btiment, le tourisme et la confection textile. La dcouverte en 2005 de gisements dhydrocarbures offre de bonnes perspectives. Lexploitation devrait commencer en 2011 et rapporter un milliard de dollars par an. Nanmoins, mme si les indicateurs conomiques progressent et que les investissements trangers augmentent, le Cambodge reste un pays pauvre, largement dpendant de laide internationale. En juin 2007, les bailleurs de fonds
au premier rang desquels lUnion europenne ont adopt un plan de 695 millions de dollars pour 2008. Les infrastructures restent obsoltes, le revenu par habitant ne dpasse pas 500 dollars, et 32 % de la population vit sous le seuil de pauvret, avec moins dun dollar par jour. Certes, ce chiffre tait de 42 % en 1996. La majorit des habitants des campagnes ne rcoltent pas les fruits de la croissance.
Dautres sujets animent la campagne lectorale : le nombre important dimmigrs vietnamiens, souvent accuss de voler le travail des Cambodgiens . Une accusation dautant plus vive que lconomie connat des difficults et que les relations entre les deux voisins ont toujours t tendues. La corruption aussi ; selon Transparency International, le Cambodge occupe la 16e place (sur 180) des pays les plus corrompus. Une corruption qui, additionne au trafic de pierres prcieuses et de bois (qui menace en outre lenvironnement), aux expropriations forces et aux abus de pouvoir en tout genre, freine le dveloppement conomique.

Le procs des dirigeants Khmers rouges a-t-il une influence sur ces lections ?

Le tribunal spcial Khmers rouges (TKR) o collaborent magistrats cambodgiens et internationaux a tenu sa premire audience le 21 novembre 2007. Il doit juger les dirigeants du rgime Khmer rouge qui, entre avril 1975 et janvier 1979, a tu prs de deux millions de Cambodgiens, au nom dune idologie communiste et nationaliste absolue. Les intellectuels et les bourgeois ont t limins, les citadins sont morts de faim et dpuisement lors de travaux forcs la campagne, les contestataires ont t torturs mort. Il sagit de lun des pires gnocides du XXe sicle. Cinq dirigeants Khmers rouges sont inculps de crimes contre lhumanit. Leur procs pourrait dbuter dans les prochaines semaines (voir article ci-aprs).
Si les questions conomiques proccupent au premier chef les Cambodgiens, il leur est impossible dignorer un vnement constitutif de lhistoire contemporaine du pays, dont les rpercussions se font toujours sentir aujourdhui. Certes, les jeunes gnrations se sentent moins concernes. Mais, comme le dclare au site Ka-Set Hasarat Karasan, un commerant de 50 ans : Je garde encore en mmoire les atrocits du rgime Khmer rouge ; mon principal vu est de ne pas le voir revenir. Il ne faut plus que la guerre vienne nous tourmenter. Tous les Cambodgiens comptent dans leur famille des victimes et des bourreaux. Dans les villages, des anciens gardes rouges voisinent avec des anciens dtenus. Selon Chi Thirith, le responsable de DC-Cam, une organisation charge de recueillir les tmoignages des victimes : Toujours instable politiquement, le Cambodge ne pourra tre en paix avec lui-mme et construire durablement son avenir quune fois les dirigeants Khmers rouges jugs. Ce tribunal na pas seulement pour fonction de rendre la justice, mais aussi de rconcilier les Cambodgiens entre eux. Au demeurant, ceux qui ont port plainte ne crient pas vengeance, mais veulent voir les cinq accuss reconnatre le mal quils ont fait au pays et sexcuser pour cela. La dimension politique des procs venir est donc incontestable. Cela ne signifie nanmoins pas quils influencent le bulletin que les lecteurs mettront dans lurne le 27 juillet. Non seulement parce que danciens cadres Khmers rouges sont encore aux affaires commencer par le Premier ministre Hun Sen mais aussi parce que bourreaux et victimes sont parfois les mmes.

Jean Piel

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