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10/02/2009
Questions internationales (2)
Islande : une crise morale sans précédent


(MFI) La crise économique qui frappe l’Islande de plein fouet provoque aussi une crise morale : honte d’avoir cédé à l’hyper consommation, sentiment d’avoir oublié les valeurs humaines et sociales du pays, impression d’avoir été trahi par les dirigeants. Les Islandais se sentent aussi abandonnés par les autres nations. Le pays possède néanmoins les moyens de reconstruire son économie et de repenser ses valeurs.

« Nous avons l’impression d’avoir été incapables de gérer nos affaires. Nous sommes allés trop loin et trop vite. Nous avons été immatures et cupides. A présent, nous sommes ruinés. Nous sommes comme des enfants dont les parents se sont absentés pour le week-end et qui ont saccagé la maison. » C’est ce que confiait Hallgrimur Helgason, l’un des plus célèbres romanciers islandais, au quotidien britannique The Independent.

Comme un enfant qui aurait cassé ses jouets

Au-delà des faillites en cascade, de la hausse du chômage, de l’inflation à deux chiffres, la crise économique qui a frappé l’Islande presque du jour au lendemain provoque aussi une crise morale. « Nous avons cédé aux sirènes de la consommation à outrance. L’unique message envoyé aux jeunes – via les médias, la publicité, le mode de vie, le discours ambiant – était de s’enrichir. Certes, les banques nous ont encouragés à nous endetter, mais nous avons aussi accepté de leur obéir. A force de tout acheter à crédit, nous avons oublié que les objets avaient un prix », regrette le philosophe Pall Skulason, interviewé par le quotidien La Croix. Et le sociologue Jakob Smari d’ajouter : « Nous nous sommes enivrés de ces légendes d’ancêtres Vikings auxquels rien ne résiste pour aller toujours plus loin dans nos ambitions financières, en jouant avec des outils bancaires que nous ne maîtrisions pas. Comme s’il était possible de comparer les conquêtes des Vikings et la gestion de fonds de pension. »
La colère des Islandais est d’autant plus forte que le pays a toujours disposé d’atouts pour réussir : une population éduquée, des institutions stables et démocratiques, de l’espace, un savoir-faire technologique, des entreprises innovantes, des ressources énergétiques… Les pessimistes diront que le gâchis est énorme. Les optimistes répondront que le pays a les moyens de rebondir, une fois son système financier assaini. « L’Islande s’est détournée des valeurs qui faisaient sa fierté comme le respect de l’environnement, un mode de vie simple et communautaire, une parfaite égalité homme-femme, une grande tolérance sociale… Tout ça pour quoi ? Pour nous enrichir, posséder des gros 4X4 et des téléviseurs à écran plat. Aujourd’hui, nous nous en mordons les doigts », s’emporte le militant écologiste Arni Finnson, dans L’Express. « Il aurait été possible de concilier la modernité, l’amélioration de nos conditions de vie avec le respect de nos valeurs sociales. Mais nous sommes allés trop vite. Nous avons misé sur la finance, et non sur l’économie réelle », modère Pall Skulason.

Retrouver les « racines vertes » du pays

Outre les plans de sauvetage économique et l’intervention du Fonds monétaire international (FMI), certains suggèrent, pour sortir l’Islande de la crise, que le pays retrouve ses racines vertes. C’est le cas de la plus célèbre des Islandaises, la chanteuse Björk. Associée à la société financière Augur Capital, celle-ci a créé un fonds de 100 millions de couronnes (574 000 euros) qui « investira dans des entreprises socialement et écologiquement durables qui mettent en valeur les ressources naturelles et culturelles de l’Islande ». Les secteurs privilégiés seront la pharmacie, l’informatique et les énergies renouvelables. « Nous rejetons l’idée que les intérêts financiers n’aillent pas de pair avec les bénéfices sociaux, et nous sommes déterminés à guérir l’Islande de ses maux », écrit la chanteuse sur son site Internet. Autre particularité de ce fonds d’investissement : il est exclusivement géré par des femmes, « afin d’introduire les valeurs féminines dans le monde de la finance ».
Björk a aussi pris la tête du combat contre la construction de deux hauts-fourneaux à aluminium et des barrages pour les alimenter. Un projet décidé par le précédent gouvernement conservateur et confié aux géants miniers Alcoa et Rio Tinto. Selon Björk, ces hauts-fourneaux – les plus grands d’Europe – détruiront l’environnement. Comme elle le confiait au quotidien The Times : « Nous devons cesser de mettre tous nos œufs dans le même panier. Hier la pêche, aujourd’hui la finance, demain l’aluminium. Cela conduit à un désastre. Profitons de cette crise économique pour adopter un comportement responsable, faire le choix d’activités de pointe inscrites dans le développement durable, soutenir les entreprises de petite taille et les gens ordinaires. »

Une cohésion sociale à reconstruire

Au pays des geysers et des lacs bleu glacé, la tourmente financière provoque également une crise de confiance. La société islandaise est habituellement consensuelle (d’où le caractère exceptionnel des manifestations), et elle découvre là que ses banquiers, ses élus, ses entrepreneurs lui ont menti. On a abusé de la confiance des citoyens. Comme l’explique l’économiste Gunnar Haraldsson : « Les banques et les industriels entretenaient des relations incestueuses, les unes appartenant aux autres. Dans un si petit pays, les intérêts croisés de la politique, de l’économie, des médias se recoupent sans cesse. Les rapports alarmistes des experts étrangers ont été ignorés car les contre-pouvoirs ne fonctionnent pas. » Une analyse partagée par le sociologue Jakob Smari : « Nous sommes un petit pays d’à peine 320 000 habitants, dont 70 % vivent à Reykjavik, la capitale. Tout le monde connaît tout le monde ; cela devient ingérable. Les liens d’amitié, de parenté, de travail s’entremêlent. D’où des silences et des compromissions. Nous ne sommes peut-être pas faits pour cette mondialisation avec laquelle nous avons joué financièrement. » La cohésion de l’Islande est mise à rude épreuve, entre ceux qui ont perdu toutes leurs économies et ceux qui veulent que l’on efface leurs dettes. Les gens qui n’ont pas pris de risques vont devoir payer pour ceux qui en ont pris. Une perspective mal acceptée. De nombreux jeunes disent vouloir s’expatrier pour ne pas avoir à assumer les dettes de leurs parents sur des générations.
Face à la crise, les Islandais réalisent aussi qu’ils sont seuls. Pendant la guerre froide, le pays abritait une base de l’Otan et était courtisé par Washington tout en bénéficiant des faveurs intéressées de Moscou. Depuis, les enjeux géostratégiques ont changé et l’île, isolée dans le vent glacial de l’Atlantique nord, a perdu de son importance. Reykjavik a obtenu, ces dernières semaines, une aide financière des pays scandinaves. Mais l’Union européenne ne se mobilise guère pour un pays qui ne fait pas partie des 27. Bruxelles doit déjà gérer une situation économique assez difficile dans l’UE pour ne pas intervenir en faveur d’un lointain voisin qui a été averti des risques qu’il prenait et dont la quasi-faillite a, en outre, provoqué des difficultés en cascade pour des entreprises et des banques, notamment au Royaume-Uni, en Hongrie et dans les Pays Baltes. Son image de pays idéal, respectant l’environnement et la justice sociale, qui attirait de nombreux touristes, a pris aussi un coup. Comme le résume Jakob Smari : « L’Islande se réveille avec une sacrée gueule de bois. Mais elle est toujours vivante. Elle va devoir reconstruire son économie et repenser ses valeurs. Elle en aura la force. »


Jean Piel

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