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17/02/2009 | |||
Questions internationales (1) Déserteurs au Canada pour échapper à la guerre en Irak | |||
(MFI) Pour sa première visite officielle à l’étranger, Barack Obama se rendra le 19 février 2009 au Canada. Outre les traditionnels dossiers bilatéraux – commerce et diplomatie –, un autre sujet pourrait être abordé : le sort des 300 déserteurs américains qui, pour ne pas aller se battre en Irak, se sont réfugiés au Canada. Ottawa refuse de leur accorder un permis de résidence ; Washington n’envisage pas de les amnistier. Leur situation est donc précaire, malgré l’aide qu’ils reçoivent d’associations caritatives. Améliorer le recrutement permettrait de limiter le risque de désertion. | |||
Les désertions sont-elles fréquentes dans l’armée américaine ? Si l’on compare le nombre de ceux qui prennent la poudre d’escampette au nombre d’engagés, la désertion reste un phénomène marginal. L’armée américaine (terre, air, mer) compte 1,4 million d’hommes, et on a enregistré en 2007, selon le Pentagone, 4 698 désertions. Il s’agit de soldats ayant quitté leur unité pendant plus de trente jours. Le premier mois, les fuyards sont simplement considérés comme « absent sans motif officiel » (AWOL, absent without official leave). Au-delà, ils deviennent déserteurs, inscrits au fichier des personnes recherchées par le FBI. L’infanterie est la plus touchée par ce problème, avec 1 % de ses effectifs en fuite. Mais on peut avoir une autre lecture des chiffres et constater que le nombre de déserteurs a augmenté de 85 % depuis le début de la guerre en Irak, en 2003. Cette année-là en effet, l’armée américaine n’avait enregistré que 2 436 désertions. Comme l’explique dans Time Magazine Jeffrey House, un avocat américain installé au Canada et spécialiste de ce dossier : « Depuis le début du conflit, l’armée enregistre chaque année environ 5 000 désertions. Il est difficile d’obtenir des chiffres fiables ; certains évoquent un pic à 8 000 déserteurs en 2006, lorsque la guerre s’enlisait et que les boys subissaient des pertes croissantes. L’armée ne mène pas d’opérations d’envergure pour les retrouver, mais ils ont contre eux un mandat fédéral pendant quarante ans. Ils peuvent donc être arrêtés lors d’un contrôle routier ou pour une simple erreur fiscale. Au demeurant, la moitié des déserteurs sont repris dans l’année qui suit leur fuite. » Quelles sont les motivations de ceux qui partent au Canada ? « J’ai fait le choix de quitter mon pays que j’aime, de peut-être ne jamais revoir ma famille, de vivre dans la clandestinité. Tout vaut mieux que de repartir en Irak. » C’est ce qu’expliquait David Anderson, un parachutiste du Kentucky, au quotidien québécois Le Devoir. Et d’ajouter : « Comme la majorité des Américains, en 2003 j’ai approuvé cette guerre. Je pensais que les Etats-Unis faisaient du bon boulot en Irak, qu’on allait définitivement se débarrasser d’Al-Qaïda et du terrorisme. Mais quand mon unité a été envoyée sur place, j’ai découvert une toute autre réalité. On m’a obligé à tirer sur des civils innocents. Les enfants qui couraient vers nos camions le jour pour recevoir des bonbons se faisaient tirer dessus s’ils couraient vers ces mêmes camions le soir. J’ai entendu des discours de haine contre les Irakiens et contre l’islam chez certains collègues. J’ai vu un sous-officier allumer sa cigarette sur le cadavre en flamme d’un Irakien. Tout cela m’a fait réfléchir sur le sens de cette guerre et la valeur de notre armée. » Sergent dans la prestigieuse 101e Airborne, Patrick Hart tient le même discours dans le Globe and Mail : « J’ai longtemps été fier d’être soldat dans l’armée américaine. J’ai participé à des missions en Yougoslavie, en Afghanistan, au Koweït. Mais en Irak, tout a déraillé. J’ai assisté à une vingtaine de fouilles de maison où les habitants, désarmés, se sont fait tuer sans raison. Les officiers nous disaient : “ Ne prenez pas de risques. Tirez d’abord ; le service de presse s’excusera ensuite. ” Des vidéos circulaient où l’on voyait des exécutions sommaires, des GI’s jouer au football avec la tête d’un Irakien. Et puis il y a eu l’affaire d’Abu-Ghraib. J’ai eu honte alors de servir dans cette armée. » Michelle Robidoux, porte-parole de la Campagne d’appui aux résistants à la guerre, un collectif de soutien qui regroupe une quarantaine d’ONG de défense des droits de l’homme, d’associations religieuses, de partis de gauche, de syndicats, précise : « Les déserteurs réfugiés au Canada ne sont pas des militants politiques, ni des pacifistes. Ils sont tous jeunes, issus de milieux modestes. Ce sont de vrais patriotes, même si généralement ils se sont engagés pour des raisons économiques ou pour pouvoir poursuivre leurs études. Ils n’ont rien contre l’armée a priori, certains ont même été décorés pour acte de bravoure. C’est ce qu’ils ont vu en Irak qui les a décidés à déserter » (voir interview ci-après). On compterait actuellement 300 déserteurs américains au Canada. Une quarantaine seulement ont choisi de demander l’asile politique et de s’exprimer publiquement. Les autres vivent dans la clandestinité. Généralement, ils ont profité d’une permission pour s’enfuir, parfois seul parfois avec femme et enfants. Le Canada apparaît comme une destination naturelle. Le pays est frontalier des Etats-Unis. Un simple permis de conduire suffit à passer la frontière, surtout près des sites touristiques comme les chutes du Niagara. La proximité culturelle et linguistique avec l’Oncle Sam aide les déserteurs à se fondre dans la masse. « Si l’on reste discret, le risque d’être expulsé est limité. Travailler ici, même pour un clandestin, n’est pas difficile si l’on accepte tout type de boulot. Il y a beaucoup moins de risque d’être arrêté qu’aux Etats-Unis », confiait ainsi, sous couvert de l’anonymat, l’un de ces déserteurs au quotidien Le Devoir. Comme tout clandestin, leur situation reste néanmoins précaire Comment les Canadiens accueillent-ils ces déserteurs ? Si les déserteurs sont considérés comme des traîtres et des lâches aux Etats-Unis, ce n’est pas le cas au Canada, réputé plus progressiste et pacifiste. La population affiche une certaine sympathie à leur égard ; des associations caritatives leur viennent en aide. Selon un sondage réalisé en juin 2008 par Angus Reid Strategies, 64 % des Canadiens sont favorables à ce que ces déserteurs puissent rester dans le pays à titre de résidents permanents. Le pourcentage est encore plus élevé au Québec (70 %). Ottawa, il est vrai, a toujours été opposé à la guerre en Irak et refusé d’envoyer des soldats sur place ; 83 % des Canadiens affirment leur hostilité à l’intervention américaine dans l’ancienne Mésopotamie. De nombreux Américains déserteurs de la guerre du Vietnam vivent aussi au Canada, depuis maintenant près de quarante ans, et ils constituent des relais d’opinion efficaces. La participation du Canada à la force multinationale en Afghanistan – et surtout le renforcement de sa mission depuis 2005 – a quelque peu changé le regard sur les déserteurs américains. D’autant que 107 soldats canadiens ont été tués sur le sol afghan. « Ils se sont engagés volontairement dans l’armée ; personne ne les a obligés. Avant de signer, ils auraient dû songer qu’un soldat peut être amené à faire la guerre », entend-on parfois à Toronto ou Ottawa. Lorsque l’un de ces déserteurs, Jeremy Hinzman, a demandé l’asile politique, deux quotidiens, le Globe and Mail et le National Post, ont titré identiquement leur éditorial : « Un déserteur, pas un réfugié ». Néanmoins, le courant de sympathie reste largement majoritaire dans la population canadienne. Et quelle est la position des autorités canadiennes ? Dans les années soixante, le Canada a ouvert ses portes à ceux qui refusaient de servir au Vietnam. Près de 50 000 Américains se sont réfugiés chez leur voisin, et le Premier ministre, Pierre Elliot Trudeau, avait alors déclaré : « Je veux faire du Canada un refuge contre le militarisme. » Déserteur à l’époque et aujourd’hui avocat de plusieurs de ceux qui refusent de combattre en Irak, Jeffrey House se souvient : « Dans les années soixante, il suffisait de se présenter à la frontière et de remplir quelques papiers pour obtenir le statut d’immigrant avec un permis de travail. Certains précisaient qu’ils refusaient d’aller au Vietnam, d’autres ne disaient rien. Aujourd’hui, mes clients n’ont pas cette chance. » Depuis en effet, les lois canadiennes sur l’immigration se sont durcies. Surtout, à l’époque de la guerre du Vietnam, les soldats étaient des appelés. Aujourd’hui, ce sont des engagés. « Faire la guerre est leur job », résument ceux hostiles à leur présence. Pour leur défense, les déserteurs américains qui ont réclamé le statut de réfugié politique rappellent le caractère injustifié et illégal de l’intervention américaine en Irak, puisqu’elle s’est faite malgré l’opposition de l’Onu. Ils rappellent aussi les affaires qui ont choqué l’opinion internationale, comme le scandale de la prison d’Abu Ghraib, le massacre de Falloujah, les meurtres de civils par des GI’s. Ils soulignent enfin que, s’ils sont renvoyés aux Etats-Unis, ils risquent d’être emprisonnés, de subir des représailles, d’être définitivement exclus socialement. Autant d’arguments qui n’ont pas convaincu les magistrats canadiens, en première instance comme devant la Cour suprême. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a annoncé qu’elle n’examinerait pas la question de la légalité de la guerre en Irak, apprécier la politique étrangère des Etats-Unis ne relevant pas de sa compétence. Certains observateurs soulignent en outre que le conflit a été de facto légitimé par la résolution des Nations unies du 8 juin 2004, reconnaissant la fin de l’occupation et le transfert du pouvoir à un gouvernement irakien souverain. Les magistrats canadiens ont aussi estimé que les déserteurs ne risquaient pas d’être persécutés aux Etats-Unis, mais qu’ils auront droit à un procès juste où leurs avocats pourront s’exprimer. Mais pour Lee Zaslofsky, l’un des animateurs de la Campagne d’appui aux résistants à la guerre, cité par L’Express : « Le conflit en Irak pose un problème particulier puisqu’il est illégal. On ne peut pas exiger d’un soldat qu’il participe à un massacre. La loi leur permet de refuser d’obéir à des ordres manifestement illégaux. » Reste qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours, trois déserteurs américains ont été expulsés vers les Etats-Unis. Deux autres devraient l’être dans les prochaines semaines. De retour dans son unité, l’un des expulsés a été condamné à quinze mois de prison (la peine maximale est de cinq ans). « Le problème n’est pas la peine de prison, qui est déjà excessive, c’est l’inscription au casier judiciaire qui va lui barrer l’accès à certains emplois, à des crédits, à l’obtention de visas. C’est cher payé pour avoir refusé de participer à des massacres », insiste Michelle Robidoux. Les déserteurs américains ont reçu l’appui des trois partis d’opposition qui, le 4 juin 2008, ont adopté une résolution réclamant qu’on leur octroie un permis de résidence permanent. Mais le gouvernement conservateur de Stephen Harper – pourtant minoritaire – a annoncé qu’il ne tiendrait pas compte de cette résolution. Stephen Harper ne veut pas que ce dossier – qui ne concerne que 300 déserteurs au Canada – n’envenime les relations entre Washington et Ottawa. Il ne veut pas non plus qu’une éventuelle clémence n’attire des milliers de déserteurs américains dans le pays. Le problème ne vient-il pas aussi du mode de recrutement dans l’armée américaine ? L’élection de Barack Obama ne devrait pas résoudre le problème. Le nouveau président américain est certes opposé à la guerre en Irak et il a promis d’évacuer les unités combattantes d’ici l’été 2010. Mais de là à heurter la hiérarchie militaire en amnistiant les déserteurs, il y a loin. D’autant que Barack Obama s’est aussi engagé à recruter 182 000 soldats supplémentaires. Les critères de sélection devront être revus car ils contribuent aux désertions. Plusieurs des soldats réfugiés au Canada se sont engagés davantage pour des raisons économiques que par amour des armes. « J’avais 17 ans, aucun diplôme et guère de perspectives d’avenir dans ma petite ville du Texas. Des sergents recruteurs m’ont abordé dans un centre commercial, m’ont promis 6 000 dollars immédiatement et 20 000 dollars à ma démobilisation si je m’engageais pour quatre ans et suivais une formation. J’ai tout de suite signé. C’est seulement après que j’ai appris que mon régiment partait pour l’Irak », raconte, dans L’Express, Brandon Hughey. De son côté, Corey Glass s’était engagé dans la Garde nationale pour faire du travail humanitaire ; il avait alors 19 ans. Les recruteurs, rencontrés dans la rue, lui avait promis que jamais il ne serait envoyé sur un champ de bataille. Résultat : il s’est retrouvé à Bagdad alors qu’il souhaitait participer à la reconstruction de la Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina. « L’armée devrait dire la vérité aux jeunes recrues au lieu de leur promettre monts et merveilles, puis de les envoyer au casse-pipe. Si l’armée est une si bonne institution, pourquoi mentir pour qu’on la rejoigne ? », accuse Corey Glass. La pratique ne semble pas avoir changé au moment où l’armée américaine est 8 % en dessous de ses objectifs de recrutement. Les primes d’engagement pour les personnels qualifiés peuvent atteindre 40 000 dollars. Les critères de sélection sont revus à la baisse : 11,7 % des nouvelles recrues en 2008 avaient un casier judiciaire, 17 % ont connu un problème de drogue ou d’alcool. Le nombre de dérogations médicales, pour asthme ou hypertension, a augmenté de 4 %. Sur les 1,4 million de soldats américains, 82 000 ont moins de 20 ans. Quant à la Garde nationale – dont la mission première est effectivement l’aide aux populations en cas de catastrophes – elle constitue toujours 40 % des soldats présents en Irak. Parallèlement, 30 % des nouvelles recrues en 2007 ont quitté l’armée dans les six premiers mois de leur contrat, comme la loi les y autorise, et le numéro vert d’aide aux soldats voulant se reconvertir a vu le nombre de ses appels doubler entre 2004 et 2008. Pendant ce temps-là, les 300 déserteurs réfugiés au Canada espèrent que le gouvernement d’Ottawa finira par leur accorder un permis de résident. Sans se faire trop d’illusions. | |||
Jean Piel | |||
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