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02/06/2009
Faut-il rnover la dmocratie ? (3)
Progrs ou recul ? La dmocratie en Afrique lpreuve


(MFI) Vue dAfrique, la dmocratie suscite tour tour des lans despoir et des points de vue dsesprs. Toutefois la tendance, ces dernires annes, est plutt au pessimisme, considrer ltat dune vie politique marque par les restrictions apportes au droit et aux liberts, quand ne dominent pas coups dEtat et dsastres humanitaires.



Premier constat densemble peu discutable, effectu par la revue Pouvoirs (1) : lAfrique a activement install les institutions cls de la dmocratie, ouvrant tout un chantier de cration constitutionnelle qui a donn un cadre formel, ncessaire pour permettre la dmocratie de spanouir (2). Avec cette dynamique, la logique du pluralisme sest impose partout, entranant une reconnaissance des liberts fondamentales qui a permis des degrs significatifs lclosion dun milieu associatif et dune presse pluraliste. Enfin lexercice lectoral sest gnralis, a amlior partout ses procdures, et a permis ici et l des alternances.
Proclamation des droits et liberts, reconnaissance dune opposition politique, encadrement juridique du pouvoir et organisation d lections disputes figurent parmi les lments dancrage de la dmocratie dans un milieu politique qui, il faut le rappeler, revient de loin. Lautre versant du bilan fait apparatre que ces atouts acquis ds le dbut de la dcennie 1990 apparaissent comme fragiles, face de multiples rsistances : lEtat de droit est en particulier menac par une forme dhypertrophie du pouvoir prsidentiel qui rduit peu de choses le principe de la sparation des pouvoirs ; ensuite, le socle constitutionnel (la stabilit constitutionnelle est une ncessit de lEtat de droit) est amoindri par des manipulations et coups de force juridictionnels multiples, notamment lorsquil sagit de prolonger les mandats prsidentiels.
Plus technique mais non moins importante est lobservation selon laquelle les nouvelles institutions (cours constitutionnelles, cours suprmes) nont pas occup tout lespace qui leur tait offert, et luniversitaire sngalais Babacar Gueye pointe la faiblesse de la jurisprudence constitutionnelle . Enfin la dmocratie en Afrique est menace en permanence par la rsurgence des conflits arms, des coups dEtat et le prjudice que font subir la dmocratie des lections mal organises, truques ou contestes dans un climat passionnel.

Des rgimes hybrides, domins par lautoritarisme

Lorsque le politologue Patrick Quantin sinterroge sur les caractristiques actuelles des dmocraties en Afrique, cest pour noter dfaut dun modle unique la prdominance de rgimes hybrides, tiraills entre deux ples : la dmocratie lectorale et l autoritarisme lectoral . Les anciens chefs dEtat ont en effet opr une conversion russie la dmocratie formelle, mais avec eux lautoritarisme la emport, combinant des lments de dmocratie avec des pratiques autoritaires : on a alors un certain degr de comptitivit lectorale, mais sous lgide dun contrle efficace du pouvoir. Si efficace, dailleurs, qu une victoire de lopposition (nest) pas impossible, (mais) requiert un degr de mobilisation, dunit, de comptence et dhrosme qui surpasse de loin ce qui serait normalement ncessaire dans une dmocratie .
Il manque sans doute un lment cette analyse de la dmocratie en Afrique : le fait que, mme dans les pays ayant acclimat de longue date le pluralisme (exemple du Sngal), on a du mal distinguer aujourdhui un modle positif, caractris par un leadership fond sur des valeurs et des pratiques dignes de respect. Et o la justice, cette composante fondamentale de lEtat de droit, ne ferait pas
comme cest le cas lobjet dune dfiance gnralise. Le juriste Thdore Holo examine ainsi le rle de la justice constitutionnelle, en prenant lexemple du Bnin o le rle de la Cour constitutionnelle apparat comme crucial, au point dinspirer davantage confiance que la justice ordinaire.

Dmocratie relle ou preuves de dmocratie ?

Ce modle dmocratique, pourrait-on toutefois le trouver en Afrique du Sud ? Xavier Philippe en doute, qui pointe les limites du systme sud-africain, notamment travers la prdominance absolue de lANC rige en vritable parti-Etat. Certes, il existe des aspects trs positifs : telle la constitution dAfrique du Sud, trs dtaille pour ce qui concerne la mise en uvre des droits fondamentaux, et relaye par une Cour constitutionnelle active ; le rgime se singularise aussi par une relle rpartition des pouvoirs et lexistence dun parlement fort ; enfin par lexistence dautorits indpendantes dans des domaines trs divers, qui constituent un vritable quatrime pouvoir .
Un constat plutt optimiste : celui de lhomme daffaires Lionel Zinsou, qui voit moins de dmocratie en Afrique que de preuves de dmocratie . Y compris au milieu des troubles, de tels indices encourageants sont apports par la monte en puissance des forces dmocratiques, notamment en 2007 et 2008 au Kenya et au Zimbabwe. Enfin demeure un enjeu, celui du dveloppement, si lon admet quil y a une correspondance entre les avances, ici et l, de la gouvernance et les progrs de lconomie. Or, par del les preuves de pauvret, le continent connat depuis au moins une dcennie une croissance continue.


(1) La dmocratie en Afrique, Pouvoirs, ditions du Seuil, 2009, 18 euros
(2) Babacar Gueye rappelle notamment dans son article introductif limportance historique des Confrences nationales souveraines, qui dans leur redistribution solennelle des pouvoirs ont t une vritable invention de lAfrique subsaharienne, et une contribution trop peu prise en compte du continent aux formes de la dmocratie.


La tradition contre la dmocratie ?

(MFI) Sinterrogeant sur le rle de la tradition dans la construction dmocratique en Afrique subsaharienne, Jean-Franois Bayart note que le rapport de la tradition la modernit est en soi ambivalent dun point de vue politique. Il peut lgitimer aussi bien lautoritarisme que la dmocratie . Luniversitaire franais dmonte ici tous les arguments dune pense parfois diffuse selon laquelle la tradition soppose la dmocratie, et rendrait en raison de sa puissance lAfrique peu apte la dmocratie. Sa dmonstration, nourrie de nombreux exemples, tend vers une observation principale : la tradition africaine, qui nest ni fige ni univoque, apparat souvent comme une reconstruction trs actuelle ; en outre elle est relativement neutre, jouant aussi bien en faveur du conservatisme que comme facteur de rsistance au pouvoir, selon des modalits
multiples. Enfin cette tradition revendique savre surtout un outil idologique trs plastique, au service dintrts politiques : politique est la revendication divoirit en Cte dIvoire ; politique est la stratgie dun Robert Mugabe, arc bout sur son refus de lalternance.
T.P.

Constitutions africaines : lart du copi/coll

(MFI) Sil est vrai (et ceci ds les indpendances) que les lois fondamentales en Afrique sont fortement inspires des lois en vigueur en Occident, spcialement chez les ex-colonisateurs, et sil est vrai que le phnomne a resurgi avec la dmocratisation institutionnelle des annes 1990, laccusation de mimtisme lgard des institutions adoptes en Afrique serait sans fondement, selon Jean du Bois de Gaudusson. Tout dabord, au moment de rdiger les textes constitutionnels, il y a eu choix de la part des lites africaines, et choix parfois explicitement assum ; ensuite il est faux de dire que leffet de familiarit dun texte lautre signifie que les rgimes constitutionnels sont identiques. Enfin, il faut le rappeler : nous vivons une poque de standardisation des normes et textes constitutionnels dans le monde, et les cadres juridiques qui se diffusent poussent la convergence du droit. Reste, bien sr, que lautonomie des Africains est, en raison de leur dpendance globale, moins grande quelle pourrait ltre dans le contexte dun dveloppement favorable.
T.P.


Thierry Perret

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