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Liberté de la presse

Portraits croisés

Ibrahim: un rescapé de l'enfer Sierra-léonais

L'histoire d'Ibrahim Seaga Shaw est rocambolesque. Mais elle est surtout révélatrice des risques encourus par certains journaliste en Sierra-Leone, pays qui a encore du mal à tourner le dos à la guerre civile.
Fondateur de l'hebdomadaire sierra-léonais Expo Times, Ibrahim Seaga Shaw commençait à installer solidement sa réputation, lorsque sa vie a basculé, en février 1998. La Sierra-Leone vivait alors les derniers jours d'un régime militaire qui avait renversé le président élu Amhad Tejan Kabbah et s'était allié aux tristement célèbres rebelles du RUF. Seaga Shaw n'était pas forcément favorable à la junte, mais il n'était pas non plus apprécié du chef de l'Etat déchu, avec lequel il avait eu des démêlées. Or, en ce jeudi 6 février 1998, la Force ouest-africaine d'interposition, dominée par les militaires nigérians, venait de lancer une offensive devant mener au retour de Kabbah au pouvoir. Et le patron de l'Expo Times était sur la liste des hommes à abattre. «Après neuf mois de régime militaire, quand ils ont choisi l'usage de la force pour régler le conflit, ce que mon journal a toujours refusé, nous avons été catalogués comme supporters de la junte. C'était une erreur. Mais à ce moment, il valait mieux ne pas attendre qu'ils viennent pour leur expliquer.» Quand les soldats nigérians arrivent chez lui, tenant en main une de ses photos, il a déjà pris la fuite. Direction la Guinée. «J'ai marché, parfois à travers la brousse, parfois caché à l'arrière d'un véhicule, pour échapper aux contrôles. Finalement, je suis arrivé à la frontière. C'était dangereux puisque la Guinée soutenait Kabbah. Mais j'ai en fin de compte réussi à passer.»

Grâce à l'aide de proches, il reste plusieurs mois sous une fausse identité guinéenne à Faranah, ville natale de Sékou Touré. Mais il y ronge son frein. «C'était difficile pour moi. Imaginez, j'avais mon journal, j'employais vingt-cinq personnes, ma publication avait même obtenu un prix en 1996.» En septembre, il décide de tenter sa chance en Europe, avec le soutien de ses frères et s£urs installés à Londres. Mais après son départ de Conakry, il est arrêté lors d'une escale à Dakar, dénoncé comme «rebelle» par un confrère sierra-léonais voyageant dans le même avion. De retour à Conakry, après avoir évité de peu un vol direct vers Freetown, sa deuxième tentative sera la bonne.

Arrivé à Paris sous un faux nom, Ibrahim n'est pourtant pas au bout de ses peines. «J'ai décliné ma véritable identité. Evidemment, ils ne m'ont pas cru.» Une fois de plus, il échappe de justesse à l'expulsion. «J'ai contacté Reporters sans frontières qui connaissait mon nom et m'a aidé en écrivant au ministère des Affaires étrangères. Mais il était moins une.» Depuis, le journaliste sierra-léonais vit entre Paris et Londres, où il a repris des études. «Ce n'est pas facile de s'en sortir, surtout pour le logement», se plaint-il. Sans travail stable, après un passage au service anglais de l'Agence France presse et quelques «piges», il a décidé de relancer son journal sur Internet avec l'aide d'associations britanniques. «J'ai été journaliste toute ma vie, je ne me vois pas faire autre chose.» Il reconnaît que l'initiative ne paie pas encore, du moins en espèces sonnantes et trébuchantes. Mais il garde espoir: «J'espère bien gagner ma vie avec dans un avenir proche.»

Issa Nyaphaga: peintre sur cheveux

Exilé en France depuis 1996, Issa Nyaphaga a abandonné l'une de ses vocations, dessinateur de presse, pour celle de peintre. Avec succès. Initiateur d'une technique originale, la peinture sur cheveux, ce jeune créateur commence faire son chemin dans les méandres des galeries parisienne.

Son premier amour était la peinture. Mais c'est en tant que dessinateur de presse qu'Issa Nyaphaga s'est fait connaître au Cameroun. Comme nombre de villes africaines dans les années 90, Douala, où il est alors installé, connaît la ferveur démocratique. La presse se libéralise et réclame des caricaturistes. Issa s'enthousiasme pour cette forme de création. Pendant plusieurs années, il va exercer ses talents au Moustique déchaîné, puis à Galaxie, avant de rejoindre le Messager-Popoli, hebdomadaire satirique qui décline l'information en bande-dessinée.

Mais le ton du journal, qui n'hésite pas à s'attaquer au pouvoir en place, a le don d'énerver les dirigeants camerounais, comme sa version écrite, le Messager, journal d'opposition dirigé par Pius Njawé. Et l'on trouve bientôt les dessins d'Issa trop osés. Au point qu'il se retrouve pour deux semaines en prison, en 1996. A sa sortie, il préfère quitter son pays pour la France. Comme d'autres, le dessinateur doit emprunter le parcours du combattant de tout réfugié. «Au début, c'est difficile. Il faut s'armer de patience. Quand on dépose un dossier, cela peu prendre du temps. Pour certains sept, voire huit ans. En ce qui me concerne, j'ai attendu un an.»

«Le problème c'est qu'entre temps on ne peut pas travailler», déplore-t-il. Mais il parvient tant bien que mal à poursuivre une activité. «Au premier trimestre de mon arrivée, j'ai pu passer du temps à la rédaction de l'hebdomadaire Charlie Hebdo, qui m'a soutenu dans mes démarches auprès de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides).» Par la suite, Issa passe par la rédaction de l'Autre Afrique, un hebdomadaire panafricain, qui a cessé de paraître depuis. Mais il est surtout revenu à sa passion initiale : la peinture. Créateur d'une technique originale, la peinture sur cheveux qu'il a baptisée «capillarisme», il a abandonné son métier de dessinateur de presse pour se consacrer uniquement à son art. Avec un certain succès, puisqu'il expose régulièrement à Paris et commence à vendre ses toiles à l'étranger. La carrière ne nourrit pas toujours son homme, mais elle lui vaut un début de reconnaissance. «J'ai eu beaucoup de chance, juge Issa. J'ai beaucoup fait jouer le relationnel. Mais je dois cela aussi, comme d'autres, à ma détermination. Il ne faut pas se laisser faire.» A 33 ans, il a beau regretter son métier de dessinateur de presse, il considère avec philosophie son passage en France comme une «mise à l'épreuve».



par Christophe  Champin

Article publié le 23/11/2000