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Liberté de la presse

L'amer exil des journalistes africains

Ils sont Algériens, Camerounais, Sierra-léonais, Tchadiens ou Congolais. Persécutés pour avoir fait leur métier de journaliste, ils ont choisi la France pour terre d'accueil. Mais beaucoup ont découvert un autre parcours du combattant. Témoignages, entre «galère» et espoir.
Il y a un peu plus de deux ans, Lakhdar Khelfaoui était responsable et chroniqueur satyrique d'un hebdomadaire arabophone indépendant, Al Kilâa, dans l'Est de l'Algérie. Mais en février 1998, usé par les suspensions à répétition et les pressions des autorités, il a décidé de quitter clandestinement son pays pour la France. «J'ai laissé mon pays après avoir lutté longtemps contre le système. Et puis j'ai perdu le souffle de me battre. Le harcèlement, les menaces, la justice : c'était trop, surtout pour ma famille.» Très vite, Lakhdar a pourtant déchanté. Bien sûr, il y a eu l'aide d'associations comme Reporters sans frontières (RSF), qui assiste autant que possible les journalistes exilés en situation précaire. Mais il a passé de longs mois entre foyers pour immigrés et chambres d'hôtels bon marché, et n'a trouvé que tout récemment un petit deux pièces, pour lui-même sa femme et ses deux jeunes enfants. Et surtout, Lakhdar, qui avait assis sa réputation en Algérie, peine aujourd'hui à joindre les deux bouts. Ses quinze années de carrière ne pèsent pas lourd dans le milieu fermé de la presse parisienne, surtout quand on est arabophone: « Je peux à peine payer un café à un ami. J'écris de temps à autre pour un journal en langue arabe à Londres ou un autre au Yemen. Mais je vis surtout sur le minimum, c'est à dire le Revenu minimum d'insertion (RMI).» Lakhdar se considère comme nombre de réfugiés, «dans une foutue galère».

A peu de choses près son itinéraire ressemble à celui de beaucoup de journalistes africains exilés en France. Vingt à trente d'entre eux y obtiennent chaque année le statut de réfugié, selon Reporters sans frontières (RSF). «Il y a eu un gros pic dans les 1994/95 avec la multiplication des assassinats de journalistes en Algérie. Beaucoup sont venus. Nous avons géré presque 2000 dossiers de journalistes exilés, dont la majorité est rentrée», explique Jean-François Julliard, responsable de l'Afrique à RSF.

Paradoxalement, l'augmentation du nombre de journalistes africains exilés, depuis une décennie, est le pendant de la libéralisation de la presse. Plus les titres privés se sont multipliés, plus certains régimes accrochés aux vieilles habitudes du parti unique se sont attaqués aux professionnels des médias.

Eyoum Nguanguè, journaliste camerounais réfugié en France depuis trois ans, en sait quelque chose. Rédacteur en chef adjoint et éditorialiste vedette du Messager, l'un des principaux titres de la presse privée, il a été condamné et incarcéré en 1997 pour outrage au président de la république et aux membres du parlement. Libéré sous caution, il a préféré l'exil à de nouvelles démêlées avec le pouvoir. Arrivé à Paris, il a fait comme tout le monde. Il s'est «débrouillé», mieux que d'autres peut-être, entre RMI, collaboration épisodique à des organisations non-gouvernementales, rédaction d'un ouvrage sur la presse et même reprise de ses études. Mais à 33 ans, il jette un regard désabusé sur ses années d'exil : «Dès qu'on arrive on est obligé de rentrer dans le rang, d'oublier sa profession. On se met dans le rang comme monsieur x ». Mais, reconnaît-il, «le fait d'avoir été journaliste peut faciliter l'obtention de l'asile politique parce qu'on a des preuves, on a des articles écrits. Ce sont les seuls avantages qu'on a». Il analyse aussi avec amertume la situation de nombre de ses confrères africains exilés: «La plupart sont chômeurs, ils n'exercent pas d'activités du tout. Ce sont des gens qui ont été très actifs dans leur passé. Ils se sont vraiment engagés dans la presse. Il y a plusieurs talents qui sont en train de mourir comme cela.» La plupart ont en effet du mal à trouver leur place dans la presse française. «Au Cameroun, dès qu'il y avait un journaliste étranger on l'accueillait comme il se doit. Mais ici peu de journalistes sont concernés par notre cause. C'est un peu un regard de haut, qu'on nous lance.»

Avec l'association Journalistes africains en exil (JAE), qu'il a créée avec un groupe d'amis, il souhaite servir de relais avec l'administration. Mais il ambitionne aussi de créer un site Internet où toutes ces compétences inutilisées pourraient s'exprimer. L'idée étant à terme de rémunérer les collaborations. Eyoum Nganguè est aussi à l'origine d'un ouvrage collectif, Lettres à nos mères restées au pays, qui vient de paraître aux éditions L'Harmattan. Un recueil de textes écrits sous forme de lettre par des journalistes installés en France. Certains ont préféré garder l'anonymat par peur des représailles. Tous jettent un regard le plus souvent amer sur leur vie d'exil. Après les persécutions dans leurs pays, ils racontent leurs espoirs, leurs «galères», mais aussi pour quelques-uns comment ils sont parvenus à se faire une place en France. Un premier pas, peut-être, vers une reconnaissance.

Comment la France traite l'asile politique. Lettres à nos mères restées au pays, par l'association Journalistes africains en exil (JAFE), L'Harmattan, Paris.



par Christophe  Champin

Article publié le 23/11/2000