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Koursk

La lente remontée du sous-marin

Un an après le naufrage du sous-marin russe, les opérations de renflouage ont commencé, mais l'épave livrera-t-elle jamais son secret?
Un anniversaire douloureux attend la Russie ce dimanche. Le 12 août 2000, le Koursk, colossal sous-marin nucléaire et fleuron de la flotte nationale, sombre par 108 mètres de fond dans la mer de Barents. La totalité de son équipage, soit 118 marins, trouve alors la mort. Une explosion dans la coque semble être à l'origine d'un drame qui soulèvera une immense émotion en Russie. Et la lenteur avec laquelle la marine russe informera ses concitoyens sur l'évènement, distillant des informations au goutte-à-goutte, déchaînera une polémique violente à travers tout le pays. Tout s'enchaîne: l'annonce d'un accident ne survient que deux jours après l'accident, le 14 août. Selon l'amirauté, le sous-marin connaît alors des difficultés techniques. Quelques heures plus tard, le commandant en chef de la marine déclare qu'une collision a eu lieu, que la situation est «grave» et que les chances de sauvetage sont «faibles». Cependant, des indications font état de coups martelés contre la coque depuis l'intérieur du bâtiment. Le lendemain, les premières tentatives de sauvetage échouent en raison du mauvais temps; rassurant, l'état-major affirme que les sous-mariniers sont «vivants pour l'instant», mais les coups cesseront ce jour-là d'être entendus. La population russe assiste alors, impuissante, au déroulement d'un véritable «scénario catastrophe». Estimant en premier lieu qu'il dispose «de tous les moyens de sauvetage nécessaires», le président Poutine consent finalement à accepter «l'aide d'où qu'elle vienne». Lorsque les plongeurs norvégiens et britanniques arrivent sur le lieu, sept jours après l'accident, tout espoir est devenu vain et, chez la population, un sentiment de révolte a depuis longtemps pris le pas sur l'angoisse. Vladimir Poutine est alors accusé de couvrir les incompétences de ses militaires.

La cause de l'accident reste la principale inconnue de la tragédie. Deux ondes de choc successives, à quelques minutes d'intervalle, avaient été enregistrées dans la zone du Koursk au moment du drame. Selon les experts, la deuxième correspondait à l'explosion du stock de torpilles, qui a scellé définitivement le sort du Koursk en provoquant l'inondation de tous les compartiments. Mais le premier choc, c'est-à-dire l'origine de la catastrophe, reste une énigme. A ce sujet, les spéculations vont bon train. Après avoir fermement soutenu qu'un bâtiment de l'OTAN était entré en collision avec le sous-marin, les autorités russes se sont rétractées en faveur de l'hypothèse ûplus largement admise- d'un dysfonctionnement matériel: une torpille aurait simplement explosé dans son tube de lancement. De leur côté, des spécialistes en études stratégiques ont avancé la thèse de l'essai d'un nouveau missile anti-sous-marins. Initié par la flotte russe et réalisé sur le Koursk depuis un autre vaisseau, cet essai qui aurait mal tourné expliquerait notamment la présence de onze observateurs militaires parmi l'équipage défunt. Le secret est toujours entretenu aujourd'hui sur le chargement exact du sous-marin. Par ailleurs, seuls douze corps ont été remontés à ce jour.

Un chantier périlleux

En tout état de cause, le Koursk aura aussi torpillé les efforts renouvelés du chef de l'Etat pour affirmer sa puissance militaire sur la scène internationale comme sur le plan intérieur. Sur fond d'enlisement militaire dans le conflit tchétchène, les atermoiements de l'armée dans l'affaire du Koursk et ses man£uvres de désinformation ont infligé à Vladimir Poutine la première crise de confiance du peuple russe à son égard. Aujourd'hui encore, selon un sondage récent, 60% des Russes estiment que les autorités essaient de dissimuler l'origine du naufrage. Dans ce contexte la remontée de l'épave s'imposait. Selon Vladimir Pozdnyakov, premier secrétaire de l'ambassade de Russie en France, interrogé ce vendredi matin sur l'antenne de RFI, trois arguments vont dans ce sens. En premier lieu, il est urgent évacuer les deux réacteurs nucléaires du sous-marin. «Pour le moment, les spécialistes disent qu'ils ne présentent pas de danger(à) mais l'on ne sait jamais, surtout dans les fond sous-marins, avec divers courants, diverses affluences, c'est pourquoi il faut évacuer cette installation.». Il s'agit ensuite de rendre les corps des victimes aux familles. Enfin, «il faut connaître les raisons de cette catastrophe». Après de longues tractations avec une entreprise norvégienne, le renflouage de l'épave a été confié à la société néerlandaise Mammoet, spécialiste dans les chantiers exceptionnels de levage. Le périlleux chantier a commencé le 10 juillet dernier, et se déroulera suivant trois étapes. La première consiste à découper la double coque d'acier pour séparer la chambre des torpilles, soit le premier compartiment, du reste de la structure. Vingt faisceaux de cables doivent ensuite être amarrés à l'épave et reliées à une puissante machine de levage. Plusieurs trous dans la coque ont déjà été réalisés à cet effet. Enfin, le tout devra être remonté en surface puis remorqué vers le golfe de Mourmansk, à 250 kilomètres, où le sous-marin sera disposé en cale sèche.

L'incertitude demeure néanmoins quant au sort du compartiment avant. S'il venait à être remonté, la commission chargée de l'enquête disposerait alors d'indice cruciaux ûnotamment grâce à la proue éventrée par l'explosion- sur les causes exactes de l'accident. Mais l'extrême dangerosité de la man£uvre, des risques de fuites radioactives -pointés par les autorités norvégiennes- et la possibilité d'une explosion pourraient compromettre cette éventualité. Lors d'une conférence de presse destinée à présenter le site officiel des opérations de renflouage (http://www.kursk141.org), les autorités ont précisé que la proue ne serait pas remontée avant l'an prochain. L'avenir dira donc si ce brûlant morceau d'épave confiera ou non, sur la terre ferme, ses torpilles et son secret.



par Marie  Balas

Article publié le 10/08/2001