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Raoul Follereau

Détournements de dons en Afrique

Dans un rapport, publié lundi, l’Inspection générale des affaires sociales dévoile un vrai système de détournements de dons. Quelques riches africains en ont profité. Le deuxième volet de l’enquête de David Servenay.
Après avoir rempli les sébiles de l’association française Raoul Follereau, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la lèpre, les donateurs pourront s’interroger sur la destination réelle des euros généreusement versés. Dans un rapport, publié lundi, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dévoile un vrai système de détournements de dons. Quelques riches africains en ont aussi profité. Le deuxième volet de l’enquête de David Servenay.

Les inspecteurs de l’Igas n’ont pas l’habitude de plaisanter. Dans la dernière partie de leur rapport sur l’Association française Raoul Follereau (AFRF), ils relèvent d’emblée une anomalie. «Les ressources ont augmenté de 1996 à 1998, écrivent-ils, en leur sein, les dons ont progressé de 27%. Mais le montant annuel des dépenses opérationnelles des associations consolidées est resté stable». Autrement dit, vous avez donné bien plus d’argent, mais les lépreux et ceux qui souffrent de «toutes les lèpres» n’en ont pas vu la couleur. En terme comptable, cela s’appelle faire des «réserves », comme l’écureuil fait ses provisions. Il est vrai que l’ensemble du groupe Raoul Follereau a constitué depuis cinquante ans un joli patrimoine immobilier que l’Igas évalue à une quinzaine de millions d’euros (100 MF). Mais il y a aussi les petits et gros cadeaux offerts aux obligés de l’association, notamment l’église catholique comme nous l’avons évoqué dans le premier volet de notre enquête.

A Madagascar, outre un centre de production de vidéos religieuses, l’association a aussi financé la «construction de lieux de culte ou de réfection de séminaire». Au Burkina Faso, c’est un «achat d’ordinateurs pour un séminaire». Enfin, au Mali, l’AFRF a «pris en charge pendant quatre ans le coût de la rémunération d’une personne détachée auprès de l’archidiocèse de Bamako, en qualité de responsable financier de l’Eglise de ce pays». Montant annuel du salaire : 42 868 euros (280 000 francs). Et le rapport de l’Igas précise, sans commentaires : «auxquels s’ajoutaient les avantages consentis aux expatriés». Si l’Eglise malienne a bien de la chance, l’intéressé ne s’en est pas trop mal sorti, puisqu’il est ensuite devenu «directeur de la Sarl Follereau logistique, pour un salaire brut de 400 000 francs (60 980 euros) par an». On ignore aujourd’hui à quel salaire plafonne cet homme devenu entre temps… directeur général de l’Association française Raoul Follereau. Mais ce n’est pas tout, en Afrique, les Récipon -Michel, le fils, est président de l’AFRF, André son père est président d’honneur- ont aussi aidé leurs amis. Et ils en ont beaucoup.

Les coûteux amis des associations Raoul Follereau

Le Niger, un pays symbole pour l’association, puisque c’est là-bas que son fondateur y découvrit la lèpre en 1930. Présenté comme l’un des pays les plus endémiques du continent, l’Organisation mondiale de la santé y a dénombré en 2000, 2136 malades dépistés, dont 244 cas d’infirmes. En outre, le Niger est l’un des pays les plus pauvres du monde: en 1998, il était classé à la 173e place du classement IDH (indice de développement humain), 173e sur 175. Là-bas, un homme a incarné la toute-puissance de Raoul Follereau: le docteur Alfa Cissé. Cet ancien ministre de la Santé et ex-médecin personnel du président Seyni Kounché, fait partie de cette jeune génération de cadres africains à qui André Récipon a confié les rênes de la lutte contre la lèpre. C’est aussi grâce à cette génération que le «Président» était accueilli, à chaque déplacement en Afrique, comme… un vrai président, avec chef du protocole, voiture en bas de l’avion et entretien avec le vrai président qu’il allait visiter. En 1986, à la mort de son mentor, Alfa Cissé quitte les coulisses du pouvoir politique. Trois ans plus tard, il se voit attribuer plusieurs prêts de l’AFRF pour financer une ferme qu’il possède à Say, à 60 kilomètres environ au sud-est de Niamey. D’après le rapport de l’Igas, «il ne s’agit pas de micro exploitations permettant aux familles d’un village de cultiver la terre, ni d’un programme de réinsertion d’anciens malades, mais d’une grosse ferme appartenant à une seule personne.» Problème: la moitié des prêts n’ont jamais été remboursés. Mieux: Raoul Follereau achète, à bon prix, la production de riz de cette ferme, pour la redistribuer aux hôpitaux ou aux orphelinats du pays. En fait, l’association paie pour une production qu’elle a déjà subventionnée. Sur cette opération, comme sur le reste, les dirigeants de Raoul Follereau, sollicités à de nombreuses reprises, ont refusé de nous répondre. Les inspecteurs de l’Igas constatent: «cette action est une des rares à avoir été critiquée par le conseil d’administration de la Fondation Raoul Follereau».

Et ce n’est pas tout, le docteur Cissé a aussi bénéficié d’une très généreuse subvention pour bâtir un centre médical à Say. Plusieurs bâtiments, un bloc opératoire, des salles de soin pour une vingtaine de lits. L’établissement devait logiquement servir la cause défendue par l’association, l’aide gratuite aux plus déshérités. En fait, il n’a jamais vraiment fonctionné, mais son promoteur l’a respectueusement baptisé centre médical André Récipon.

Au Mali, l’Association française Raoul Follereau s’est intéressée à un autre secteur, tout aussi vital pour les populations, celui de l’élevage. Là encore, le rapport de l’Igas est sans ambiguïtés: «Il existe un cas identique au Mali où a été financé par un prêt AFRF de 270 000 francs (41 162 euros), un élevage à viande. A l’heure actuelle, aucun remboursement n’a encore été effectué». Et là aussi, il faut chercher le nom du propriétaire, titulaire de plusieurs postes ministériels dans le passé, dont celui de la Santé. Un indice: il fut président de l’association malienne Raoul Follereau de 1980 à 1989… Aly Cissé (sans lien de parenté avec le précédent) est une figure historique du Mali. Ancien de l’Ecole d’outre-mer, il fut sous-préfet en France, avant d’occuper de nombreux postes à responsabilité dans son pays. Pourquoi l’AFRF a-t-elle investi une telle somme dans un élevage à viande? Mystère… En tout cas, Raoul Follereau est resté une affaire de famille à Bamako, car après Aly Cissé, c’est sa nièce qui a repris le flambeau comme représentant de l’AFRF.

Bien sûr, la thèse du dérapage est séduisante. Au nom de liens d’amitié, André Récipon aurait favorisé des amis de longue date. Mais que dire alors du financement de deux cabinets médicaux, au Mali et en Mauritanie, pour une somme totale de 18.294 euros (120 000 francs) soit l’équivalent de l’allocation accordée à son plus gros dispensaire pour les lépreux à Madagascar ? Sans oublier la Côte d’Ivoire, théâtre de multiples détournements. Faut-il croire que l’état-major de Raoul Follereau a mené pendant des années une sorte de diplomatie parallèle en Afrique ? Et si oui, dans quel but ? Ou bien est-ce simplement un vaste système de prébendes accordées à tout ceux ayant exercé des responsabilités dans l’empire Follereau ? Il faut savoir que, dans la plupart des pays du continent, l’AFRF finance le plan national lèpre et non des chantiers privés. Ce sont donc les ministères de la Santé qui ont en charge l’exécution des plans de prévention, sous le contrôle des représentants locaux, ce qui confère à ces derniers un vrai pouvoir. Certains en auraient-ils abusé?



par David  Servenay

Article publié le 29/01/2002