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Russie-Etats-Unis

Lune de miel russo-américaine

Le président américain George W.Bush arrive jeudi soir à Moscou pour sa première visite officielle en Russie du 23 au 26 mai. Après l’étape moscovite au cours de laquelle George W.Bush et Vladimir Poutine signeront un traité de réduction de leurs armements nucléaires stratégiques, les deux chefs d’État poursuivront leurs entretiens de manière plus informelle à Saint-Pétersbourg, l’ancienne capitale impériale dont est originaire le président russe.
De notre correspondant à Moscou

«C’est bien à Moscou et à Saint-Pétersbourg que l’on discutera des problèmes réels : il suffit de regarder le planning de la visite du présidente américain en Europe pour constater que les étapes de George W. Bush chez ses alliés de l’Otan sont quasi symboliques…». Ce commentaire du quotidien moscovite Kommersant donne le ton de l’état d’esprit dans lequel on s’apprête à accueillir à Moscou le président américain. L’étape russe est la plus longue de son périple et les deux présidents se rencontreront à nouveau la semaine prochaine lors du sommet Otan/Russie le 28 mai à Rome. C’est presque une lune de miel politique que vivent Vladimir Poutine et George W.Bush et à travers eux les relations russo-américaines.

Tout avait pourtant assez mal commencé avec la nouvelle administration américaine : les décisions unilatérales de la Maison Blanche en matière stratégique ou commerciale avaient heurté le Kremlin, habitué à être traité par les américains comme une grande puissance même si la Russie d’aujourd’hui n’a guère les moyens de concurrencer les États-Unis dans quelque domaine que ce soit. Mais ce refroidissement entre Moscou et Washington fut de courte durée : la première rencontre entre Vladimir Poutine et George W. Bush, en juin 2001 en Slovénie a inauguré une nouvelle phase des relations russo-américaines. Les deux présidents ont eu quelque chose qui, selon leurs entourages respectifs, ressemble à un coup de foudre. George W. Bush avait exprimé sa «confiance» envers Vladimir Poutine avec qui il «partage les mêmes valeurs».

Depuis ce premier sommet, les deux chefs d’état se revoient régulièrement mais c’est lors de la visite du président russe aux Etats Unis en novembre dernier que le rapprochement entre les deux hommes s’est concrétisé, notamment dans le cadre informel et détendu du ranch de George W.Bush à Crawford au Texas. Vladimir Poutine rendra la politesse en conviant le président américain dans sa ville natale de Saint-Pétersbourg samedi et dimanche prochain.

Des relations personnelles étroites

Cette nouvelle «amitié» n’a rien de très surprenant: les deux hommes sont de la même génération et l’un et l’autre sont de nouveaux venus sur la scène internationale. Ce relatif isolement de Vladimir Poutine et de George W. Bush leur aura donné l’impulsion pour prendre des décisions contre l’avis de leur entourage. C’est ainsi qu’il faut «lire» le traité sur le désarmement nucléaire stratégique qui sera signé solennellement vendredi au Kremlin au terme duquel la Russie et les Etats Unis réduiront leur arsenal de 6 000 ogives nucléaires à environ 2 000 à l’échéance de 2012.

Le Pentagone à Washington et l’establishment républicain n’étaient guère favorable à ce nouveau traité, juridiquement contraignant, pas plus que l’état-major russe qui critique la voie choisie qui permettra aux américains de «désactiver» une partie de leurs têtes nucléaires afin de les stocker pour les réactiver en cas de nouvelles menaces : «ce concept est inacceptable pour la Russie» a déclaré le général Iouri Balouïevski, premier adjoint au chef d’état-major.

Les négociations ont été difficiles et ce sont les interventions personnelles des deux présidents qui a permis de finaliser le document. «Il était indispensable que ce sommet ne soit pas un sommet de type guerre froide» explique un diplomate occidental.

Cette hypothèque levée, la nouvelle rencontre entre Vladimir Poutine et George W. Bush apparaît comme l’acte fondateur de la nouvelle relation Russie/États-Unis dont le point d’orgue est attendu à Rome où sera signé le 28 mai prochain l’acte de naissance du conseil Otan/Russie qui octroie à Moscou une place privilégiée dans l’Alliance atlantique.

Pour autant, Vladimir Poutine n’abdiquera pas les intérêts stratégique propres de la Russie : il reste des points de désaccords qui ont pour nom Iran, Irak et Corée du Nord. Des responsables politiques de haut niveau de ces 3 pays se sont succédés ces dernières semaines à Moscou qui refuse la notion d’ «État-paria». Sans se faire d’illusion sur la fiabilité de Téhéran, la Russie poursuivra son partenariat avec l’Iran, pays riverain de la Mer Caspienne dont les ressources en hydrocarbures font l’objet d’une négociation âpre. De même, Moscou est fermement opposé à toute intervention militaire contre l’Irak, un pays fortement débiteur à l’égard de la Russie. Enfin, la poursuite du dialogue avec la Corée du Nord, voisine de la Russie et de la Chine, est de toute première importance pour la politique asiatique de Moscou. George W. Bush risque de repartir bredouille sur cet «axe du mal» selon la nouvelle terminologie en vigueur à Washington pour qualifier ces trois pays.

Mais ces désaccords sont désormais discutés dans un climat apaisé, entre partenaires qui appartiennent à une même coalition internationale contre le terrorisme. Davantage encore que le traité sur le désarmement, ce climat de confiance inédit entre la Russie et les États-Unis montre que la guerre froide est bien un vestige du passé.



par Jean-Frédéric  Saumont

Article publié le 23/05/2002