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Enquête

La rocambolesque filière africaine

L’affaire des dinars de Bahreïn aurait également un volet africain. Un témoin-clé interrogé par RFI affirme que le chef d’orchestre en était Richard Mwamba, un homme d’affaires zaïrois formé à l’école Mobutu et que parmi les acteurs figureraient notamment deux chefs d’Etats africains.
C’est un ancien haut fonctionnaire tchadien qui parle et qui explique comment s’est mis en place le volet africain de l’affaire des dinars de Bahreïn. Ce haut fonctionnaire s’appelle Hassan Fadoul. Il est un témoin-clé de l’affaire et il vit aujourd’hui réfugié dans un pays ouest-africain. Il a accepté de livrer sa version des faits à RFI.

Selon lui, tout commence au printemps 1997 lorsque Richard Mwamba le contacte par l’intermédiaire de l’un de ses complices. Richard Mwanba est un homme d’affaire zaïrois formé à l’école de Mobutu, titulaire de plusieurs passeports de nationalités différentes et qui mène un train de vie ostentatoire, et qui se présente comme le représentant en Afrique de la Ciccone Calcographica, une imprimerie d’Etat argentine spécialisée dans la fabrication de billets de banque.

Hassan Fadoul raconte donc avoir été contacté lors d’un voyage privé à Paris, par un émissaire de Richard Mwamba, un certain Pedro Lazare, un homme d’affaires béninois qu’il connaissait. «Il m’a expliqué qu’il me cherchait depuis un bon bout de temps, qu’il y avait une imprimerie qui pouvait imprimer des billets de banque à condition que la demande soit faite par des autorités officielles et que je devrais en parler à Idriss Deby».

Selon Hassan Fadoul, l’homme n’a pas voulu en dire plus mais «il m’a proposé de l’accompagner à Johannesburg, poursuit-il, pour y rencontrer un ami important, qui m’a-t-il dit, ne traitait qu’avec des chefs d’Etat». C’est en Afrique du Sud que Hassan Fadoul fait la connaissance de Richard Mwamba, un homme qui, dit-il, «se fait appeler président et s’est vanté d’avoir notamment traité des affaires avec le maréchal Mobutu et le chef de la rébellion angolaise, Jonas Savimbi» .

Au cours de leurs entretiens, Mwamba lui aurait proposé de se rendre à Buenos Aires visiter l’imprimerie de la Ciccone Calographica, une entreprise d’Etat spécialisée dans la fabrication de billets de banque. La visite aura lieu quelques jours plus tard. «Nous avons été accueillis en grande pompe par les grands patrons et Ciccone lui-même, j’ai tout visité et on m’a montré tout le processus de fabrication des billets, de la calligraphie à l’impression et du découpage jusqu’à la mise en paquets, et j’ai même vu des stocks de zaïres commandés par Mobutu et jamais livrés», explique-t-il. Hassan Fadoul quittera même l’Argentine avec quelques billets et une planche de francs CFA gravés mais non-imprimés.

Hassan Fadoul raconte que, de retour au Tchad, il s’empresse de faire un compte-rendu détaillé de sa visite en Argentine au président Idriss Deby et de lui montrer la planche de francs CFA ramenée de l’imprimerie. «Idriss a tout de suite accepté de rencontrer Richard Mwamba et, raconte-t-il, m’a nommé par décret le 11 août conseiller spécial pour que je puisse superviser l’affaire». Les deux hommes ne se rencontreront toutefois qu’à la fin de l’année à N’Djamena. Et le Zaïrois, qui s’est targué d’obtenir les autorisations nécessaires, proposera alors au chef de l’Etat tchadien de faire imprimer par la Ciccone des francs CFA, à condition qu’il en finance les frais de fabrication. «Il a suggéré, raconte Hassan Fadoul, d’en faire fabriquer pour une facture de 10 millions de dollars. Mais Idriss, qui n’avait pas autant d’argent, a préféré s’en tenir dans un premier temps à 2 millions de dollars». Selon les termes de l’accord conclu entre les deux hommes, les Tchadiens devaient se charger d’écouler les billets fabriqués et verser une commission de 20 % à Richard Mwamba.

Dinars de Bahreïn contre francs CFA

Si l’on en croit Hassan Fadoul, le président Deby ne parviendra à réunir cette somme que plusieurs mois plus tard, après un voyage en Libye au cours duquel il obtiendra une aide financière du président Kadhafi. Le conseiller tchadien remettra l’argent à Mwamba le 7 mai 1998. Puis le Zaïrois fera un déplacement éclair à N’Djamena pour expliquer que les autorisations nécessaires à la fabrication des CFA sont difficiles à obtenir. «Il a expliqué que le franc CFA n’étant pas une monnaie nationale mais régionale, il fallait non seulement obtenir l’accord des 14 pays membres mais également celui des deux zones d’émission à Dakar et Yaoundé et du Trésor français», raconte Hassan Fadoul. Le Zaïrois proposera alors de faire imprimer une monnaie forte qui rapporterait par conséquent plus et évoquera les dinars de Bahreïn, ce qu’Idriss Deby, qui avait déjà versé 2 millions de dollars, pouvait difficilement refuser. A aucun moment les Tchadiens n’auront deviné un détail essentiel, à savoir que Richard Mwanba a été chargé par de mystérieux donneurs d’ordre bahreïniens de suivre la fabrication de «vrais faux billets» de 20 dinars.

Toujours selon Hassan Fadoul, les billets doivent être livrés en trois fois, par avion, à N’Djamena, et la première cargaison, alors qu’Idriss Deby s’était personnellement déplacé à l’aéroport pour la réceptionner, n’arriva jamais à destination. Le président tchadien, tellement content à l’idée de s’enrichir, avait en effet, toujours selon les déclarations de son conseiller, mis au parfum Ibrahim Baré Maïnassara, son homologue nigérien, en lui promettant même de financer sa prochaine campagne électorale. Et celui-ci, au courant de la date et de l’heure d’arrivée du premier chargement, aurait tout simplement décidé de le détourner à son profit. Lorsque l’avion transportant les premiers dinars en provenance d’Argentine a survolé l’espace aérien nigérien, Maïnassara aurait en effet menacé de dépêcher son armée de l’air le forçant ainsi à atterrir. «Idriss, raconte Hassan Fadoul, s’est d’abord cru victime d’une escroquerie de la part de Mwamba et il était absolument hors de lui. Puis, dans la soirée, on lui a expliqué ce qui s’était passé avec l’avion et il s’est finalement résigné en se contentant des deux dernières livraisons». Idriss Deby se déplace à nouveau à l’aéroport, si l’on en croit Hassan Fadoul, pour les réceptionner, assiste à leur chargement dans des 4x4 de la présidence et les fait entreposer dans sa propre chambre. Selon Fadoul, les quelque 80 cartons reçus contenaient chacun environ l’équivalent d’un million et demi de dinars.

Restait alors à écouler cette multitude de billets de 20 dinars. Hassan Fadoul raconte que c’est lui qui est chargé de la première transaction en se rendant par avion spécial à Kano, au Nigeria, pour changer 2 millions huit cent mille dinars. «L’opération ne devait prendre que quelques heures mais je me suis retrouvé bloqué pendant une semaine», explique-t-il. «J’ai dû menacer l’homme chargé du change qui m’a finalement remis un chèque de 4 millions de dollars sur une banque britannique au nom d’Idriss Deby». A son retour à N’Djamena, Hassan Fadoul assure qu’il a remis le chèque au président qui dès le lendemain le fait compenser par la Banque centrale du Tchad pour un montant d’un milliard de francs CFA. Mais arrivé à Londres, ce chèque est refusé –il est sans provision– et la banque centrale tchadienne, première et dernière victime de cette conséquente escroquerie, se retrouve au bord de la faillite.

Selon Hassan Fadoul, Idriss Deby toujours soucieux d’écouler son stock de dinars, lui demandera d’aller à Paris pour voir que ce qui pouvait être changé en France et Fadoul échappera de peu à une arrestation. Un conseiller du président Maïnassara, n’eut pas cette chance et, chargé de changer des dinars à Dubaï, fut arrêté à sa descente d ’avion. Tout ceci parce que les autorités de Bahreïn venaient de se rendre compte qu’un flot inhabituel de coupures de 20 dinars était en circulation, ceux précisément de la filière bahreïnienne de l’escroquerie, ce qu’ignorait naturellement la filière africaine…

Sollicité à plusieurs reprises par RFI, maître Jacques Vergès, l’avocat du président tchadien, n’a pas répondu à nos questions. Idriss Deby Idriss Deby avait toutefois évoqué l’affaire dans un entretien au journal Le Monde en juin 2001. «Je n’ai rien à me reprocher», déclarait à l’époque le président tchadien avant d’ajouter que selon lui Hassan Fadoul «n’a jamais pensé qu’à la meilleure manière de gagner de l’argent de façon malhonnête».



par Mounia  Daoudi (avec David Servenay)

Article publié le 19/12/2002