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Cuba

La lutte obstinée des «dames en blanc»

La marche des dames en blanc sur la Quinta avenida, le jour de la fête des pères.
 

		Photo: Tony Giron
La marche des dames en blanc sur la Quinta avenida, le jour de la fête des pères.
Photo: Tony Giron
Depuis deux mois, les autorités cubaines ont relâché plusieurs des 75 opposants condamnés en avril 2003 à de très lourdes peines de prison. Ces libérations, même si elles sont conditionnelles et ne concernent que des personnes très malades, constituent un espoir pour les familles des 75, unies depuis plus d’un an dans le mouvement des «dames en blanc».
De notre correspondante à La Havane

 L’église Sainte-Rita, la patronne des causes désespérées, est pleine de monde. Ce dimanche de la fin du mois de juin, Cuba célèbre la fête des pères. Dans l’assistance, une vingtaine de femmes, habillées de blanc de la tête aux pieds, sont assises côte à côte; parfois une photo de leur époux orne leur T-shirt.

A la fin de la messe, elles se dirigent ensemble vers le terre-plein central de la Quinta Avenida voisine, une grande avenue de ce quartier résidentiel de La Havane. Silencieuses, chacune un glaïeul rose pâle à la main porté comme une offrande, elles marchent ensemble sous le soleil implacable de midi. Pendant une demi-heure, elles marchent d’un même pas, droites, sans se regarder, sans slogan ni pancarte; seuls, leurs vêtements uniformément blancs et l’allure de leur marche font penser que l’on voit là comme un embryon de manifestation. Les rares passants les regardent sans comprendre, les automobilistes qui s’arrêtent aux feux-rouges également : à Cuba, personne ne les connaît, les médias nationaux ne parlent jamais d’elles. Seuls les policiers dépêchés chaque semaine autour de l’église Sainte-Rita savent qui sont ces femmes qui marchent là, comme chaque dimanche depuis plus d’un an.

Elles s’appellent Laura, Barbara, Maria ou Dolia, et viennent de toutes les régions de l’île. Elles se sont retrouvées aujourd’hui pour réclamer une fois encore la libération de leurs proches. Avant le mois d’avril 2003, la plupart d’entre elles ne se connaissaient pas : «Nous nous sommes rencontrées sur les bancs des procès où nos maris et nos frères ont été condamnés», explique Laura Pollan, la femme du journaliste indépendant Héctor Maseda, condamné à 20 ans de prison.

Entre mars et avril 2003, son époux et 74 autres personnes (qualifiées de «mercenaires» par le gouvernement cubain) ont été condamnés dans des procès éclairs, sous le coup de la loi 88 notamment; cette loi, surnommée «la loi du bâillon», punit toute personne accusée de fournir aux États-Unis des informations qui pourraient déstabiliser Cuba. Et les unes après les autres, les sentences sont tombées, écrasantes : de 6 à 28 ans de prison pour ces 75 opposants, journalistes indépendants, militants des droits de l’homme ou membres de partis politiques interdits à Cuba.

Rien ne les arrête

«Blanc comme la couleur de l’innocence.» «Le gouvernement a pensé qu’en incarcérant ces 75 personnes, il allait en finir avec l’opposition à Cuba, que les voix allaient se taire, se souvient Laura. Mais pour chaque homme emprisonné, une femme ou une sœur s’est levée; et, blessées, nous sommes comme des lionnes qui veulent défendre leur famille». Car leur combat n’est pas politique; elles ne manifestent pas là pour des changements législatifs, ou pour une société différente. La plupart étaient étrangères aux activités politiques de leurs proches. Si elles se sont unies, c’est pour demander l’annulation de condamnations qu’elles jugent injustes, et pour dénoncer sans trêve les conditions d’incarcération de leurs proches.

Dans ce combat personnel et collectif, rien ne les arrête : « Un jour, la police politique m’a menacée, raconte Laura Pollan. Ils  m’ont dit de ne plus fréquenter l’église Sainte Rita, de ne plus donner d’interviews à la presse internationale, de ne plus aller aux réceptions des ambassades. Mais je leur ai dit que le seul moyen pour que j’arrête de faire cela, c’est qu’ils libèrent nos époux; s’ils les libèrent, nous ne ferons plus rien. Mais ils doivent d’abord les libérer ». Parler des «dames en blanc» –«le blanc comme la couleur de l’innocence», explique l’une d’entre elles– ne peut pas se faire au singulier : elles ne forment pas un mouvement structuré, mais une multitude d’individualités, d’histoires personnelles, et de souffrances intimes.

Chacune a au bord des lèvres l’histoire de son mari ou de son frère, la douleur, l’urgence les font parler, le souci que leur proche ne soit pas oublié.  Certaines sont croyantes, d’autres athées, elles n’ont pas toutes les mêmes opinions politiques, elles ne viennent pas des mêmes régions, ni des mêmes milieux. Mais depuis plus d’un an, elles forment «une famille de femmes cubaines qui défendent la liberté de leurs époux, une seule grande famille composée des 75 familles au long de l’île», selon les termes de Laura. Et si elles se réjouissent ensemble des quelques libérations qui ont eu lieu depuis deux mois, elles continuent de réclamer, ensemble, la libération de tous.

Ce dimanche de la fête des pères, après leur marche dédiée à ces pères absents, les «dames en blanc» présentes ce jour-là se sont ensuite réunies dans un parc voisin pour lire quelques lettres envoyées par leurs époux incarcérés. Puis elles ont réclamé en criant la liberté pour leurs proches, avant de se séparer. Les quelques femmes venues exprès de province pour cette marche symbolique se sont mises sur le difficile chemin du retour, dans ce pays où par manque de transports, chaque déplacement est un obstacle, montrant tout le prix de cette réunion d’un jour.



par Sara  Roumette

Article publié le 28/06/2004 Dernière mise à jour le 28/06/2004 à 13:04 TU