Congo démocratique
ONU : Le Rwanda a soutenu le rebelle Mutebutsi
(photo : AFP)
Le document est accablant. Peu après les combats entre les FARDC (Forces armées de la RDC) et le colonel rebelle Jules Mutebutsi début juin à Bukavu, les experts de l’ONU se sont rendus au Rwanda, dans la région frontalière de Cyangugu, où ils « ont été les témoins directs et ont documenté le non respect par le Rwanda du régime de sanctions », écrivent-ils. « Le groupe d’experts a conclu que les violations du Rwanda comprenaient un soutien direct et indirect, à la fois au Rwanda et en RDC, aux troupes mutines de Jules Mutebutsi et Laurent Nkunda au cours de leurs opérations militaires armées contre les FARDC. Le Rwanda a aussi exercé un certain niveau de commandement et de contrôle sur les forces de Mutebutsi », poursuit le rapport de l’ONU dont RFI s’est procuré une copie. Lors de l’offensive rebelle, « certaines activités commerciales ainsi que des cibles politiques et financières à Bukavu ont été épargnées, sur ordres directs d’officiels rwandais », affirment les experts.
Le 28 juillet 2003, le Conseil de sécurité avait dans sa résolution 1493 instauré un embargo sur les armes et l’assistance militaire à tous les groupes armés qui opèrent dans les Kivu et en Ituri. Pour faire respecter cet embargo, la MONUC devait rassembler les informations à sa disposition. Le 12 mars 2004, dans sa résolution 1533, le Conseil de sécurité a renforcé le processus en demandant à Kofi Annan de nommer un groupe d’experts techniques, chargés d’enquêter sur les trafics d’armes dans la région, et de rapporter ses conclusions à un comité des sanctions, gardien de la résolution 1493. Le groupe d’enquêteurs est composé de Leon-Pascal Seudie, un expert de la police camerounais, Kathi Lynn Austin une Américaine spécialiste des trafics d’armes, Victor Dupere, un expert en transport aérien canadien, et Jean Luc Gallet un expert français des douanes. En l’espace de dix semaines, ils ont produit leur premier rapport, qui jette une lumière crue sur les violations massives et généralisées de l’embargo.
Selon ce document, le secteur rwandais de Cyangugu a servi de base arrière et de recrutement aux mutins, le Rwanda ouvrant sa frontière à deux reprises, une première fois pour permettre le regroupement des rebelles congolais, et une seconde fois pour couvrir leur retraite. « En sécurité dans son camp rwandais, Mutebutsi a informé la Monuc qui lui rendait visite qu’il ‘retournerait en RDC quand bon lui semblerait’ » préviennent les experts. « Le 8 juin, 157 hommes de Mutebutsi, dont 12 officiers, ont quitté Bukavu et ont traversé à Cyangugu en petits groupes, à un poste frontière nommé Ruzizi 1. Après avoir été recensés par le Rwanda comme réfugiés, les 12 officiers ont été installés dans le camp militaire rwandais de Ntedezi », explique le rapport. « Lors de ses multiples visites à Cyangugu, le groupe d’experts a observé que Mutebutsi n’avait pas démantelé ses troupes. Environ 300 hommes en uniforme restaient sous une structure de commandement cohérente, sous la protection des troupes rwandaises. Le groupe conclut que ces troupes restent une menace latente pour la RDC. » Des troupes qui selon les experts jouissent d’une totale liberté de mouvement et sont soutenues par le Rwanda dans leur campagne de propagande.
(Carte Stephanie Bourgoing/RFI)
Le lac Kivu, haut lieu du trafic d’armes
Pire : le Rwanda a participé au recrutement. « Entre 5 heures et 6 heures du matin le 18 juin 2004, l’armée rwandaise est entrée sur le terrain d’un camp de transit du HCR à Cyangugu, a raflé 30 jeune hommes et les a forcés à monter à bord de camions. Certains de ces jeunes hommes interviewés par le groupe d’experts ont dit avoir été successivement emmenés dans un commissariat, puis dans un camp militaire rwandais, où on leur a demandé de devenir des soldats pour le compte des forces de Mutebutsi en RDC ». Dans d’autres cas, les forces rwandaises ont offert 100 dollars ou des téléphones portables à des soldats congolais démobilisés au Rwanda pour les convaincre de reprendre les armes. Des officiels du gouvernement rwandais ont également aidé Nkunda à recruter des hommes dans des camps de réfugiés congolais au Rwanda, parfois sous la menace, parfois en utilisant la force, parfois à travers les réseaux de désarmement, démobilisation et réinsertion. Le soutien financier du Rwanda est crucial pour les troupes de Mutebutsi, estiment les experts, qui rappellent par ailleurs que le colonel félon a accumulé un sérieux trésor de guerre en pillant la banque centrale de Bukavu, et dispose toujours probablement d’armes lourdes, entreposées au Rwanda.
Le lac Kivu est un haut lieu du trafic d’armes : « Le personnel de la MONUC a découvert des armes et des munitions cachées dans les eaux du lac Kivu, du côté de la RDC, près de lieux à Bukavu récemment contrôlés par les forces rebelles de Mutebutsi. Selon des témoignages locaux, les armes et munitions ont été amenées du Rwanda (après que l’embargo sur les armes a été imposé par le Conseil de sécurité) sur des pirogues, de nuit, et jetée à l’eau avec des tiges de bambou pour marquer l’emplacement des caches. Ce matériel a été récupéré la nuit suivante par ses destinataires. Dans une de ses caches, un fusil R-5 de fabrication sud-africaine relativement récente a été découvert. Après avoir retrouvé la trace de son origine, le Groupe (d’experts, NDLR) a appris qu’il faisait partie d’un inventaire auparavant fourni au Rwanda par un achat sous licence en Afrique du Sud. »
La présence des FDLR (Forces de Libération du Rwanda, Hutus, dont d’anciens génocidaires) en RDC continue selon les experts à jouer un rôle déstabilisateur. « Le groupe d’experts a pu confirmer l’existence d’activités militaires par des éléments des FDLR dans le nord Kivu et leurs incursions dans le nord-ouest du Rwanda en avril 2004. » « La taille des forces d’invasion FDLR et leur impact à cette occasion furent modestes », précisent-ils. « Jusqu’à octobre 2003, ces unités FDLR ont reçu à Shabunda des armes délivrées par le gouvernement de la RDC qui par la suite ont dû être transportées par voie terrestre, prenant de un à deux mois pour atteindre certaines unités ». Selon un officier du FDLR, ces armes faisaient partie d’un accord en échange de matières premières avec la Corée du Nord. Dans le sud Kivu, quelques éléments des FDLR auraient spontanément pris les armes contre les forces de Mutebutsi. « Malgré les défections au sein des FDLR et les mécanismes de démobilisation et de réinsertion en place, la démobilisation des forces FDLR restantes n’est pas imminente et elles restent une inquiétude en termes de sécurité pour le Rwanda », expliquent les experts.
Une menace à laquelle le Rwanda a répondu en opérant des coupes claires dans le secteur sud (Mikeno) du parc national des Virunga, placé en RDC et faisant parti de l’héritage mondial et où vivent notamment des gorilles. L’armée rwandaise a aussi selon les experts été récemment déployée dans plusieurs localités de RDC, et notamment Runyoni, le parc Jomba, Kabonero, Lushabanda, Ruginga et Nchanzu. « Le groupe des experts a conclu que la présence des FDLR dans le secteur et ses incursions limitées de l’autre côté de la frontière ne justifiaient pas le niveau de déploiement des troupes rwandaises en RDC », poursuit le rapport.
Jean-Pierre Bemba écorché par le rapport
Le rapport est accablant pour le Rwanda, mais il met aussi en cause l’Ouganda. Beaucoup de trafic se fait sur le lac Albert, et notamment entre le port ougandais de Ntoroko (sud du lac) et le port congolais de Kasenyi, contrôlé par le « chef Kahwa » de l’ancien Parti pour l’Unité et la Sauvegarde de l’Integrité du Congo (PUSIC), ainsi que le port de Tchomia, contrôlé par le « chef Kisembo ». « Le groupe d’experts pense que la complicité ougandaise, dans son soutien à Khawa qui a formé une partie de son réseau en territoire ougandais, est en violation de l’embargo sur les armes – bien que Kahwa, au cours d’un entretien enregistré, ait dit recevoir ses armes du Rwanda », précise le rapport. Et de poursuivre : « Comme Kahwa, le Commandant Jérôme, dirigeant du groupe armé d’Ituri Forces Armées du Peuple Congolais (FAPC) a comploté avec des leaders politiques et économiques ougandais pour mettre en place un réseau qui génère des revenus liés à des taxes d’import et de transit des deux côtés de la frontière, et, en retour, jouit toujours de liens politiques, militaires et financiers avec l’Ouganda. » « Le FAPC contrôle étroitement son côté de la frontière avec l’aide de troupes ougandaises en RDC, comme l’ont directement observé les experts du groupe » apprend-on aussi.
Le vice-président congolais et ancien chef rebelle Jean-Pierre Bemba est également écorché. « Du 20 au 22 janvier 2004, un total de 5 Antonov 26 ont atterri à l’aéroport de Gbadolite, en provenance de Basankusu, sur les ordres de Mbiato Konzoli, le conseiller militaire du Vice Président Bemba à Gbadolite, avec une quantité considérable d’armes, y compris des armes lourdes et des munitions à bord. Pendant cette période, l’accès à l’aéroport a été refusé par les troupes ex-MLC (Mouvement de libération du Congo) aux observateurs militaires et au personnel civil de la MONUC, en contravention du paragraphe 19 de la résolution 1493 du Conseil de sécurité. » Les avions appartenaient à une compagnie que possède M. Bemba, qui n’avait pas jugé bon de prévenir l’armée de ces mouvements.
Ce document de 50 pages montre à quel point il est difficile de surveiller les 9 000 kilomètres de frontière de la RDC, le long de neuf pays voisins. Il existe également 450 aéroports connus en RDC (la plupart des pistes de terre), qui sont autant d’endroits possibles de débarquement d’armes sur lesquels les autorités aériennes congolaises, totalement vétustes, n’ont aucun contrôle. Le comité des sanctions du Conseil de sécurité devrait recevoir officiellement ce rapport le 20 juillet, pour un examen devant le Conseil à la fin du mois.
par Philippe Bolopion
Article publié le 16/07/2004 Dernière mise à jour le 16/07/2004 à 09:29 TU