15 août 1944
« Les anciens combattants africains doivent être traités comme nous »
RFI : Où en sont vos actions en faveur des anciens combattants africains ?
Colonel Pierre Bovy : Ayant vécu 20 ans en Afrique, j’ai été confronté directement à ce problème à leurs côtés. J’y suis très sensible. Cela fait longtemps que nous, les anciens combattants français, nous protestons auprès des autorités, qu’elles soient de gauche ou de droite, contre cette injustice, afin qu’elle soit réparée. Nous estimons qu’un Africain doit avoir la même retraite du combattant et la même pension d’invalidité qu’un ancien combattant français. C’est par centaines de milliers que la France a employé ces combattants africains, c’est par dizaines de milliers qu’ils sont morts dans les différents conflits auxquels nous avons eu à faire face au cours du siècle précédent. Il doit en rester environ cinquante mille, ce qui est peu par rapport au total de quatre millions d’ayants droit et d’ayants cause (veuves, orphelins, et ascendants) qui sont inscrits à l’Office national des anciens combattants (Onac). En plus de cela, ils ont malheureusement contre eux une espérance de vie nettement inférieure à la nôtre. Ce qui fait que dans dix ans, ils auront tous disparu. Si on traîne les pieds ainsi, c’est peut-être ce qu’on veut…
RFI : Vous pensez qu’il y a du cynisme de la part de la France ?
P. B. : Nous avons été les premiers à oser le dire. Cela apparaît dans toutes nos motions. Celles-ci sont reprises à l’Assemblée nationale et au Sénat, ce qui nous satisfait et prouve que notre travail est considéré. Mais cela ne suffit pas, bien sûr. Ce sur quoi nous insistons, c’est précisément cette espérance de vie, qui est nettement moindre qu’en France, et qui fait qu’hélas, le problème sera résolu dans quelques années. Le combat cessera faute d’anciens combattants…
RFI : Il y a eu quelques progrès, tout de même…
P. B. : Il faut se féliciter, c’est vrai, de quelques avancées. Car au début, on était allé très loin dans la lâcheté vis à vis d’eux. En effet, normalement, en France, les textes font que vous touchez la retraite du combattant à partir de 65 ans, du moment que vous avez la carte du combattant. Or ces anciens combattants, qu’ils soient d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb, n’avaient pas droit à la retraite à 65 ans, même « cristallisée », c’est-à-dire gelée au niveau de 1959. Rien ! Il y a deux ou trois ans, on a levé ce qu’on appelait cette forclusion, et maintenant ils touchent leur retraite, même si elle est « cristallisée ». Ensuite, l’année dernière, le nouveau gouvernement a fait pas mal de promesses. Mais rien n’est venu. Et puis finalement, cette année, il y a eu une avancée importante, avec un rappel de quatre années pour les retards et des augmentations. On va rajuster leur retraite à tous points de vue, aussi bien la partie ancien combattant que la partie simple retraite de militaire de l’armée française. Car certains, même en n’ayant jamais été ancien combattant, ont été militaires dans l’armée française. Alors on a décidé de réajuster toutes les retraites, y compris celle du combattant et les pensions d’invalidité, en comparant les coûts de la vie et les pouvoirs d’achat chez eux et chez nous, grâce à un calcul assez complexe.
On est même allé plus loin dans le réajustement, car dans certains pays, le calcul leur aurait défavorable. On a donc décidé que, quel que soit le résultat, l’augmentation ne pouvait être inférieure à 20 %.
RFI : C’est tout de même bien mince, par rapport à vos revendications…
P. B. : Bien sûr. Le problème, c’est que lorsqu’on augmente de 20 % une somme très faible, ça ne donne pas grand chose…Par exemple, prenons les Tunisiens, qui sont parmi les plus désavantagés. Ils avaient la retraite du combattant, qui valait 10 % de la retraite du combattant français. Si on l’avait augmentée de 20 %, eh bien cela aurait fait 12 % seulement de la retraite française… Du coup, pour les Tunisiens on est allé jusqu’à 172 % ; un taux bien plus élevé, mais qui encore une fois ne donne pas grand chose au bout du compte.
En tout cas, tous les pays d’Afrique concernés seront augmentés, de Madagascar au Maghreb, d’au moins 20 %. Vous voyez que des mesures ont quand même été prises : cette augmentation et le rappel sur quatre ans. Il ont aussi la possibilité de faire réviser leur pension d’invalidité. Ils peuvent également faire transformer ces pensions en un pécule. Ces mesures ont commencé à être appliquées, au mois de mars dernier, en commençant par la Tunisie. Toutes les demandes sont prises en compte par nous, à l’Union fédérale, sans naturellement qu’aucune démarche de leur part soit nécessaire ; les instructions ont été données aux consulats et aux ambassades de France. Mais il reste encore beaucoup à faire !
Propos recueillis par Philippe Quillerier-Lesieur
Article publié le 28/07/2004 Dernière mise à jour le 30/07/2004 à 15:29 TU