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15 août 1944

Hommage symbolique, pensions dérisoires

Un Tirailleur du 4e RTM (Régiment de Tirailleurs Marocains) lors d'une remise de décorations. Le Tirailleur porte plusieurs médailles dont la Croix de guerre, la Médaille coloniale, et la Croix du combattant. 

		(Photo: ECPAD)
Un Tirailleur du 4e RTM (Régiment de Tirailleurs Marocains) lors d'une remise de décorations. Le Tirailleur porte plusieurs médailles dont la Croix de guerre, la Médaille coloniale, et la Croix du combattant.
(Photo: ECPAD)
Pour commémorer le 60e anniversaire du débarquement des Alliés en Provence, le président français Jacques Chirac a invité, les 14 et 15 août prochains, vingt chefs d’Etat et plusieurs dizaines de vétérans africains. Un geste qui n’efface pas l’injustice vécue par les anciens combattants d’Afrique et du Maghreb, dont les pensions, malgré une récente revalorisation, restent bien inférieures à celles de leurs frères d’armes français.

« En 1944, des jeunes de 18, 20, 25 ans se sont jetés sur les plages de Provence pour que la France regagne la liberté et la démocratie », déclarait début juillet à Toulon (sud de la France) le ministre délégué aux anciens combattants, Hamlaoui Mekachera. Et d’évoquer notamment les Sénégalais, Africains d’Afrique occidentale et équatoriale, Tunisiens, Mauritaniens, Marocains ou Algériens qui « sacrifièrent leur vie » sous le drapeau français. A l’époque, ils étaient plus de 170 000 dans cette armée d’Afrique, soit 40% de l’effectif total. Entre 1942 et 1945, 40 000 furent tués, 72 000 blessés.

En signe d’hommage, le ministre a souhaité que les 14 et 15 août prochains, les Provençaux « tendent la main » et « disent merci » aux vétérans du débarquement de Provence. Lancé le 15 août 1944, dix semaines après celui de Normandie, il a associé des centaines de milliers de soldats français, qu’ils fussent de métropole ou de l’Empire, américains et britanniques.

Paris dit souhaiter « marquer avec éclat » ce 60ème anniversaire. Aussi le président Jacques Chirac a-t-il invité les chefs d’Etat de 22 pays, dont vingt d’Afrique : Algérie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Etats-Unis, Gabon, Guinée, Comores, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Afrique du Sud, Royaume-Uni, Sénégal, Tchad, Togo et Tunisie.

Deux cents vétérans invités sur le Charles de Gaulle

« Nous faisons venir à nos frais plusieurs dizaines d’anciens combattants d’Afrique et du Maghreb », a indiqué le préfet Jean Dussourd, secrétaire général de la mission 60ème anniversaire. Quelque 200 vétérans seront notamment invités à une grande cérémonie en mer, le 15 août, sur le porte-avions Charles de Gaulle ancré en rade de Toulon et 300 autres sur le bâtiment Jules Verne de la Marine nationale.

Ces témoignages de reconnaissance, dont s’honoreront sans doute les anciens combattants africains, ne sauraient occulter l’injustice qu’il ressentent d’être traités, depuis des décennies, comme des soldats de seconde catégorie. Le 26 décembre 1959, à l’aube des indépendances, la loi dite de « cristallisation » gèle les pensions des militaires des anciennes colonies françaises. Depuis, l’écart n’a cessé de se creuser entre eux et leurs frères d’armes français. Aujourd’hui, alors que la retraite annuelle du combattant s’élève en France à 417 euros, elle est divisée par deux pour un ancien combattant de Djibouti, par quatre pour un Sénégalais et par douze pour un Marocain. « Une discrimination indigne d’un pays qui se veut la patrie des Droits de l’homme », déplore le colonel Pierre Bovy, vice-président délégué de l’Union fédérale des associations françaises d’anciens combattants.

Cette association compte parmi celles qui, de longue date, luttent aux côtés des intéressés pour qu’ils recouvrent leurs droits, apportant aussi des aides immédiates aux plus démunis. Les autorités françaises ont longtemps fait la sourde oreille. Jusqu’à ce qu’en novembre 2000, le Conseil d’Etat rende le fameux arrêt Diop, du nom d’un ancien sergent-chef sénégalais qui avait déposé plainte. La plus haute juridiction administrative française qualifie alors l’inégalité de traitement entre anciens soldats français et étrangers de « discrimination fondée sur la nationalité ».

Une augmentation minime

Cette décision marque un tournant. La France va-t-elle enfin réparer ? Il faudra attendre le printemps 2004. Paris consent à débloquer, en période de restrictions budgétaires, 150 millions d’euros pour revaloriser les pensions et les retraites des Tirailleurs, Tabors, Spahis et autres Goumiers de… 20 % seulement. Certes, il s’agit là d’un minimum, corrigé à la hausse par la parité entre le pouvoir d’achat français et celui du pays concerné, certains ayants droit se voyant augmenter de plus de 150 %. Certes, cette mesure est accompagnée d’un rattrapage du manque à gagner des quatre années précédentes.

Mais la hausse reste dérisoire, quand on l’applique à des sommes jusqu’à 10 ou 12 fois inférieures aux pensions françaises. Au Sénégal, cela fait 15 euros de plus par mois.

Les anciens combattants, les associations ont décidé de ne pas en rester là. Des plaintes sont en cours d’examen, de nouvelles actions sont envisagées. Les prochaines commémorations en Provence seront l’occasion d’attirer l’attention sur le sort de ces quelque 50 000 soldats encore en vie. Mais l’espoir est mince. « Il est probable que ce jour là, les autorités se contenteront de distribuer des médailles », ironise le colonel Bovy.



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 28/07/2004 Dernière mise à jour le 03/08/2004 à 15:12 TU


Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus d'informations)