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Darfour

Champ de mines diplomatiques

Réunion extraordinaire de la Ligue arabe sur le Darfour le 8 août prochain au Caire. 

		(Photo AFP)
Réunion extraordinaire de la Ligue arabe sur le Darfour le 8 août prochain au Caire.
(Photo AFP)
Menace de génocide, raids de cavaliers arabes sur des villages africains, l’ombre du Rwanda, celle de l’impotence internationale et du croissant effaçant la croix servent de ressorts diplomatiques au Darfour. La province soudanaise est à la croisée d’enjeux pétroliers qui mettent en compétition Washington, Paris ou Pékin, mais aussi à la charnière des univers occidentaux et arabes, où l’Union africaine (UA) tente une percée. A Khartoum, des manifestations anti-américaines ont dénoncé ce 4 août l’ultimatum onusien lancé fin juillet au gouvernement soudanais pour qu’il désarme ses partisans. Au Caire, la Ligue arabe prépare pour le 8 août un sommet extraordinaire qui examinera l’opportunité d’une participation militaire arabe à une force africaine renforcée au Darfour.

Dimanche 8 août, à la réunion ministérielle de la Ligue arabe réunie dans la capitale égyptienne, le président de la Commission de l'Union africaine, Alpha Oumar Konaré, va pouvoir tester en vraie grandeur la résolution panafricaine de «renforcer les liens et les alliance stratégiques avec d’autres régions», en particulier, grâce au «pacte de partenariat entre l’Afrique et le monde arabe» qu’il a contribué à promouvoir au sommet de l’UA début juillet. Comme elle le fait désormais le plus souvent possible sur le continent, l’Onu a en effet sous-traité aux Africains la surveillance du cessez-le-feu signé par les belligérants du Darfour dans la capitale tchadienne, le 8 avril dernier,  et régulièrement violé depuis. Début juillet, l’UA avait prévu environ 300 casques blancs pour assurer la protection rapprochée de ses observateurs déjà sur place. Mais finalement, le dossier humanitaro-diplomatique prenant une ampleur considérable, l’institution panafricaine vient de décider (après discussion en marge du sommet d’Accra sur la Côte d’Ivoire le 29 juillet dernier) de constituer une force d’au moins 2 000 hommes à laquelle des soldats arabes pourraient participer.

Le branle-bas arabe du Caire succède aux efforts de la diplomatie égyptienne pour convaincre son allié américain d’éviter des sanctions internationales contre son voisin nilotique. Pour sa part, le secrétaire d’Etat Colin Powell s’est toujours refusé à qualifier de génocide les exactions des milices janjawid au Darfour tout en imputant au gouvernement soudanais la responsabilité des exactions. Les Américains ne veulent pas de drame télévisé pendant la présidentielle du 2 novembre. Ils espéraient voir le Soudan pétrolier se normaliser avec l’accord de paix entre Khartoum et les rebelles sudistes de John Garang. Ils ne pouvaient pas faire l’impasse sur le conflit ouvert dans l’Ouest soudanais en février dernier. Mais la résolution de Washington qui vient d’être adoptée par l’Onu reste une sommation.

«Les croisés sont à nos portes»

Les sanctions ne sont pas à l’ordre du jour avant la remise du rapport de Kofi Annan, fin août. Mais la menace a suffit à pousser Khartoum à mettre dans ses rues des milliers de manifestants qui ont marché le 4 août sur le siège des Nations unies dans la capitale soudanaise aux cris de «à bas l'Amérique» et de «à bas la Grande Bretagne», qui avait vaguement évoqué fin juillet l’idée d’envoyer 5 000 soldats au Darfour. «Les croisés sont à nos portes», se sont-ils indignés derrière la bannière pro gouvernementale de «l’Association pour la foi et la patrie», prêchant le Djihad, avec la résolution onusienne, pour preuve que «l’islam est la cible». Le président Omar Al-Béchir avait lancé des accusations identiques le vendredi précédent, promettant de repousser par les armes toute intervention étrangère. Pour sa part, ce même 4 août, Kofi Annan avait au préalable obtenu son assentiment avant d’annoncer qu’il a «décidé d'envoyer une équipe de l'Onu à Addis-Abeba pour étudier avec l'Union africaine ses besoins exacts, ainsi que les moyens d'aider à structurer la force» de deux ou trois mille hommes qu’elle se promet de déployer au Darfour.

Doté cette année de la présidence en exercice de l’UA et traditionnel gendarme ouest-africain, le Nigéria a offert un bataillon de soldats (environ 800) en même temps qu’il suggérait de décupler le nombre de casques blancs africains au Darfour. Il a immédiatement reçu le concours du Rwanda dont le président Paul Kagame avait d’ailleurs consacré une part non négligeable de son discours de commémoration du génocide de 1994, le 7 avril 2004, à faire valoir très martialement sa ferveur panafricaine à défendre les peuples opprimés et au passage à recycler les talents de l’armée rwandaise désormais réduite à des proportions beaucoup plus modestes. Kigali propose un bataillon pour le Darfour. Reste, comme l’explique Kofi Annan que «si l'Union africaine déploie une force beaucoup plus importante, elle aura besoin du soutien de la communauté internationale, d'une aide dans le commandement et le contrôle, dans la logistique et d'un soutien financier».

Kofi Annan estime que la force africaine, «par sa seule présence sur le terrain, aurait un impact positif et dissuaderait les janjawid et les groupes illégaux de commettre de nouvelles attaques». Il compte visiblement sur une dissuasion diplomatique plus feutrée que celle dont Washington se fait le héraut, à l’écart du bruyant concert humanitaire occidental et des trop voyantes visées pétrolières qu’il recouvre. Les différences d’approche sont d’ailleurs également visible au conseil de sécurité. La Chine, adepte du principe de la stricte non-ingérence, s’en tient à ses besoins pétrolier et ne veut surtout pas obérer, par des sanctions internationales, ses relations purement marchandes avec un régime soudanais qui lui achète aussi des armes. La Russie a des chasseurs Mig à caser – de sources britanniques – et n’est pas favorable à une mise au ban international du régime militaire soudanais, si islamique soit-il.

Une pièce de l’échiquier géostratégique

Les deux rives de l’Atlantique nord se disputent les champs d’or noir soudanais. Mais vu d’Occident, le Soudan est aussi une pièce non négligeable de l’échiquier géostratégique de l’après guerre froide, l’islam politique ayant remplacé le repoussoir communiste. Après avoir abrité un temps Oussama ben Laden et le terroriste Carlos, finalement extradé en France, Khartoum ne donnera sans doute jamais assez de gages antiterroristes pour être rayé des listes noires américaines. Après la très longue guerre finissante entre le Sud noir, animiste et chrétien contre le Nord arabe et musulman, le conflit du Darfour remet cette ligne de friction sous les feux de la scène internationale. En la matière, le Soudan a des allures de résumé géopolitique. Pour sa part, Kofi Annan espère en corriger les inexactitudes par un discret jeu d’équilibre afro-arabe. En attendant, la France a pour sa part choisi de jouer les bonnes fées humanitaires avec un pont aérien mis en route le 4 août par ses soldats basés au Tchad, pour transporter produits alimentaires et médicaux de Ndjaména à Abéché, dans l’Est, où s’entassent les réfugiés du Darfour.

Au «Darfour, il y a plusieurs aspects. D'abord, l'aspect humanitaire qui dépasse les problèmes politiques. L'opinion publique ne comprendrait pas, notamment en Europe, que nous ne fassions rien» explique le ministre français de la Coopération Xavier Darcos. Mais le déploiement de quelques 200 militaires français à la frontière entre le Soudan et le Tchad s’explique aussi par le souci de la France d’être «assez vigilante, elle ne veut pas de déstabilisation du Tchad». Au Soudan, Paris n’est pas favorable à des sanctions contre Khartoum mais estime essentiel «de maintenir la pression sur l'ensemble des parties au conflit. Cela signifie, le gouvernement soudanais, cela signifie les Janjawid, ces milices qui commettent toutes ces exactions et puis les deux factions rebelles. Et il faut effectivement parvenir à une solution politique… et à cet égard, nous soutenons totalement les efforts de l'Union africaine pour aider à trouver la solution».

Dans l’immédiat, si l’on en croit le chef de la police du Nord Darfour, le brigadier général Jamal El-Houerees, «les commissions sécuritaires et judiciaires vont commencer la semaine prochaine l'opération de désarmement des milices incontrôlées au Darfour». Ce désarmements, ajoute-t-il, «se fera sur une base volontaire ou à la suite de perquisitions menées par la police». En même temps, Khartoum se déclare disposé à négocier un partage du pouvoir et des richesses avec les rebelles du Darfour dont il estime la force de frappe à quelque 4 000 hommes (contre six à dix mille de sources occidentales). Le gouvernement soudanais envisage des négociations politiques sur le modèle de la décentralisation concédée aux monts Nouba ou à la région du Nil mais non point de consultation d'autodétermination comme pour le Sud. En outre, précise, byzantin, le chef de la diplomatie soudanaise, «nous n'accepterons aucune condition préalable. Car si nous acceptons des conditions préalables, nous n'aurons plus rien à négocier».

Reste à trouver un terrain neutre pour accueillir les négociations, à l’écart de la région où l’Erythrée soutient la rébellion tandis que l’Ethiopie entretient de bonnes relations avec Khartoum. D’autres imbrications conflictuelles mettent aussi le Soudan en délicatesse avec l’Ouganda, dont il abrite les troupes résiduelles de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), mais aussi avec la Centrafrique où, comme au Tchad, les allées et venues des réfugiés, mais aussi celles des groupes armés soudanais des deux camps, accroissent l’insécurité et sèment la suspicion sur la sincérité des échanges diplomatiques. La République démocratique du Congo non plus n’a jamais été à l’abri de toutes sortes d’alliances transfrontalières. La Libye pourrait servir d’hôte. Mais l’UA réfléchit encore à un point de chute plus décentré pour les belligérants qui pourraient se retrouver en Afrique de l’Ouest ou australe, à une date non encore fixée.

  



par Monique  Mas

Article publié le 05/08/2004 Dernière mise à jour le 05/08/2004 à 16:08 TU

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Roland Marchal

Chercheur au CNRS et rédacteur en chef de la revue Politique Africaine

«Il y a beaucoup de travail à faire du côté de Karthoum.»

[02/08/2004]

Xavier Darcos

Ministre francais de la Coopération

«La bonne gouvernance reste un des critères de notre intervention, non seulement de la France mais comme vous le savez de l'ensemble de la collectivité internationale.»

[22/07/2004]