Cuba
Washington-La Havane : les Cubains pris en otages
(Photo : AFP)
De notre correspondante à La Havane
Des mesures cruelles, anti-cubaines, fascistoïdes… Soir après soir, depuis trois mois la télévision et la presse cubaines n’en finissent pas de qualifier la nouvelle politique de Washington entrée en vigueur fin juin. Le paradoxe est remarquable : jusque dans les années 80, c’était La Havane qui interdisait tout contact entre les exilés cubains et leurs familles restées dans l’île. C’est désormais de Washington que viennent les obstacles, sous peine d’amendes allant jusqu’à 55 000 dollars pour les contrevenants.
Ainsi, depuis fin juin, les Cubains résidant aux Etats-Unis ne peuvent se rendre dans l’île qu’une fois tous les trois ans (au lieu d’une fois par an jusque-là), le poids de leurs bagages lors de leurs visites dans l’île est limité à 20 kilos (pour éviter les cadeaux trop importants), et leurs dépenses quotidiennes autorisées sont fixées à 50 dollars pour des séjours de deux semaines au plus. Ces décisions d’une grande minutie font partie des conclusions d’un rapport de 500 pages remis le 6 mai au président américain George Bush par la Commission d’Assistance pour un Cuba libre. Leur but : renforcer l’embargo vieux de 40 ans et tarir le flot de devises qui entre à Cuba, afin d’affaiblir l’économie de l’île communiste.
1,3 million de Cubano-Américains
Dans le même esprit, le rapport s’attaque aux mandats d’argent des exilés vers Cuba, les «remesas» comme on les appelle ici. Si elles restent fixées à 100 dollars par mois maximum, elles sont maintenant limitées aux parents proches, à l’exclusion des oncles, des cousins ou des amis et de tout membre du Parti communiste. Une mesure vivement ressentie à Cuba, où nombreux sont ceux qui ne survivent que grâce à ces remesas, et un sujet sensible pour l’économie cubaine dans son ensemble : selon des estimations officieuses, ces mandats rapportent chaque année à l’île entre 800 millions et un milliard de dollars, ce qui en fait la première source nette de devises du pays.
Dans la communauté cubano-américaine, cette nouvelle politique a déclenché des polémiques, au point que même la très anti-castriste Fondation Nationale Cubano Américaine s’est prononcée contre. Car ces mesures touchent directement un grand nombre de familles : sur le million et demi de Cubains exilés dans le monde, 1,3 million résident aux Etats-Unis, principalement en Floride. Ils constituent la majorité des 169 000 émigrés venus en visite à Cuba l’an dernier. Un chiffre qui devrait donc sérieusement diminuer dans les prochains mois. Déjà les sept agences américaines spécialisées dans ces voyages ont dû réduire leurs activités.
En attendant, le 31 juillet, à l’expiration du dernier délai accordé aux voyageurs pour rentrer aux Etats-Unis avant une quelconque sanction, l’aéroport international de La Havane a été le théâtre de séparations difficiles et larmoyantes.
L’efficacité réelle de cette politique reste à prouver (il est toujours possible par exemple de voyager discrètement à travers des pays tiers comme le Mexique ou Saint-Domingue). Mais par la façon dont elles pénalisent directement les familles cubaines, ces nouvelles mesures de Bush ont d’ores et déjà réussi le tour de force d’unir contre elles à la fois le gouvernement cubain et les dissidents internes : Elizardo Sanchez, le président de la Commission des droits de l’homme et de la réconciliation nationale (illégale) les a qualifiées de «contreproductives», tandis qu’Eloy Gutierrez Menoyo, le leader de Cambio Cubano (Changement cubain, un mouvement d’opposition également illégal) a dénoncé dans une lettre ouverte à Colin Powell «l’ingérence» qu’elles représentent.
par Sara Roumette
Article publié le 07/08/2004 Dernière mise à jour le 07/08/2004 à 12:27 TU