Darfour
Khartoum entre le marteau des humanitaires et l’enclume de l’Onu
Photo : Olivier Rogez/RFI
Pour commentaire de la co-signature du programme prescrit au Soudan pour régler la crise au Darfour, le représentant spécial de l’Onu au Soudan, Jan Pronk explique que «si ce texte (fondé sur la résolution 1556) était mis en application, l’espoir est grand que le Conseil de sécurité parviendrait à la conclusion que des progrès substantiels auront été réalisés et qu'il ne serait pas nécessaire de prendre des mesures supplémentaires», c’est-à-dire des sanctions effectives conformes à l’article 41 du Chapitre VII de la Charte des Nations unies telles que «l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications [ou] la rupture des relations diplomatiques». Mais le jour même de cette validation à deux, le 10 août, les organismes humanitaires de l’Onu se sont répandu en communiqués, déclarations et rapports accablants pour Khartoum.
L'Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) dénonce des actions militaires héliportées – c’est-à-dire, mais sans les qualifier ainsi une violation du cessez-le-feu du 8 avril, jamais respecté il est vrai. L’OCH témoigne aussi d’attaques attribuées à des Janjawid, «contre les personnes déplacées dans et autour des camps dans les trois Etats du Darfour». L’OCHA se félicite en revanche de l’ouverture à l’aide humanitaire «des secteurs du Nord Darfour jusqu'alors interdit d'accès» où seraient rassemblés quelque 50 000 déplacés (carte des réfugiés au Darfour du site onusien consacré au Soudan). Mais l’Office rapporte aussi que, dans la même région, les autorités soudanaises tentent en vain de monnayer le retour des déplacés sur leurs terres d’origine. Au total, l’Onu voit dans les attaques et les pressions une méthode pour disperser les déplacés ou au contraire les regrouper ailleurs, avant l’arrivée massive des humanitaires.
Le Haut commissariat de l’Onu aux réfugiés (HCR) reproche à Khartoum de contrevenir à sa politique de rapatriement volontaire en maniant la carotte et le bâton, en particulier au Darfour Ouest, où «les autorités locales et le gouvernement continuent d'exercer des pressions sur la population déplacée afin qu'elle rentre dans des villages qui ne sont pas sûrs et qui n'offrent aucune possibilité de vie décente, puisque la majorité des récoltes et des maisons ont été détruites par les pillages des milices». Retours forcés au village ou bien déplacement vers de nouveaux camps en cours de création, le HCR s’indigne du «traumatisme» supplémentaire infligé par l’armée et la police soudanaise à des populations précédemment «chassées de leurs foyers par des milices armées».
Les rebelles exhortent Washington et Londres à intervenir
Selon le HCR, les policiers gouvernementaux qui ont été postés dans les villages déserts font chou blanc face aux habitants apeurés qui hésitent à revenir et peinent à croire qu’ils sont là pour assurer leur sécurité. D’ailleurs, rapporte son porte-parole à Genève, «nous avons interrogé des gens à l'hôpital qui nous ont dit qu'ils étaient revenus dans leurs villages, en pensant que le gouvernement respecterait ses engagements, et qu'ils s'étaient fait tirer dessus par des janjawid». Même la diminution des cas déclarés de viol dans le Darfour Ouest paraît suspecte au HCR. Il «craint que cela soit davantage le signe de pressions exercées sur les femmes pour qu'elles s'abstiennent de signaler les viols».
L'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch affiche clairement la couleur de ses opinions : Khartoum «n’est pas crédible». Dans un rapport publié le 11 août, l’organisation raconte qu’avant d’être battues et violées, un groupe de femmes du Darfour s’est entendu dire par des miliciens : «maintenant, le pays appartient aux Arabes». En conclusion, Human Rights Watch estime que si le gouvernement soudanais «était sérieux sur sa volonté de protéger les civils, il permettrait une plus importante présence internationale». L’Union africaine (UA) avait accepté de combler ce vide. Mais depuis ses discussions avec la Ligue arabe dimanche dernier, l’UA a décidé d’examiner plus tard la nature et l’amplitude exacte de la force arabo-africaine envisagée au Darfour.
300 ou 2 000 hommes, chargés de la seule sécurité des observateurs africains ou également de celle des déplacés, le nombre, mais surtout le mandat des casques blancs africains reste incertain, du moins dans les déclarations de l’UA. Celle-ci annonce qu’elle va en en reparler le 21 août prochain, à Abuja, au Nigéria, où doivent s’ouvrir des pourparlers de paix entre le gouvernement soudanais et les rebelles du Darfour. Ceux-ci pourraient eux-même être hypothéqués, l’Armée de libération du Soudan, l’un des deux mouvements d’opposition armés, demande un délai de réflexion. En même temps, son chef, Abdel Wahed Mohamed Ahmed Nour, «exhorte» les Etats-Unis et la Grande Bretagne à intervenir militairement au
Darfour avant le terme de l’ultimatum onusien. En attendant, le Rwanda a fourni un premier contingent de 154 soldats prêts à s’envoler pour le Darfour où les Pays-Bas ont promis de les transporter le 14 août. Ils seront basés dans la principale ville du Nord Darfour, El Fasher, avec pour le moment mandat de protéger les observateurs africains chargés de surveiller le cessez-le-feu. Khartoum souhaite qu’ils en restent là.
«Les objectifs des Etats-Unis et de l'Europe sont l'or et le pétrole du Darfour», tempête le président Al-Béchir, qui accuse l’Occident d’«attiser le conflit». «La prospérité dont jouissent ces pays est le fruit du pillage des richesses naturelles et des ressources humaines des anciennes colonies», poursuit-il, épinglant au passage l’Erythrée qu’il accuse «d'entretenir sur son territoire des camps d'entraînement» rebelles pour «faire exploser l'Est soudanais». S’il a commencé à recycler ses miliciens dans les forces régulières comme l’assurent ses détracteurs, Omar Al-Béchir exige en retour que ses rebelles soit cantonnés et surveillés.
par Monique Mas
Article publié le 11/08/2004 Dernière mise à jour le 11/08/2004 à 15:28 TU