Amérique latine
Les déçus de la démocratie
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Mexico
L’Amérique latine est profondément déçue par la démocratie. L’enquête réalisée auprès de 19 000 personnes, dans 18 pays (tous, sauf Cuba), par Latinobarometro, montre que depuis huit ans les citoyens sont de plus en plus sceptiques sur les bienfaits de la démocratie. Ils étaient 61% à y croire en 1996, ils ne sont plus aujourd’hui que 53%. Mais curieusement, les personnes interrogées ne veulent pas pour autant un retour aux régimes autoritaires puisqu’il n’y a plus que 15% (au lieu de 18) qui préfèrent la main forte. Ce n’est donc pas une question de doctrine mais plutôt de définition. «On a fait croire qu’en offrant des élections libres, on offrait la démocratie, alors que l’on ne posait que la première pierre d’un édifice à construire, explique le sociologue mexicain Pascual Serrano. Si les populations sont aujourd’hui plus informées, elles sont aussi plus frustrées car la démocratie n’est ressentie que comme un privilège de quelques uns».
En effet, on note une indifférence de plus en plus grande à l’égard de la politique et un manque de confiance dans les partis politiques qui ne parviennent nulle part (sauf au Chili) à régler ou à enrayer les problèmes de pauvreté, d’éducation, de santé et d’insécurité. Selon cette enquête, 71% des personnes interrogées affirment que leur pays est gouverné par des petits groupes d’intérêts qui ne travaillent que pour leur seul profit. Au Pérou, par exemple, il n’y a que 8% de la population qui soit satisfaite du gouvernement Toledo !
(Source : www.ftaa-alca.org)
L’enquête montre que pour les Latino-américains, la démocratie revient à choisir entre des candidats qui soutiennent tous l’économie de marché. La démocratie est donc avant tout une forme de gouverner. Ils ont conscience que les régimes autoritaires ont cédé le pouvoir à des gouvernements élus, non pour défendre les droits de l’homme, mais pour protéger les investissements, renforcer le système financier, faciliter l’exploitation des matières premières destinées à l’exportation, engager des grands travaux donnés en concession aux transnationales.
Mais si le modèle néo-libéral suivi par tous les gouvernements d’Amérique latine, sur injonction des institutions financières mondiales et de Washington, a permis, en vingt ans, d’améliorer les résultats macro-économiques, comme au Mexique, il a considérablement réduit le niveau de vie des classes populaires, ouvrant davantage le fossé entre riches et pauvres. Les taux de chômage ou le travail informel ont considérablement augmenté, la pauvreté est devenue incontrôlable, atteignant jusqu’à 80 % de la population dans les petits pays comme le Nicaragua, le Honduras ou le Guatemala.
Contrairement à leurs attentes, le droit de vote, la liberté d’expression et donc la démocratie, ne sont donc pas synonyme d’une amélioration du niveau de vie. Les gouvernements de transition démocratique n’ont pas apporté le bien être et le développement promis, car, à quelques exceptions près (Chili, Costa Rica), les gouvernements refusent de redistribuer la richesse, privilégiant les individus sans donner d’importance aux conséquences collectives (évasion fiscale, fraude, absence de droit, etc…).
Cette déception exacerbe les rancœurs, divise les populations et les monte les unes contre les autres. Lorsqu’un gouvernement cherche d’autres voies, comme tentent de le faire Hugo Chavez au Venezuela, Lula au Brésil, Nestor Kichner en Argentine, et même d’une certaine manière les maires progressistes de Mexico ou de Bogota (futurs candidats à la présidence), leurs politiques sont immédiatement contrecarrées ou contrôlées par les Etats-Unis.
Vouloir compléter la démocratie électorale par une démocratie sociale, qui passe par une redistribution des richesses, un rétablissement de l’Etat de droit, proposer que les revenus du pétrole aillent à l’éducation, à la santé, à la lutte contre la pauvreté ne sont pas «politiquement corrects» puisque ce sont des politiques qui vont à l’encontre des marchés. Lorsque Hugo Chavez ou Lula ou encore Lopez Obrador, maire de Mexico, estiment que leur priorité est de combattre la pauvreté, ils sont aussitôt qualifiés de «populistes» comme hier de «communistes». Il y a, en effet, un grand mépris pour tous ceux qui pourraient enrayer la bonne marche du libéralisme. Lorsqu’au Mexique, Vicente Fox et ses alliés parviennent à ce que la faillite bancaire de 120 milliards de dollars soit convertie en dette publique payable sur trente ans par les tous les Mexicains, les institutions financières internationales applaudissent. Quelles auraient été leur position s’il avait choisi le moratoire, pour sortir en priorité les 65 millions de pauvres que compte le Mexique ?
Le sentiment général qui se dégage de cette vaste enquête est que la démocratie telle qu’elle se pratique en Amérique latine n’a pas beaucoup de sens. Elle ne paraît exister que pour mieux ouvrir la ZLEA aux intérêts américains, cette Zone de libre-échange des Amériques qui s’étendra de l’Alaska jusqu’en Terre de Feu.
par Patrice Gouy
Article publié le 21/08/2004 Dernière mise à jour le 21/08/2004 à 08:54 TU
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