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interview

Littérature

Erik Orsenna se souvient d’Ahmadou Kourouma

L’académicien français Erik Orsenna a bien connu Ahmadou Kourouma. Il parle ici de sa complicité avec le grand romancier disparu, de ses apports à l’imaginaire francophone, de son influence sur les nouvelles générations d’écrivains africains.

Erik Orsenna 

		(Photo: Académie française)
Erik Orsenna
(Photo: Académie française)

RFI : Quel souvenir garderez-vous d'Ahmadou Kourouma ?
Erik Orsenna : Ahmadou Kourouma était un écrivain que j’admirais infiniment parce qu’il avait su incarner, plus que raconter, toutes les déchirures de l’histoire africaine, depuis la colonisation jusqu'à aujourd'hui, en passant par les turbulences qui ont suivi les indépendances. Un peu comme Garcia Marquez ou Asturias, il était devenu la voix de son peuple, la voix de tout un continent. Je garderai longtemps le souvenir de cet homme, physiquement si impressionnant, écoutant du haut de ses deux mètres les rumeurs de son continent à la dérive.

RFI : Comment l’avez-vous connu ?
E.O. : Il se trouve que pendant quatre ans j’ai été animateur du comité éditorial des Nouvelles éditions ivoiriennes. J’allais donc tous les trois mois en Côte d’Ivoire. Je rencontrais Kourouma à cette occasion. Nous discutions beaucoup du piteux état de l’édition africaine, des problèmes épouvantables de la diffusion du livre en Afrique. On se demandait comment faire pour qu’on puisse mieux faire entendre les voix des écrivains africains. Kourouma ne se préoccupait pas seulement de son oeuvre. Il réfléchissait aussi à l'avenir de l'écriture et du livre sur son continent. Il se demandait comment peut-on être écrivain africain aujourd'hui ? Faut il que l’on soit toujours obligé de passer par le quartier latin parisien pour être lu et reconnu ?

RFI : Est-ce qu’il vous parlait de la situation tragique de son pays ?
E.O. : Kourouma souffrait beaucoup de ce qui se passait depuis quelque temps dans son pays. Nous avons parlé longuement de la guerre civile, des menaces d'éclatement que cette guerre faisait peser sur la Côte d'Ivoire. Il pensait que l’ivoirité était un cancer qui était en train de ronger son pays.

RFI : Dans le paysage littéraire africain, Kourouma est un personnage atypique. Il avait étudié les mathématiques et il était assureur de métier. Rien ne le prédisposait à la littérature. Et pourtant, il a su profondément renouveler la thématique de la littérature africaine. Comment peut-on expliquer cela ?
E.O. : Kourouma a aussi renouvelé la langue de la littérature africaine en y introduisant des tournures, des syntaxes propres à sa langue maternelle. C'est merveilleux ce qu'il a su faire avec le langage académique que la France coloniale avait légué aux Africains. Je sors des livres de Kourouma complètement agrandi, tourneboulé, réjoui. Et il me semble que cette subversion linguistique était possible parce qu'étant mathématicien, Kourouma n'avait pas la même relation avec le français que les Africains plus littéraires.

RFI : Des quatre romans de Kourouma, lequel est-ce que vous préférez ?
E.O. :
Il est difficile de répondre à cette question. Les quatre romans de Kourouma s'inscrivent dans un ensemble qu'il est difficile de séparer. C'était comme si vous me demandiez de choisir entre Mort à crédit et Voyage au bout de la nuit. Pour répondre quand même à la question, je dirais que j'ai une faiblesse pour Les Soleils des Indépendances et pour En attendant le vote des bêtes sauvages. En deux livres, quel portrait du continent! L’espoir brisé des indépendances et la folie des dictatures. Dans l’histoire de la littérature africaine, Les Soleils des Indépendances brillera longtemps avec une lumière sombre. Pour ce qui est de En attendant le vote des bêtes sauvages, c’est du grand Marquez. C'est un texte quasi-shakespearien.

Propos recueillis par Tirthankar  Chanda

Article publié le 27/08/2004 Dernière mise à jour le 27/08/2004 à 11:14 TU

Le dernier roman en date d’Erik Orsenna s’intitule Madame Bâ (Stock, 2003)

 


Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus d'informations)