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Littérature

Abdourahman A. Waberi se souvient d’Ahmadou Kourouma

Abdurahman Waberi 

		(Photo: éditions Gallimard)
Abdurahman Waberi
(Photo: éditions Gallimard)
Le porte-drapeau de la jeune littérature africaine Abdourahman A. Waberia bien connu Ahmadou Kourouma. Il parle ici de du romancier disparu, de ses apports à l’imaginaire francophone, de son influence sur les nouvelles générations d’écrivains africains.

RFI : Quel souvenir garderez-vous d'Ahmadou Kourouma ?
Abdourahman A. Waberi :
Je garderai le souvenir d’un homme simple qui ne se prenait pas au sérieux. Chaque fois que je le voyais, il m'époustouflait par sa bonhomie, par son côté paysan malinké et ce manque d’intellectualisme qui le caractérisait. Malgré les prix et les honneurs, il n'a jamais perdu le sens de la réalité.

RFI : Comment l’avez-vous connu ?
A.A.W. :
J’ai fait la connaissance de Kourouma il y a huit ans à Djibouti, à la Fête du livre. Nous y étions tous les deux invités pour parler de notre travail d’écrivain. Je me souviens qu’un soir j’étais avec lui dans une bibliothèque de quartier quand une poignée de gosses venus écouter les écrivains, l’ont abordé pour lui demander d’écrire sur les guerres tribales. Quelques années après, Kourouma a publié Allah n’est pas obligé, livre qu’il a dédié aux enfants de Djibouti. Mais quand le livre est sorti, personne n’a voulu croire qu’il l’avait écrit à la demande des enfants. Pourtant, c’est tout à fait vrai. Je peux le confirmer car j’étais là.

RFI : Est-ce qu’il vous parlait de la situation tragique de son pays ?
A.A.W. :
La dernière fois que j'ai eu Kourouma au téléphone, il m’a dit qu’il était devenu un vrai exilé maintenant qu’il était personna non grata en Côte d'Ivoire. Il était d'ailleurs en train d'écrire sur la guerre civile dans son pays. Il m’a dit que le livre était bien avancé.

RFI : Dans le paysage littéraire africain, Kourouma est un personnage atypique. Il avait étudié les mathématiques et il était assureur de métier. Rien ne le prédisposait à la littérature. Et pourtant, il a su profondément renouveler la thématique de la littérature africaine. Comment peut-on expliquer cela ?
A.A.W. :
Kourouma est un véritable miracle. Il est venu à la littérature par hasard, par accident. Il a raconté lui-même, lors des nombreuses interviews qu'il a données, les circonstances qui l'ont conduit à écrire son premier roman Les soleils des indépendances. Il sortait de prison. Il voulait témoigner de la condition faite à ses amis qui n'ont pas eu sa chance. Comme il ne pouvait pas écrire un essai sans se faire censurer, il a écrit cette chose bizarre, à mi-chemin entre roman et pamphlet politique. L'Afrique sortait alors de la colonisation. Aucun romancier n'avait encore raconté l'histoire de l'Afrique des indépendances. Kourouma n'avait donc aucun modèle auquel se rattacher. Il a écrit ce premier livre en intuitif et, ce faisant, il a inventé une nouvelle forme qui a eu la fortune que l'on sait. Personnellement, je me sens très proche de Kourouma, car étant vierge de toute forme ou théorie esthétique, il a pu faire preuve d'une grande originalité, voire même de subtilité dans son appréhension de l'Afrique. Sa grille de lecture de l'univers africain est moins manichéenne que celle que nous propose, par exemple, un Mongo Beti ou un Sembène Ousmane qui pensent en révolutionnaires et en idéologues. C'est ce qui explique sans doute que les personnages que Kourouma met en scène dans ses romans ne sont pas des victimes, mais plutôt des rusés que les anthropologues anglais désignent du nom de « Trickster ».

RFI : Des quatre romans de Kourouma, lequel est-ce que vous préférez ?
A.A.W. :
Je dirai sans la moindre hésitation En attendant le vote des bêtes sauvages. J'apprécie sa narration complexe et originale. Ce roman révèle les talents formalistes de Kourouma. J’aime aussi Monné, outrages et défis pour le côté tragique de la rencontre Afrique-Occident. J'aime moins Allah n'est pas obligé qui a pourtant connu un grand succès populaire. J'ai l'impression que dans ce livre Kourouma s'est contenté de paraphraser la réalité plutôt que de la recréer.



par Tirthankar  Chanda

Article publié le 27/08/2004 Dernière mise à jour le 27/08/2004 à 11:14 TU

Le dernier roman en date d’Abdourahman A. Waberi est Transit (Gallimard, 2003).


Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus d'informations)