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Otages français en Irak

Le monde arabe et musulman indigné

L'enlèvement des deux journalistes a provoqué l'indignation dans le monde arabo-musulman où plusieurs organisations, religieuses ou non, ont appelé à leur libération. 

		(Photo : AFP)
L'enlèvement des deux journalistes a provoqué l'indignation dans le monde arabo-musulman où plusieurs organisations, religieuses ou non, ont appelé à leur libération.
(Photo : AFP)
La forte mobilisation des pouvoirs publics français et des organisations musulmanes de France qui depuis samedi soir, multiplient les initiatives pour réclamer la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, a été largement relayée dans le monde arabe où les appels se sont succédé pour trouver une solution à cette crise.

Moins de trois heures après la diffusion par la chaîne de télévision qatarienne al-Jazira d’un enregistrement révélant que les deux journalistes français étaient bien entre les mains de l’Armée islamique en Irak, le Comité des oulémas musulmans lançait un appel pour leur libération. La principale organisation religieuse sunnite, qui a insisté sur le rôle joué par la France pour empêcher une guerre contre l’Irak, a exhorté les ravisseurs à relâcher leurs deux otages. «Si nos frères respectent le Comité des oulémas, nous les exhortons à sauvegarder notre amitié avec la France», a lancé l’un de ses membres, le cheikh Abdessatar Abdeljawad. Selon lui, il existe d’autres moyens légitimes pour amener la France à revenir sur sa décision, faisant référence à la revendication des preneurs d’otages qui ont donné 48 heures à Paris pour abroger la loi sur la laïcité. «Le Comité des oulémas rejette catégoriquement l’enlèvement comme méthode pour parvenir à des objectifs», a-t-il insisté tout en estimant que les autorités françaises avaient «commis une erreur en interdisant le voile en France».

Quelques heures plus tard, dans la matinée de dimanche, c’était au tour des Frères musulmans, la principale formation d’opposition en Egypte –non reconnu par le pouvoir–  de dénoncer le rapt des deux Français. «Nous condamnons l’enlèvement de civils, sous n’importe quel prétexte, notamment lorsque les problèmes soulevés ne concernent pas le pays où se déroule l’événement», a affirmé un porte-parole de cette organisation. Depuis les initiatives de mouvements islamistes, des plus modérés aux plus radicaux, se sont multipliées à travers le monde arabe pour exhorter l’Armée islamique en Irak à relâcher ses deux otages. Le principal parti islamiste jordanien, le Front de l’action islamiste, a ainsi appelé à «épargner la vie et la dignité des deux journalistes et à les libérer immédiatement». Selon ce mouvement, qui compte quelque 17 députés au parlement jordanien, libérer les deux hommes «serait un grand service pour la cause de l’Irak et la cause des musulmans de France et d’ailleurs». «La liberté des journalistes devrait être garantie pour qu’ils puissent couvrir les événements en Irak et rapporter la vérité au monde», a-t-il également plaidé.

Un enlèvement qui dessert la cause de l’islam

Les islamistes marocains ont pour leur part dénoncé «un acte criminel qui a visé des citoyens de France, un pays connu pour sa position équilibrée concernant l’Irak et le peuple irakien». Pour le mouvement Unification et réforme, l’enlèvement des deux journalistes constitue en effet ni plus ni moins «une agression contre deux innocents qui n’ont rien à voir avec la guerre et l’occupation et encore moins avec l’affaire du hijab –voile islamique–». A Beyrouth, le grand ayatollah Mohammad Hussein Fadlallah, un haut dignitaire de l'islam chiite, a par ailleurs appelé à la libération des deux journalistes français. «Nous refusons d'établir un lien entre le rapt des journalistes français et l'interdiction du port du voile en France car cela est contraire aux règles coraniques religieuses», a-t-il souligné. Alors qu’il avait pourtant violemment condamné la loi sur la laïcité, Seyyed Fadlallah dont la réputation dépasse les frontières du Liban, a rappelé que «des oulémas et des penseurs musulmans dans le monde avaient affirmé que la question de l'interdiction du voile devait être traitée par le dialogue objectif avec les autorités françaises».

L’Organisation de la conférence islamique, qui regroupe 57 pays musulmans, a également exprimé sa «ferme condamnation» du rapt des deux Français. Son secrétaire général, le Marocain Abdelwahed Belkeziz, a estimé que cette opération était «préjudiciable à l’islam et aux musulmans» et risquait de provoquer «un tort irréparable à leur cause partout dans le monde et nuire à la cause irakienne». «La religion musulmane et le monde musulman dans son ensemble interdisent d'enlever et de terroriser des innocents, et rejettent l'amalgame facile entre la question du foulard en France et la situation actuelle en Irak», a-t-il insisté.

Cette idée que l’enlèvement des deux Français ne soit préjudiciable à l’image de l’islam dans le monde a également été développée par l’Observatoire islamique, une institution qui défend la cause des musulmans dans le monde et qui jouit d’une certaine notoriété auprès des groupes islamistes radicaux. «Nous exhortons les ravisseurs à libérer les deux journalistes pour donner une bonne image de l'islam et de la civilisation islamique», a notamment déclaré son directeur Yasser al-Serri. En 2001, un appel de M. Serri au mollah Omar, chef suprême des taliban en Afghanistan avait sauvé la vie à un Jordanien, condamné à mort pour «espionnage». S’adressant aux ravisseurs des deux Français, le directeur de l’Observatoire a insisté sur le fait qu’il s’agissait de «deux civils qui sont en train de dévoiler les agissements sauvages des forces américaines d'occupation». Selon lui, «leur travail est au service de l'Irak et des Irakiens».

Mobilisation politique

Sur le plan politique, la France a reçu lundi matin le soutien du Conseil des ambassadeurs des pays arabes qui s’est déclaré «unanimement solidaire» avec Paris et a condamné «avec la plus grande fermeté» l’enlèvement des deux journalistes. Le Conseil «dénonce avec une extrême vigueur l’odieux et inacceptable chantage exercé sur l’Etat français» à travers leur enlèvement, affirme un communiqué du Conseil. Soulignant que les pays arabes «useront de tous les moyens» pour soutenir l’action du gouvernement français visant à libérer les deux hommes, le texte souligne que «la solidarité naturelle du monde arabe est renforcée par le rôle exemplaire et remarquable qui est celui de la France dans le monde et plus particulièrement en Irak et au Moyen-Orient pour faire prévaloir la morale, la justice et le droit».

Au Caire, le secrétaire général de la Ligue arabe a pour sa part affirmé que l’organisation panarabe était en contact permanent avec les responsables irakiens pour faire le point sur ce dossier délicat. Amr Moussa a «exhorté tout le monde à en finir avec cette affaire le plus rapidement possible afin d’épargner au monde arabe des conséquences dont il peut se passer». «J'appelle tous les responsables et ceux qui ont du pouvoir dans cette affaire à imaginer ses conséquences sur l'opinion publique française, qui est une opinion amie», a ajouté le diplomate égyptien soulignant que «la politique française est connue et appréciée et que les deux journalistes français font partie de ceux qui ont le plus écrit en solidarité avec les causes arabes».

A Ramallah enfin, le président de l’Autorité palestinienne a appelé depuis son quartier général à la «libération immédiate des deux journalistes». «Au nom du peuple palestinien et de la direction palestinienne, j'appelle instamment à la libération des journalistes français, que leur vie soit épargnée et qu'ils soient libérés aussi vite que possible», a déclaré le vieux raïs dans un appel au caractère exceptionnel puisque c’est la première fois qu’il intervient dans les événements irakiens. «Ces journalistes aident la cause irakienne et la cause palestinienne», a poursuivi Yasser Arafat appelant à «des garanties pour tous ceux qui soutiennent notre combat». Son appel a été relayé par le jihad islamique, l'une des principales organisations radicales palestiniennes, qui a estimé que «la question du voile ne se réglait pas de cette manière». 



par Mounia  Daoudi

Article publié le 30/08/2004 Dernière mise à jour le 30/08/2004 à 16:43 TU