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Darfour

Washington parle désormais de «génocide»

La reconnaissance officielle d’un génocide au Soudan par l’administration Bush ne lui «<I>dicte aucune action».</I> 

		(Photo: AFP)
La reconnaissance officielle d’un génocide au Soudan par l’administration Bush ne lui «dicte aucune action».
(Photo: AFP)
Alors qu’en juillet dernier, à la différence du Congrès américain, le secrétaire d'Etat Colin Powell s’était refusé à user d’une qualification lourde d’obligation, l’administration Bush a résolu d’affirmer, jeudi, qu’«un génocide a eu lieu et pourrait encore se poursuivre au Darfour»et que «le gouvernement soudanais et les janjawid en portent la responsabilité». Colin Powell invoque une nouvelle enquête américaine menée dans 19 camps de réfugiés de l’Est tchadien en juillet et en août. Les réponses des quelque 1 136 personnes interrogées font ressortir une «pratique constante et étendue d'atrocités contre les villageois non-arabes du Darfour», explique-t-il. Pour autant, Washington n’envisage pas d’intervenir pour empêcher le génocide, mais appelle l’ONU à lancer un nouvel ultimatum à Khartoum qui dénonce pour sa part des accusations à usage interne, électoraliste en l’occurrence.

Selon le rapport de l’enquête sur laquelle s’appuie Colin Powell, la plupart des réfugiés interrogés dénoncent des attaques combinées entre troupes gouvernementales et janjawid pour raser leurs villages. Un tiers de ces témoignages évoquent des menaces raciales telles que «nous tuons tous les Noirs et même le bétail si les veaux ont des tâches noires», marquant une volonté d’épuration ethnique avec des «vous n'êtes pas d'ici, fuyez esclaves pour que le bétail des Arabes puisse brouter!». Les quatre-cinquièmes des réfugiés assurent que leur cheptel a été volé et près de la moitié que leurs biens personnels ont été pillés. 61% affirment avoir assisté au meurtre d'un membre de leur famille et 16% avoir subi un viol ou connaître des victimes de viols. Le président George Bush s'est lui aussi déclaré «consterné» par le récit de ces exactions. «Nous avons conclu que le génocide sévit au Darfour. Nous exhortons la communauté internationale à oeuvrer avec nous pour éviter et supprimer les actes de génocide», a-t-il déclaré, renvoyant la balle à l’ONU où Washington entend voir le Conseil de sécurité adopter mardi prochain la nouvelle résolution made in USA.

«Si j'étais président, j'agirais maintenant. Comme je l'ai dit depuis des mois, je ne resterais pas assis à ne rien faire», a pour sa part renchéri le candidat démocrate à la présidentielle de novembre, John Kerry, à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, devant un parterre d'églises noires protestantes rassemblées pour la session annuelle de la Convention nationale baptiste. Il estime que «les Etats-Unis devraient assurer le déploiement immédiat d'une force internationale pour désarmer les milices, et faciliter la livraison de l'aide humanitaire au Darfour», ce qui n’est absolument pas sur l’agenda de son rival George Bush. En effet, lorsque celui-ci avance que «notre gouvernement a pris la tête d'un effort international pour mettre fin à la souffrance qui règne» au Darfour, c’est justement parce qu’il n’entend pas aller enliser des troupes américaines dans l’Ouest soudanais.

Un nouvel ultimatum de trente jours

«Nous avons présenté une forte résolution au Conseil de sécurité qui a été adoptée le 30 juillet», poursuit George Bush, expliquant que puisque l’ultimatum n’a pas été suivi d’effet, son «gouvernement cherche à faire adopter une nouvelle résolution pour autoriser un renforcement de la force de sécurité de l'Union africaine». Cette résolution serait également assortie d’un nouvel ultimatum d’un mois. Petite précision dans la menace: sa mise à exécution pourrait comporter des sanctions concernant le secteur pétrolier, ce qui tétanise déjà la Chine où la Russie, l’Algérie, l’Angola ou le Pakistan freinant également des quatre fers. La résolution américaine suggère aussi que le Darfour fasse l’objet d’un autorisation de survol international mais que son espace aérien soit strictement interdit à l’armée de l’air soudanaise. Enfin, elle demande au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, de mener l’enquête sur les crimes de génocide au Darfour et sur leurs auteurs. Pour leur part, les Etats-Unis considèrent que leur reconnaissance officielle d’un génocide au Soudan ne leur «dicte aucune action».

«Le terme de génocide relève de notre jugement, mais ce n'est pas à ce stade le jugement de la communauté internationale», se justifie Colin Powell qui renvoie donc à Kofi Annan la responsabilité non seulement de valider la qualification du génocide au Darfour, mais surtout d’en tirer les conséquences conformes à la Convention de 1948 qui régit la prévention et la répression des génocides. En la matière, Washington se décharge par avance sur l’Union africaine, tout en garantissant ses arrières politico-diplomatiques. On ne pourra pas reprocher à l’administration Bush de ne pas avoir vu de génocide au Darfour. En outre, l’accusation est un moyen de pression supplémentaire sur Khartoum qui nie, bien évidemment, et en tire argument pour suggérer qu’en haussant le ton, Washington risque de faire capoter les négociations qui piétinent dans la capitale nigériane, Abuja, depuis le 23 août.

«Les Etats-Unis se comportent comme un éléphant dans un magasin de porcelaine», tempête le vice-président du parlement soudanais, Angelo Beda. Leur attitude renforce les rebelles du Darfour et pourrait même inciter des mouvements séparatistes à lancer la lutte armée, dans l’Est par exemple, où s’organise le Congrès Béja, ajoute-t-il. De son côté, la diplomatie soudanaise accuse Washington d’en vouloir surtout à son pétrole et d’instrumentaliser l’accusation de génocide sur le modèle de la campagne américaine sur les armes de destruction massive en Irak. L'ambassadeur du Soudan à Washington, Khedr Haroun, le premier à réagir auprès du département d’Etat, ajoute que «considérer ce qui se passe au Darfour comme un génocide ne fait pas l'objet d'un consensus international». Ni l’Union européenne, ni l’Union africaine, et encore moins la Ligue arabe ne sont allées aussi loin, dit-il. Pour sa part, le ministre soudanais des Affaires étrangères, Mustafa Osman Ismail, se déclare convaincu que «l'administration Bush tente de détourner l'attention sur la scène intérieure et internationale de ce qui se passe en Irak afin d'éviter la pression des Démocrates dans l'élection présidentielle en cours».

Le chef rebelle de l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) du Sud-Soudan, à majorité négro-africaine et chrétienne, John Garang, approuve haut et fort Colin Powell. «Quand un gouvernement utilise des tribus contre d'autres tribus pour contrer une insurrection, ce concept répond à la définition du génocide ou de l'épuration ethnique. Il s'agit donc bien d'un génocide», déclare Garang, très satisfait d’entendre le département d’Etat imputer à Khartoum les obstacles qui bloquent au Kenya la finalisation de l’accord de partage du pouvoir entre le gouvernement et la rébellion sudiste et empêchent de tourner la page de 21 ans de guerre. A Abuja, les rebelles du Darfour du Mouvement pour la libération du Soudan (SLM) voient eux aussi l’accusation de génocide comme un «développement bienvenu». «Nous croyons que la communauté internationale va maintenant prendre des mesures plus sérieuses et concrètes contre le gouvernement pour le forcer à arrêter ces atrocités», espère le porte-parole du SLM tandis que son alter ego du Mouvement pour l'égalité et la justice (JEM) estime que «les Etats-Unis devraient faire un pas de plus en aidant à punir les coupables». Ce n’est pas au programme pour le moment.



par Monique  Mas

Article publié le 10/09/2004 Dernière mise à jour le 10/09/2004 à 15:26 TU

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Jan Pronk

Représentant spécial de Kofi Annan au Soudan

«Si le gouvernement soudanais n'est pas capable d'arrêter les exactions, il faut qu'il demande l'assistance internationale surtout l'assistance de l'Union africaine.»

[03/09/2004]