Otages français en Irak
Polémique autour d’un échec
(Photo: AFP)
Le ton s’est nettement détérioré à partir de vendredi soir, lorsqu’il est devenu évident pour tous que la mission de Damas s’achevait sur un échec et lorsque a commencé à circuler la rumeur selon laquelle le collaborateur de Didier Julia, Philippe Brett, avait peut-être menti sur un certain nombre de points : proximité avec les otages et leurs ravisseurs, sa propre localisation (en Irak ou en Syrie) et les fausses entraves américaines sur le dénouement, tout en surévaluant ses chances de succès, à grand tapage médiatique, dans une affaire particulièrement grave.
Tout au long du week-end, toute une série de déclarations ont souligné crescendo le caractère autoproclamé de la mission du député français de Seine-et-Marne. Le président de la république a déclaré son inquiétude. Le Premier ministre, le porte-parole du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères, la quasi totalité des élus et leurs représentants, le président de l’Assemblée nationale, l’opposition, tous ont dénoncé en termes plus ou moins violents cette « initiative privée » et souligné que les membres de l’équipe en question n’avaient été « mandatés par personne ».
« Dans le bleu »
Aujourd’hui celui-ci passe pour un farfelu incontrôlable aux initiatives contre-productives, voire dangereuses. La question de sa sanction, au sein de son groupe politique (le parti présidentiel UMP), est désormais à l’ordre du jour. En tout cas ses explications sont attendues avec impatience et irritation, lorsqu’il sera de retour mardi à l’Assemblée nationale, comme il l’a lui-même indiqué. « On va tout mettre sur la table », déclarait-il en début d’après-midi, avant de s’envoler pour Paris. M. Julia a notamment indiqué que les autorités françaises n’avaient pas été mises au courant de sa mission avant qu’elle ne débute. Il affirme que ses contacts avec les ravisseurs sont coupés. Quant à la polémique et à la virulence des critiques soulevées par son action, il déclare comprendre que les autorités françaises sont « furieuses de leur propre échec ».
Pourtant jusqu’au jeudi 30 septembre, le ton n’avait pas été d’emblée aussi cinglant. Certes les autorités françaises n’ont à aucun moment reconnu une sous-traitance, même partielle, du dossier. Mais les premiers silences circonspects qui ont accompagné la montée en puissance de « l’affaire Julia » trahissent le désarroi officiel et la volonté de laisser sa chance à l’action. La diplomatie française est « dans le bleu », déclarait à ce propos Didier Julia, raison pour laquelle il aurait de sa propre initiative, en connaisseur de la région, et de longue date homme de réseaux franco-arabes, monté l’opération voici trois semaines.
« Un bouc émissaire » ?
La thèse selon laquelle la maladresse ou l’amateurisme de Didier Julia aurait déstabilisé les ravisseurs et accru leur méfiance, face à la multiplication des initiatives, circulait largement lundi matin. Au point de désigner aujourd’hui le député français comme responsable des blocages qui pourraient survenir à présent. Pourtant, certains observateurs peinent à croire que Didier Julia a « agi tout seul, en franc-tireur », selon la formule du député socialiste Julien Dray. Selon ce dernier, M. Julia ne doit pas devenir « un bouc émissaire ». « Qui peut penser qu’un député peut se balader en Syrie sans que tout le monde soit prévenu ? », s’est interrogé M. Dray.
On note également parmi les mises au point celle du ministre de la Justice : « on lui avait conseillé de ne pas le faire, il l’a fait quand même », déclare notamment Dominique Perben dans sa critique, indiquant en creux que la mise en place d’une mission parallèle était connue et qu’on n’avait pas ordonné à Didier Julia de ne pas l’exécuter, et qu’il n’aurait donc pas désobéi. Dans le contexte d’impuissance de la diplomatie française à aboutir, l’idée d’un « plan B » n’apparaît donc pas aussi saugrenue.
« L’avion de Bongo est en panne »
Dans son édition de lundi soir, le quotidien Le Monde affirme que l’initiative du député français est une affaire sérieuse, qui a mobilisé des hommes d’influence des relations franco-africaines. Le journal annonce qu’une équipe parallèle franco-ivorienne, dont le pivot est Didier Julia, a été mise en place dès le début du mois de septembre. pour effectuer ses navettes entre la France et le Proche-Orient. Cette équipe dispose d’une logistique ivoirienne en matière de transports aériens, gracieusement mise à disposition par la présidence de la république. Selon Le Monde, cette équipe s’est finalement déchirée et l’aventure s’est achevée dans la confusion qu’on a vue. Mais le quotidien du soir affirme que dès le 28 septembre l’Elysée était au courant.
L’hypothèse d’une équipe parallèle « franco-africaine » n’est pas aberrante. Dans le contexte des mauvaises relations entretenues entre Paris et Abidjan, on peut en effet envisager que ce type d’affaires devienne prétexte à ce genre de coup de main, soit pour les torpiller davantage (en soutenant une équipe clandestine), soit pour les restaurer en cas de succès. A Abidjan, la presse s’interroge sur les motivations présidentielle et s’interroge de savoir ce « que chercherait au juste (Laurent) Gbagbo » (Le Réveil, proche de l’ancien parti unique). Les Echos estiment que l’équipe de Didier Julia est en mission confidentielle (et inavouable) mais que « l’avion de Bongo (Omar Bongo, président gabonais) est en panne et la présidence française se tourne vers Gbagbo ».
Règlement de comptes franco-syrien ?
De la même manière, on s’interroge sur le rôle de la Syrie. Celle-ci peut trouver intérêt à soutenir une initiative parallèle visant à embarrasser ce gouvernement français co-auteur avec les Etats-Unis d’une récente résolution de l’ONU (1559) condamnant la présence syrienne au Liban. Mais elle peut également tenter le pari, en contribuant en tout état de cause à la libération des otages, de conforter ses relations avec Paris. A l’issue de cet épisode, Damas apparaît en tout cas comme un acteur avec lequel il faut compter dans cette affaire.
Dans un communiqué publié lundi par l’AFP, les familles des otages lancent un appel à la sérénité. « Face à la situation actuelle, les familles de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot demandent à l’ensemble des personnalités représentatives françaises de ne pas rentrer dans des débats qui pourraient remettre en cause le consensus national et par là même avoir des conséquences sur la libération de Christian et Georges ». Les familles « en appellent à la responsabilité et à la discrétion de chacun pour que les négociations reprennent dans le calme qui leur est nécessaire ».
Les deux journalistes et leur collaborateur syrien Mohammed al-Joundi sont détenus depuis le 20 août.
par Georges Abou
Article publié le 04/10/2004 Dernière mise à jour le 05/10/2004 à 09:46 TU