Iran
Démission d’un proche de Khatami
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Téhéran
« Depuis longtemps, je suis arrivé à la conclusion qu'en raison de la divergence entre mes positions politiques et celles de la majorité (conservatrice) du Parlement, je ne peux accomplir mes responsabilités » , a déclaré M. Abtahi. « Pour cette raison, j'ai présenté depuis longtemps ma démission au président Mohammad Khatami pour améliorer les relations entre le gouvernement et le Parlement. Il lui revient d'accepter cette démission » , a-t-il dit. Le président Khatami qui effectue actuellement une visite officielle dans trois pays musulmans (Algérie, Soudan, Oman) n’a pas encore donné sa réponse, mais un ancien député réformateur, Majid Ansari, a déclaré qu’on l’avait approché pour remplacer M. Abtahi.
Mohammad-Ali Abtahi, connu pour son franc-parler, est considéré comme un proche du président Khatami. Il a occupé le poste de chef de cabinet de Mohammad Khatami durant son premier mandat (1997-2001) avant d'être nommé au poste de vice-président chargé des relations avec le Parlement et des affaires juridiques. Il a été le premier parmi les responsables iraniens à parler de « meurtre » dans l'affaire de la journaliste irano-canadienne Zahra Kazemi, morte en détention après avoir reçu un coup sur la tête.
Cette démission intervient au lendemain de la motion de censure votée à une très large majorité contre le ministre des Transports, Ahmad Khoram, par le nouveau Parlement iranien dominé par les conservateurs. Dimanche, 188 députés sur un total de 258 présents ont refusé la confiance à Ahmad Khoram. Ce vote et le départ de M. Abtahi sont indéniablement un nouveau signe de la neutralisation du gouvernement réformateur du président Khatami.
En effet, depuis l’installation du nouveau Parlement, les députés conservateurs qui disposent d’une majorité qualifiée de 210 à 220 députés sur un total de 290 que compte le Parlement iranien, ont voté une série de loi mettant en échec les réformes libérales du président Khatami.
Fin septembre, les députés conservateurs ont adopté une loi qui oblige le gouvernement à soumettre au Parlement deux importants contrats que le gouvernement veut attribuer à deux sociétés turques dans le cadre de sa politique pour favoriser les investissements étrangers. Il s’agit d’un contrat de 200 millions de dollars pour la construction de la seconde phase de l'aéroport international de Téhéran que le gouvernement veut attribuer à la société turque TAV (Tepe-Akfen-Vie) et d’un contrat de plus de trois milliards de dollars pour un second réseau de téléphonie mobile déjà attribué au Turc Turkcell. Après ce vote, le président Khatami a dû annuler sa visite en Turquie où il devait finaliser les deux contrats.
Les forces armées iraniennes ont empêché manu militari en mai dernier l’inauguration de l’aéroport international de l’imam Khomeiny de Téhéran menaçant même de tirer sur un avion qui s’approchait de la piste. Les militaires ont expliqué que la présence de la société turque TAV, qu’ils accusent d’être « liée aux sionistes » mettait en danger la sécurité nationale du pays.
« C’est le premier de la liste ! »
Le Parlement a également modifié le quatrième plan quinquennal pour limiter les privatisations et les investissements étrangers. Il avait également rejeté la privatisation des banques et l’ouverture des succursales de banques étrangères dans le pays. Ces mesures ne se sont pas arrêtées à l’économie puisque le Parlement a rejeté la loi sur l'égalité face à l'héritage, voté en première lecture par le précédent parlement, qui était dominé par les réformateurs, et a annulé un article du plan quinquennal en faveur de l'égalité des sexes.
Le ministre des Transports a vainement tenté d’expliquer que le gouvernement avait besoin de 25 à 26 milliards de dollars pour terminer les grands chantiers en cours (14 000 km de chemin de fer, huit aéroports, plusieurs grands ports sans compter des milliers de kilomètres de routes). « Sans les investissements étrangers, il faudra attendre plus de 100 ans pour construire les 14 000 kilomètres de chemin de fer dont nous avons besoin », a-t-il expliqué. Il n’a pas été entendu par les députés.
Les conservateurs semblent déterminés à mener la vie dure au gouvernement du président Khatami. « C'est le premier de la liste », ont déclaré plusieurs députés conservateurs après l’adoption de la motion de censure contre le ministre des Transports. Dans les couloirs du Parlement, on évoque déjà les noms du ministre de l'Éducation, Morteza Hadji, et celui de l'Intérieur, Abdolvahed Moussavi-Lari. Les conservateurs reprochent au premier d'avoir favorisé les activités des partis réformateurs au sein du système éducatif et de ne pas avoir répondu aux attentes des enseignants, notamment en ce qui concerne l'augmentation de leur salaire. Quant à M. Moussavi-Lari, ils ne lui pardonnent pas d'avoir menacé de démissionner pour obtenir le report des élections législatives de février, largement remporté par les conservateurs après le rejet massif des candidats réformateurs par le Conseil des gardiens de la Constitution.
« Le gouvernement du président Khatami doit tirer la leçon du vote d'hier et la majorité très élevée des députés qui ont voté en faveur de la motion de censure pour mieux coopérer avec le Parlement », a déclaré Mohsen Kouhkan, un député conservateur. « Les ministres doivent tenir compte des demandes légales des parlementaires. La motion de censure contre Khoram est une grande leçon pour le gouvernement qui doit comprendre le sérieux du Parlement à tenir son rôle de contrôle et de surveillance », a-t-il ajouté.
Le porte-parole du gouvernement Abdollah Ramezanzadeh a dénoncé la position des députés conservateurs ces derniers mois. « L’attitude [du Parlement] à l'égard du gouvernement est injustifiable », a-t-il affirmé. Mais le président Khatami, dont le mandat se termine en août 2005, sait désormais qu'il doit compter avec la majorité conservatrice au Parlement, déterminée à imposer leur volonté au gouvernement.
par Siavosh Ghazi
Article publié le 05/10/2004 Dernière mise à jour le 05/10/2004 à 09:38 TU