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Afrique du Sud

Affaires d’Etat autour du vice-président Zuma

Schabir Shaik, le seul au banc des accusés dans le procès de Durban. 

		(Photo : AFP)
Schabir Shaik, le seul au banc des accusés dans le procès de Durban.
(Photo : AFP)
Candidat de l’ANC à la succession du président Thabo Mbeki en 2009, le vice-président Jacob Zuma est virtuellement aux bancs des accusés de Durban, où son ancien conseiller, l’homme d’Affaires Schabir Shaik comparaît seul depuis le 11 octobre. En effet, la justice n’a pas convoqué Jacob Zuma, même si l’acte d’accusation de corruption le met explicitement en cause. Le vice-président aurait notamment reçu des pots-de vin pour occulter les conditions d’un contrat d’armement public passé à la fin des années quatre-vingt-dix entre Pretoria et une filiale sud-africaine du groupe français Thomson-CSF (aujourd’hui Thalès). Au premier jour du procès, un accord a permis à Thalès d’échapper aux poursuites. Reste 1,3 million de rands (160 000 euros) versés par l’intermédiaire Shaik à Zuma et une caisse noire de l’ANC qui aurait servi à acheter des fidélités politiques.

En Afrique du Sud, c’est une affaire d’Etat. Elle s’inscrit dans une guerre de succession à l’intérieur et à l’extérieur du parti au pouvoir, l’ANC. Mercredi, le gouvernement a d’ailleurs publiquement apporté son soutien à Jacob Zuma, invitant la presse à «respecter la dignité de la fonction du vice-président». Si Shaik est condamné, Zuma verra en effet son avenir présidentiel largement compromis. En attendant le verdict de la cour de Durban, il dénonce «une campagne de diffamation malveillante». Le gouvernement «le croit sur parole». D’ailleurs, en août 2003, le procureur sud-africain, Bulelani Ngcuka, avait renoncé à engager des poursuites contre lui, tout en affirmant qu’il avait assez de charges pour le faire. Faute de chances d’aboutir, selon le procureur, la Cour ne l’a donc pas convoqué. Elle a aussi abandonné ses poursuites contre l’un des corrupteurs présumés – et nommément cité dans un audit de la société internationale KPMG –, la filiale sud-africaine Thint Pty Ltd du groupe français Thalès. L’essentiel des charges et de la défense pèsent donc désormais sur Schabir Shaik.

L’affaire est complexe et tentaculaire. La cellule de lutte anti-corruption du Juge William Heath a commencé à en tirer les premiers fils en 2000. Les enquêteurs de l’unité d’élite, les Scorpions, ont pris le relais. Aujourd’hui, c’est le financement du parti au pouvoir, l’ANC, qui est en cause, mais aussi l’usage politique qu’il a fait des fonds collectés par son trésorier, Thomas Nkobi. Abondamment commenté par la presse sud-africaine comme le thriller politico-financier de l’année, le volet french connection du procès a en revanche été remisé le 11 octobre. Un «accord» serait intervenu. Il reste tout aussi secret que les conditions qui ont prévalu, à l’aube du mandat du vice-président Zuma (1999), lorsque l’armée sud-africaine s’est modernisée, équipant notamment ses corvettes chez Thomson-CSF, Thalès aujourd’hui.

«Pacte de corruption» avec Thalès

Début 2000, la filiale locale de Thalès, Thint Pty Ltd, aurait conclu un «pacte de corruption» avec Jacob Zuma, lui promettant une rente annuelle de 500 000 rands (62 500 euros), en échange de sa «protection» contre toute éventuelle enquête sur la régularité du contrat mais aussi son «soutien permanent» pour des «projets futurs». L’accusation en veut pour preuve un «fax codé» imputé au dirigeant de l’époque de Thint Pty Ltd, Alain Thétard. Il y a quelque mois, ce dernier a reconnu qu’il avait rédigé une version manuscrite du contenu du fax. Mais il assure qu’il s’agissait d’un brouillon jeté à la poubelle où un tiers, selon lui, a pu le récupérer. Bref, Thalès a «toujours formellement démenti la réalité des charges retenues à son encontre», comme l’indique cette semaine le communiqué dans lequel le groupe français se félicite de l’abandon des poursuites à son encontre. Pour sa part, le quotidien sud-africain Business day a déploré par avance que «le groupe qui, selon la version des enquêteurs, a proposé un paiement, est sur le point de s'en sortir indemne, même si les faits sont établis. Si cela arrive, ce serait une nouvelle fois l'histoire du corrompu dans un pays en voie de développement qui porte le chapeau».

Schabir Shaik reconnaît le versement de près de 1, 3 million de rands (160 000 euros) à son ami et compagnon de lutte Jacob Zuma entre 1995 et 2002. Mais il conteste toute volonté de corruption, affirmant qu’il s’agissait de remettre en fonds un vice-président perclus de dettes, au titre de leur appartenance commune à l’ANC. Zuma ne manque pas de témoins de moralité du côté des anciens de la lutte de libération. Dans la clandestinité, Schabir Shaik lui servait d’ailleurs d’estafette dans ses contacts avec le chef des renseignements de l'ANC qui n’était alors autre que son propre frère, Mo Shaik. L’année dernière, Mo Shaik avait d’ailleurs accusé le procureur Nguka d’avoir été un espion de l’apartheid. La diversion a fait long feu. Mais le juge à la retraite réquisitionné pour le tentaculaire procès, Hillary Squires, s’est senti obligé de répéter mercredi qu’il «ne s'agit pas du procès du vice-président» et pas davantage «d'une commission d'enquête sur les ventes d'armes». Le mouvement de jeunes de l’ANC s’en est pris pour sa part aux Scorpions, accusés de vouloir «ternir l'intégrité d'un grand révolutionnaire». C’est pourtant bel et bien sur les déboires financiers de Zuma que Schabir Shaik a risqué des explications à sa première audience.

«Contributions à l’ANC»

A entendre Shaik, qui «plaide non-coupable pour toutes les charges présentées», la situation financière de Jacob Zuma était «alarmante». Et cela depuis fort longtemps puisque Shaik aurait commencé à lui venir en aide en devenant son conseiller financier, en 1995, lorsque Zuma était ministre des Affaires économiques et du Tourisme de la province du KwaZulu-Natal, ancien bantoustan éponyme dans lequel l’ANC rivalise difficilement avec ses opposants du parti zoulou Inkhata. Lui-même lancé dans les affaires au sortir de la lutte contre l’apartheid, Shaik affirme ne jamais avoir obtenu de retour sur investissements de la part de l’impécunieux Zuma. «Mes compagnies se sont portées candidates pour de nombreux contrats dans cette province, y compris dans son domaine d’influence», en vain, assure-t-il, expliquant qu’il était en quelque sorte l’obligé de Zuma, pour ses services rendus dans la clandestinité de la lutte anti-apartheid, mais aussi soucieux de le maintenir à flot parce que son retrait de la vie politique aurait pu «affecter la paix relative» prévalant au Kwazulu-Natal.

Au fil des détails que Shaik livre pour sa défense et celle de Zuma, la presse sud-africaine entrevoit ce que le Mail and Guardian qualifie de caisse noire de l’ANC, un Development Africa Trust fondé selon lui dans la perspective des élections locales de décembre 2000. Selon Shaik, il s’agissait alors d’assurer l’entretien de la famille royale zouloue et des chefs traditionnels. Selon ses accusateurs, et ceux de l’ANC, il s’agissait purement et simplement de les acheter. Créée en 1999, la fondation Nelson Mandela aurait été de la manœuvre, ce qui expliquerait l’étrange ventilation d’un chèque de 2 millions de rands via un compte en banque de Zuma à l’intention selon Shaik d’une œuvre caritative du vice-président d’une part et, d’autre part, en faveur du fameux Development Africa Trust. Au passage, l’accusé de Durban déclare que Thalès a effectivement versé 250 000 rands en février 2001 mais que la compagnie française a ensuite «cessé tout paiement et rompu l’accord».

Pour sa part, l’accusateur public, Billy Downer présente un bilan très cru de la comptabilité du vice-président dans la période incriminée. Il était, dit-il, harcelé par ses créanciers et même menacé de séquestration par les plus tenaces, excédés par ses chèques en bois. Jacob Zuma affichait 4,3 millions de rands de dépenses pour des revenus de 3,8 millions de rands seulement. Aux abois, le vice-président n’en aurait pas pour autant succombé à la tentation de l’ingérence, assure Schabir Shaik. Quand à ses dettes, il les avait contractées pour servir l’ANC, poursuit-il. L’accusé invoque par exemple des exigences de sécurité pour justifier quelque 273 000 rands affectés à la location de l’appartement de l’ancien ministre du Kwazulu-Natal, de mars 1997 à juillet 1999. Au total, «j’ai considéré ces versements comme des contributions à l’ANC», plaide Shaik. S’il tombe, sa chute menace de secouer l’ANC. Son procès est déjà celui du parti au pouvoir.



par Monique  Mas

Article publié le 15/10/2004 Dernière mise à jour le 15/10/2004 à 16:27 TU