Rwanda
Le colonel Bagosora face à une justice internationale décevante
(Photo : AFP)
Deux images pour résumer : le 2 avril 2002, la presse du monde entier accoure à Arusha où est censé s’ouvrir une page majeure du procès du génocide des Tutsi rwandais en 1994. Les quatre accusés – parmi lesquels le colonel Théoneste Bagosora, présenté comme le principal responsable des tueries – sont absents. Ce qui devait être un grand jour pour le tribunal tourne au fiasco. L’essentiel de cette première audience se résume à la lecture, par le procureur, de son propos liminaire. Son impréparation est alors déjà flagrante. Il faudra attendre cinq mois pour assister au démarrage du procès, dans la quasi indifférence de tous.
Même décor, plus de deux ans plus tard. Jeudi 14 octobre 2004 : le procureur cite son quatre-vingt-troisième témoin. Celui-ci refuse de prêter serment comme il se doit avant de déposer devant le tribunal. Un acte de rébellion qu’il justifie avec fermeté : «Je suis ici sous la contrainte. J’avais annoncé que je ne parlerai pas», martèle-t-il devant une salle ahurie. Ainsi va s’achever la dernière des audiences de la phase de présentation des preuves à charge. Mais comme si l’humiliation d’un tel refus ne lui suffisait pas, le procureur annonce qu’il va déposer des déclarations à charge de témoins… décédés. La défense proteste. Impossible en effet, selon elle, de contre-interroger ces témoins.
Reste désormais aux juges à se prononcer, dans les prochains jours sans doute, une fois qu’ils auront examiné lesdites déclarations dont le dépôt a été annoncé pour ce vendredi 15 octobre. Chose rare, il leur reviendra alors de décider de la fin de la présentation des preuves à charge et de l’annoncer ensuite. Une exception qui symbolise cependant le flou et la confusion qui auront marqué la première phase de ce procès.
Deux cents trois jours d’audiences
Car autant dire que plus de deux ans après l’ouverture des débats, rarement le procureur a semblé avoir la complète maîtrise de son dossier. Jamais, par exemple, il n’a pu déterminer le nombre de témoins qu’il citerait. Une attitude d’autant plus surprenante que les accusés de ce procès ont été arrêtés il y a plus de cinq ans et que les enquêtes sur leurs actes pendant le génocide de 1994 sont ouvertes depuis 1995. Ils sont poursuivis notamment pour «entente en vue de commettre le génocide» et pour «incitation à commettre le génocide». Plus clairement, c’est à eux que l’on reproche principalement d’avoir rendu possible les tueries, généralisées et ciblées, de Tutsi, d’avril à juillet 1994.
Lors des deux cents trois jours d’audiences de ce procès, des témoins clés, pourtant annoncés, n’ont pas comparu. Tel l’ancien Premier ministre Jean Kanbamda, condamné à la prison à vie en 1998 et dont les aveux étaient censés apporter un éclairage décisif sur le rôle des militaires en 1994. Certes, il y a eu, en janvier dernier, la déposition fort médiatisée du général canadien Roméo Dallaire, ancien chef de la Mission des Nations unies au Rwanda en 1994. Une déposition à charge décisive qui a été, de loin, la plus déterminante pour l’accusation. Mais avant même le début de la présentation des preuves à décharge, une question s’impose : les éléments de preuves présentés ont-ils été à la mesure des accusations portées et du rang des prévenus ?
par André-Michel Essoungou
Article publié le 16/10/2004 Dernière mise à jour le 16/10/2004 à 09:06 TU