Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Biélorussie

Alexandre Loukachenko s’accroche au pouvoir

Un groupe d'enfants marche à côté d'une affiche géante annonçant  les prochaines élections et le référendum à Minsk. 

		(Photo : AFP)
Un groupe d'enfants marche à côté d'une affiche géante annonçant  les prochaines élections et le référendum à Minsk.
(Photo : AFP)
Quelque sept millions de Biélorusses sont appelés aux urnes dimanche pour des législatives et un référendum qui leur propose une réforme constitutionnelle afin de permettre au président Alexandre Loukachenko de briguer un troisième mandat en 2006. L’opposition dénonce des scrutins joués d’avance par la fraude. De leur côté, les Occidentaux redoutent un renforcement du tropisme «soviétique» de Minsk.

De notre envoyé spécial à Minsk, Jean-Frédéric Saumont

Le scrutin doit en principe se tenir ce dimanche 18 octobre. C’est en tout cas le jour officiel du vote, à la fois pour les législatives et pour le référendum. Mais tout cela reste un peu virtuel car dans la pratique, depuis mardi dernier, les électeurs peuvent déjà se prononcer par anticipation. Et cela sans avoir à justifier quoi que ce soit. Certains électeurs, notamment les fonctionnaires, ont d’ailleurs été priés de se rendre aux urnes le plus tôt possible. Au bureau 302 installé dans une école des faubourgs de Minsk, par exemple, des professeurs, pressés de s’acquitter de leur devoir électoral avant dimanche, ont dénoncé de possibles manipulations.

Pour les représentants de l’opposition présents dans les bureaux de vote, en 5 jours et 5 nuits, il est possible de modifier sans problèmes le contenu des urnes. Pour leur part, les opposants ne se font guère d’illusion sur le résultat des élections législatives et du référendum. Pourtant, selon les sondages les plus crédibles, la majorité des Biélorusses ne serait pas favorable à la modification de la Constitution qui vise à octroyer, dans deux ans, un troisième mandat à Alexandre Loukachenko. Mais l’opposition affirme que les résultats ont été fixés par le pouvoir et que les protocoles avec les pourcentages sont d’ores et déjà écrits. Il ne reste plus qu’à les faire signer par les commissions électorales.


La Biélorussie constitue une zone de passage et de transit obligatoire entre l’Union Européenne et la Russie. 

		(Carte : Nathalie Guillemot/RFI)
La Biélorussie constitue une zone de passage et de transit obligatoire entre l’Union Européenne et la Russie.
(Carte : Nathalie Guillemot/RFI)

La dernière des dictature en Europe

Si l’on regarde une carte, la Biélorussie est située on ne peut plus idéalement. Elle constitue une zone de passage et de transit obligatoire entre l’Union Européenne - à ses frontières depuis l’élargissement du 1er mai dernier - et la Russie qui fait l’essentiel de son commerce avec les Européens. Mais le régime biélorusse n’a pas su ou pas voulu saisir cette opportunité. C’est aujourd’hui un pays isolé, stigmatisé par les Occidentaux comme la dernière des dictatures en Europe. Son économie s’apparente davantage au système socialiste qu’à une véritable économie de marché. La part du secteur privé reste très faible et elle a même tendance à diminuer pour s’établir aujourd’hui à 15% du Produit intérieur brut.

Si les indices macroéconomiques de la Biélorussie paraissent satisfaisants, c’est en grande partie grâce aux tarifs préférentiels de l’énergie consentis par la Russie. Ils sont très en dessous du prix mondial et constituent une perfusion salutaire pour la Biélorussie. En retour, cet accord préférentiel n’a pas contribué à réformer une économie toujours très centralisée et qui maintient en vie des entreprises déficitaires. 40% des entreprises sont dans le rouge, un chiffre vertigineux qui tient le pays à l’écart de la compétition régionale. Entre autres conséquences, presque un Biélorusse sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté.

Au regard de la perception occidentale de l’univers ex-soviétique, la Biélorussie fait figure d’exception par la sévérité avec laquelle elle est jugée. Les Occidentaux lui prêtent sans doute d’autant plus d’attention qu’elle se situe aux frontières de l’Europe. Depuis le dernier élargissement européen du 1er mai dernier, la Biélorussie constitue désormais une nouvelle  frontière de l’Union européenne, bordée par la Pologne, la Lituanie, la Lettonie. C’est une porte d’entrée à laquelle les Européens ne peuvent rester indifférents. Par ailleurs, la petite Biélorussie n’est pas le seul pays dont les standards politiques ne correspondent pas eux normes occidentales, qu’il s’agisse de respect des droits de l’homme ou de l’exercice quotidien du pouvoir. Mais la Biélorussie est le seul Etat qui a maintenu une forme de modèle soviétique, non seulement dans la manière de gouverner de son président Alexandre Loukachenko, mais plus encore dans son système économique. Encore très largement planifié, il ne laisse que la portion congrue au secteur.

En Biélorussie, des entreprises industrielles ou des grandes fermes d’état de type kolkhoze sont maintenues en vie de manière artificielle, indépendamment de leur rentabilité. C’est un cas unique dans le monde post-soviétique où les apparatchiks d’hier se sont reconvertis à l’économie de marché. A cette singularité économique s’ajoute depuis maintenant 10 ans l’ exercice du pouvoir très autoritaire d’Alexandre Loukachenko. Il a muselé l’opposition, la presse indépendante et d’une manière générale toute voix discordante. Ce cocktail inédit explique l’exception Biélorusse, notamment dans la manière dont ce pays est jugé par ses voisins.

Plusieurs  dignitaires du régime Loukachenko sont interdits de séjour en Europe et aux Etats-Unis. C’est pour l’instant la méthode choisie par les Occidentaux pour condamner le régime d’Alexandre Loukachenko et en même temps pour faire pression, afin que les choses changent, ce que ce double scrutin ne permet pas d’espérer. En Biélorussie, en effet, le Parlement ne dispose de quasiment aucun pouvoir réel. En outre, l’opposition, qui n’a pas encore réussi à former un front uni, n’ est que très faiblement représentée, avec seulement une dizaine de députés sur cent dix. Il lui sera difficile de faire beaucoup mieux dans ce scrutin pour lequel les représentants de l’opposition prophétisent des fraudes massives.

Loukachenko, un communiste grand teint

Un des principaux leaders de l’opposition, Anatoli Lebedko affirme que les résultats ont déjà été fixés par le pouvoir, région par région, et que les opérations de vote ne sont qu’un formalité. Quant au référendum, de loin le scrutin le plus important pour l’avenir de la Biélorussie, il va sans doute répondre aux vœux de Loukachenko, d’ores et déjà candidat pour la présidentielle de 2006 et même pour un fauteuil à vie puisque la réforme prévoit la suppression de la limitation du nombre de mandats (deux jusqu’ici). Cette perspective semble avoir produit un électrochoc dans l’opposition jusqu’à présent très dispersée, voire divisée, et qui, du coup, tente de réagir et de se fédérer. Il s’agirait de trouver un candidat à la présidentielle qui puisse incarner les espoirs de changements. En attendant, l’opposition  a décidé d’organiser un contre dépouillement pour contester les résultats. Elle a aussi d’ores et déjà appelé à manifester lundi, au lendemain du scrutin.

Reste qu’Alexandre Loukachenko bénéficie d’un certain soutien populaire. Selon les instituts de sondages les plus crédibles, il ne devrait toutefois pas lui suffire pour remporter le référendum, d’où les perspectives de fraudes dénoncées par l’opposition. Mais Loukachenko a su s’imposer à certaines catégories de la population. A 50 ans, c’est un pur produit de l’ex-Union soviétique et surtout un communiste grand teint. Il a dirigé un kolkhoze, après avoir été garde-frontière. Il séduit les nostalgiques de l’URSS et tous ceux qui redoutent les changement liés à l’effondrement soviétique.

Dans sa manière même de diriger le pays, Alexandre Loukachenko incarne les valeurs du monde soviétique. Il se montre en photo dans un champ de blé, un enfant dans les bras, affichant l’image d’une Biélorussie souriante et heureuse, un imagerie soviétique rassurante pour certains électeurs mais sûrement pas suffisante pour recueillir une majorité dans les urnes. Pour garder le pouvoir, le régime s’emploie à tout contrôler d’une main de fer. Presse aux ordres, opposants emprisonnés ou qui disparaissent, isolement grandissant du pays, certains n’hésitent pas à comparer la Biélorussie de Loukachenko à l’Albanie du temps d’Enver Hodja.


par Jean-Frédéric  Saumont

Article publié le 16/10/2004 Dernière mise à jour le 17/10/2004 à 12:09 TU

Audio

Alexandre Livanietz

Professeur de sciences politiques à Minsk

«Le régime fonctionne d'après ses lois même si ces lois changent souvent mais la seule loi qui compte c'est le pouvoir, le pouvoir du président.»

[08/09/2004]

Alexandre Livanietz

Professeur de sciences politiques, candidat de l’opposition en Biélorussie

«Je déplore que les autorités aient tout fait pour faire coïncider les scrutins et mis les élections parlementaires au second plan.»

[17/10/2004]