Alimentation
Les résidus congelés de poulet en Afrique
(Photo : Didier Samson)
Tout est parti d’un constat que font les ONG, Agir Ici, Comité catholique contre la faim et le développement (CCFD), Comité français pour la solidarité internationale (CFSI) et le Groupe de recherches et d’échanges technologiques (GRET) qui soutiennent, après enquête, que le poulet importé d’Europe en Afrique avait déréglé les marchés intérieurs africains. Ces ONG ont lancé une campagne qui, selon elles, porte ses fruits puisque des dizaines de cartes postales ou de pétitions sont quotidiennement adressées au ministère français du Commerce extérieur et aux Commissions européennes en charge de l’agriculture et du commerce. En Afrique le relais est pris par les organisations inter-professionnelles et les associations de consommateurs. Le Cameroun et le Sénégal se sont illustrés en fournissant des chiffres assez révélateurs du désastre que vit la filière avicole en Afrique.
Depuis 1999, les importations de poulet européen en Afrique sont en progression régulière et annuelle de 20%. Les importations ne concernent pas les poulets sur pattes, mais des parties de volailles non consommées en Europe. Il s’agit essentiellement des ailes, des croupions, et des pattes livrés congelés. Sur les marchés africains, les résidus congelés européens sont vendus à 50 centimes d’euro le kilo (328 francs CFA) alors que le poulet autochtone est vendu entre 1,80 et 2,40 euros le kilo, soit entre 1 180 et 1 600 francs CFA. Ces prix qui défient toute concurrence attirent les petites bourses (la majorité de la population) qui font grimper les chiffres. Au Cameroun par exemple, l’importation des congelés s’élève aujourd’hui à plus de 22 000 tonnes par an alors qu’en 1996 elle était de 978 tonnes. Pendant cette même période la production avicole annuelle du Cameroun a été divisée par deux pour ne représenter que 13 500 tonnes.
«Nourrir des populations à faible pouvoir d’achat»
Au Sénégal les chiffres sont aussi alarmants et font état d’un volume d’importation multiplié par dix en cinq ans pour une production nationale en chute vertigineuse et qui a entraîné dans son sillage la disparition de plus de 40% des élevages locaux. Cette progression des tendances n’est pas seulement due à l’offensive commerciale des entreprises européennes. Plusieurs facteurs convergents ont favorisé la conquête des marchés africains. Il faut d’abord savoir que les parties du poulet proposées aux Africains sont des restes de la consommation européenne destinés à la fabrication de boîtes de conserve pour chiens et chats. Ces productions bénéficient à l’origine des subventions d’Etat et n’entraînent aucune perte pour les entreprises qui par ailleurs jouissent de certaines facilités à l’exportation. Un autre atout déterminant pour les exportateurs européens est le manque de réglementation et de dispositions de protection des marchés nationaux en Afrique. Ce déficit de contrôle et de normes concernant ce type de produit ouvre la voie aux exportateurs européens qui mélangent «résidus» européens (les parties délaissées) et poulets entiers «prêts à cuire» aux dates de péremption dépassées.
La chaîne du froid, qui garantit la fraîcheur des aliments, est plusieurs fois rompue faisant de ces derniers un terrain favorable à la multiplication des bactéries. Des spécialistes de l’alimentation estiment que la cuisson systématique à l’eau, à l’huile ou sur les charbons de bois réduisent les risques d’intoxication. Heureusement que les Africains sont des adeptes de viandes bien cuites. Les associations qui ont lancé cette campagne de dénonciation des méthodes des firmes européennes, se voient aujourd’hui opposer un argument commercial sans état d’âme. A la Fédération des industries avicoles (France) on laisse entendre que «les Africains pourraient ériger des barrières douanières s’ils le souhaitaient vraiment». Et puis, les exportateurs européens se donnent bonne conscience en insistant sur le fait que leurs exportations permettent de «nourrir des populations à faible pouvoir d’achat».
Par ailleurs, les firmes européennes se sont engouffrées dans la brèche ouverte par l’Organisation mondiale du Commerce qui préconise un certain libéralisme par l’ouverture des marchés. Mieux, certaines institutions financières et économiques africaines, en imaginant une certaine réciprocité dans les échanges mondiaux et pariant sur l’accessibilité aux marchés internationaux des produits africains «compétitifs» ont pêché par naïveté en rendant leur marché totalement accessible avant même de fixer leurs propres normes. En 2000, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) avait pris l’initiative de diviser par trois les droits de douane sur les importations de volailles.
De fait, «subventions à la production» + «facilités à l’exportation (en Europe)» + «droits de douane UEMOA divisés par 3» = «résidus congelés européens moins chers que les poulets africains sur pattes».par Didier Samson
Article publié le 22/10/2004 Dernière mise à jour le 22/10/2004 à 13:32 TU