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Cinquantenaire de l'insurrection algérienne

1954: la «Toussaint rouge»

Indépendantistes algériens en 1954.  

		(Photo: AFP)
Indépendantistes algériens en 1954.
(Photo: AFP)
Après des mois de minutieuses préparations, dans une clandestinité parfaitement préservée, aux premières heures de la Toussaint 1954, les moudjahidine de l’indépendance algérienne passent à l’offensive. Au terme de cette nuit, plusieurs dizaines d’objectifs sont attaqués sur l’ensemble du territoire. Le sang coule: il y a une dizaine de victimes. Une sourde inquiétude saisit l’Algérie. Paris n’y comprend rien. La longue guerre d’Algérie vient de démarrer.

1er novembre 1954, 3 heures du matin, Batna, dans le massif des Aurès: le brigadier-chef Eugène Cohet et le soldat Pierre Audat tombent sous les balles du groupe de Hadj Lakhdar. Les premières victimes militaires de la guerre d’Algérie viennent d’être tuées.

L’attaque du poste de Batna n’est que l’un des épisodes de cette première nuit d’insurrection qui démarre aux premières heures de la journée. L’ensemble du territoire, à l’exception de la partie saharienne, est concerné. Des casernes, des bâtiments officiels, des fermes, des ponts, des postes électriques sont frappés dans l’Oranais, l’Algérois, la Kabylie, les Aurès où l’histoire retiendra surtout le mitraillage du couple d’instituteurs Monnerot, dont le mari ne survécut pas, et du caïd Hadj Sadok, dans l’embuscade tendue dans les gorges du massif, vers sept heures trente du matin, au bus qui assurait la liaison Biskra-Arris, au kilomètre 79.

Cet épisode eut un retentissement considérable en raison de sa très lourde charge émotionnelle. Il n’aurait pas dû avoir lieu. La consigne du Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), créé au début de l’année par une poignée de militants pour préparer l’opération et l’entrée dans la guerre clandestine, était formelle pour cette phase initiale: attaquer les militaires et les musulmans favorables à la France, mais ne pas toucher aux civils européens.

Au terme de cette première nuit de la guerre d’Algérie, les dégâts et les pertes sont limités. Nombre d’opérations ont avorté dans la confusion, faute de matériel et de soldats aguerris. Mais la simultanéité dans le déclenchement des hostilités, la coordination des combattants, les cibles attaquées et la proclamation d’indépendance publiée par le Front de libération nationale indiquent clairement qu’un tournant radical a été opéré par un groupe d’Algériens déterminés à entrer dans la lutte armée. Paris, embourbé dans les vagabondages d’une IVe République instable, réduit l’événement à un terrorisme qui ouvre la voie à une répression impitoyable.

Paris ne voit rien venir

A l’époque, à part quelques chercheurs en sciences sociales qui arpentent le pays, et dont les observations n’ont aucune influence, l’administration française ne voit rien venir, ou n’a rien voulu savoir des nombreux signaux envoyés par les Algériens depuis une dizaine d’années. Lorsque, le 8 mai 1945, au sortir de la guerre les Algériens descendent en masse dans les rues de Sétif pour rappeler la France à ses obligations en matière de droits civiques, la répression fait des dizaines de milliers de victimes. Les Français estiment qu’ils ont gagné dix ans de paix.

En raison de la longue préparation exigée par une opération de l’envergure de l’insurrection de la Toussaint, c’est un échec cuisant pour le renseignement militaire. C’est également un fiasco politique immense aux conséquences encore incalculables. Comme le montrera la suite des événements, les effets du 1er novembre vont, dans un premier temps, coûter la vie à des centaines de milliers de personnes*; puis, dans un second temps, durablement empoisonner le climat méditerranéen avant, troisième temps, de nourrir les crises sociales, identitaires, religieuses, qui s’expriment aujourd’hui ici et là.

Indépendamment de la singularité du cas de figure algérien dans le dispositif colonial français, puisqu’il s’agit d’une colonie de peuplement, cette guerre de décolonisation démarre dans un atmosphère d’effervescence internationale particulièrement favorable aux revendications des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes. En effet, le combat algérien s’inscrit dans une tendance lourde qui s’auto-alimente à mesure que de nouveaux leaders nationalistes apparaissent sur la scène internationale. Car ce conflit s’inscrit dans un vaste mouvement d’émancipation qui affecte l’ensemble des empires. En 1954, les Britanniques ont quitté l’Asie et s’apprêtent en faire de même en Afrique. Les Hollandais sont partis d’Indonésie. Le 31 juillet, le président du Conseil, Pierre Mendès-France a proclamé la «souveraineté interne» de la Tunisie. Dans deux ans, le Maroc et la Tunisie seront indépendants.

Un coût humain exorbitant

La guerre froide et les positions anticolonialistes de l’Union soviétique, engagée aux côtés des mouvements de libération nationaux, encouragent les soulèvements. Sur ce point de la condamnation du colonialisme, la position de Washington n’est guère éloignée de celle de Moscou. Londres et Paris l’éprouveront à leur dépens, notamment lors de l’aventure égyptienne de 1956, lorsque les deux capitales tenteront de déstabiliser le régime de Gamal Abdel Nasser, protecteur du FLN algérien. Le 1er novembre 1954, c’est Radio Le Caire qui, la première, annonce le déclenchement de l’insurrection en fournissant des détails étonnants sur les opérations effectuées au cours de la nuit.

Dans ce contexte, c’est donc presque «naturellement» que les mouvements d’émancipation accèdent à la légitimité internationale en s’emparant des tribunes naissantes, telle que celle de l’ONU qui devient une caisse de résonance des nationalismes en marche. D’autres instances apparaissent et, en 1955, le FLN est l’une des vedettes du sommet constitutif d’un vaste mouvement international émergeant, en recherche d’une «troisième voie», non alignée, à Bandung en Indonésie. De leur côté les métropoles coloniales sont devenues des puissances déclinantes, brisées par des guerres européennes remportées grâce à la contribution capitale des peuples coloniaux qui, désormais, exigent la part de dignité qui leur revient. Enfin l’introduction de la guerre révolutionnaire, subversive, mêlant combattants et civils, désarçonne la stratégie traditionnelle et déstabilise les états-majors. La défaite militaire française en Indochine ouvre aux mouvements de libération des perspectives militaires inespérées. Moyennant un coût humain exorbitant, comme le montrera la suite des événements.



par Georges  Abou

Article publié le 01/11/2004 Dernière mise à jour le 01/11/2004 à 08:40 TU

* Selon les chiffres en circulation, de sources algériennes, 1 million et demi d’Algériens ont péri, tandis que de sources françaises le décompte s’établit à une fourchette de 200 à 500 000 Algériens tués et 32 000 Français morts ou disparus, parmi lesquels 27 000 soldats.