Pérou
Le chef du Sentier lumineux rejugé
(Photo: AFP)
Douze ans après son arrestation, le fondateur et leader du Parti communiste du Pérou, plus connu sous le nom de Sentier lumineux, devait comparaître vendredi, devant la chambre pénale de la base navale de Callao (Lima) pour répondre des accusations de terrorisme. En 1992, Abimael Guzman avait déjà été condamné à la prison à perpétuité par un tribunal militaire et purgeait, depuis, sa peine aux côtés de son ennemi de toujours, Vladimiro Montesinos (bras droit de l’ex président Fujimori accusé de corruption).
Contre toutes attentes, ce jugement a été cassé en 2003 par le Tribunal constitutionnel national, sur avis de la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui considérait que les lois prises durant la décennie du régime d’Alberto Fujimori ne donnaient pas les garanties nécessaires de procès équitable. Au cœur des critiques, on trouve notamment les «juges sans visage», qui exerçaient à l’époque de manière cagoulée, afin d’éviter toutes représailles des membres jugés du Sentier lumineux. A 70 ans, le «président Gonzalo», comme le surnomment ses partisans, va donc de nouveau faire face à la justice, jugé cette fois par un tribunal civil, en public (les audiences sont télévisées).
L’ouverture de ce premier procès ne marque cependant pas le début du «méga procès», attendu par les Péruviens contre le leader du Sentier lumineux, accusé à onze reprises de crimes contre l’humanité. Vendredi, M. Guzman et huit autres dirigeants de la guérilla maoïste sont d’abord jugés pour une histoire de malversations financières. Le mouvement aurait ainsi utilisé une académie pré universitaire de Lima pour se financer et recruter des éléments. Abimael Guzman n’aura donc pas encore à répondre de ces nombreux crimes devant la justice.
Le Sentier lumineux aurait pourtant fait plus de 31 300 victimes au Pérou entre 1980 et 2000, selon la Commission de la vérité et de la réconciliation. Cette commission, créée en 2001, par des associations des droits de l’homme, avait pour but de faire le point sur ces deux décennies. Vingt ans de violences politiques qui se sont soldés par la disparition de plus de 69 000 personnes dans le pays.
«Les hommes du Sentier ont tué mon père, déclare ainsi simplement Eduardo Antonio Comun, un habitant de Lima. Il était menuisier et vivait avec ma mère, à Tarapoto (Amazonie). La vie était très dure là-bas. Les guérilleros refusaient que les enfants de 5 à 7 ans aillent étudier; ils préféraient les enrôler dans la milice et les utiliser comme main d’œuvre pour la culture de la coca. Mes parents ont donc décidé de me laisser dans la capitale avec mes grands-parents pour me laisser une chance de vivre autre chose...» En 1990, son père tente de fuir pour le rejoindre. Sans succès. «Ils l’ont rattrapé et l’ont tué, tranche Eduardo. A cette époque, personne ne pouvait sortir du Sentier».
Une affaire pour distraire la population ?
Personnellement touché par le terrorisme comme la grande majorité des Péruviens de son âge (28 ans), Eduardo avoue pourtant se désintéresser du cas d’Abimael Guzman. «Il est incarcéré depuis tant d’années qu’on le croyait mort. Son procès va surtout servir au président Toledo, pour améliorer son image à l’étranger… Mais les problèmes quotidiens des Péruviens restent bien loin de tout cela, vitupère ce travailleur qui survit dans un des bidonvilles de la capitale. Pour moi et pour tous les autres, ce jugement ne changera rien».
«Juger Guzman est une forme intelligente de distraire la population dans un pays qui compte tellement de pauvreté, de jeunes souffrant des conséquences des violences politiques, d’orphelins que l’on n’autorise pas à étudier», dénonce Ramiro Nino de Guzman, responsable de la coordination nationale des victimes du conflit interne à Apurimac (sud).
«Abimael est en prison depuis de nombreuses années et pour lui, tout semble terminé depuis longtemps. Malgré tout, ce procès est important pour expliquer aux Péruviens ce qu’il s’est passé durant cette époque, espère Rolando Ames, un des professeurs de sciences politiques, membre de la Commission de la vérité en 2001. Ce sera difficile et cela va prendre du temps mais cela fait partie d’une volonté de voir plus clair dans ces années noires du pays. Un processus qui avance… lentement, certes, mais qui avance».
par Chrystelle Barbier
Article publié le 05/11/2004 Dernière mise à jour le 05/11/2004 à 10:24 TU