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Côte d'ivoire

Des pilonnages pour préparer l’assaut terrestre ?

C’est une offensive en règle qui se poursuivait vendredi avec la reprise des frappes aériennes à 11 heures 30 locales contre les positions des anciens rebelles des Forces nouvelles (FN), notamment à Bouaké au Centre et Korhogo au Nord. Le bilan de ces raids et leurs cibles restaient encore flous au deuxième jour d’une relance de la guerre par les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci), «une violation majeure du cessez-le-feu», selon le secrétaire générale des Nations unies, Kofi Annan. Mais ces frappes pourraient servir à préparer le terrain d’une offensive terrestre des Fanci.

Après Bouaké, le matin et en milieu de journée, les Sukhoy 25 des Fanci sont allés jeudi soir bombarder Korhogo, la métropole nordiste à la frontière du Mali et du Burkina. Accusés de servir de base arrière aux FN, tous deux servent de cordon ombilical économique à la zone sous contrôle rebelle. Une source militaire ivoirienne anonyme, citée par l’Agence France Presse, affirme que la Compagnie territoriale de Korhogo (CTK), qui abriterait le principal camp militaire des ex-rebelles de la région, a été «complètement détruite par les bombardements». A Bouaké, le bâtiment abritant l'état-major de l'ex-rébellion aurait été «pulvérisé». De sources concordantes, le camp du 3ème bataillon de Bouaké où stationnaient de nombreux combattants FN a été pilonné.

Les chasseurs ivoiriens ont tout particulièrement visé les infrastructures de communication. Ils ont bombardé les deux «corridors» (routes et brousse adjacente) gardés par les combattants FN aux entrées nord et sud de Bouaké. Les Fanci revendiquent aussi la destruction du pont qui franchissait le fleuve Léraba, à la frontière avec le Burkina. Rien n’indiquait en revanche vendredi après-midi qu’ils s’étaient attaqué par exemple à l’aéroport de Bouaké, qui sert aussi à l’opération française Licorne. Sa destruction serait doublement inopportune, les bombardiers ivoiriens ayant le monopole de l’espace aérien face à des adversaires qui n’ont pas non plus été en mesure de riposter. Les Fanci ont en revanche ciblé le relais de télévision de Bouaké. Un sabotage à Abidjan a également neutralisé les émissions des radios internationales tandis que la radio-télévision nationale voyait le retour manu militari de son ancien directeur, jugé proche de la mouvance présidentielle. Enfin, avant de lancer leur opération aérienne, les Fanci avaient pris soin de couper les communications téléphoniques avec les zones rebelles.

«Accords de paix caducs»

Vendredi, aucune information fiable ne permettait de dresser un bilan exact, en pertes humaines et matérielles. Mais ces bombardements visent visiblement à fragiliser le dispositif militaire des FN et surtout à limiter les mouvements de leurs troupes, à les isoler les unes des autres et à couper toute voie de repli ou au contraire de renfort. Cela ressemble à une action de préparation du terrain avant un assaut terrestre. Pour sa part, le secrétaire général des FN, Guillaume Soro se déclare «stupéfait par cette irresponsabilité qui a mené le régime à lancer le raid sur Bouaké, au moment où nous étions en train de chercher les voies et moyens de sortir de la crise». L’action des Fanci «rend caducs les accords de paix», poursuit-il, tout en s’efforçant de capitaliser les condamnations internationales de l’initiative adverse. Sur le terrain, ses hommes ruent dans les brancards militaires, irrités par «l’inaction internationale».

 

Dès jeudi, un communiqué de Kofi Annan «pressait» «le président Gbagbo et toutes les parties ivoiriennes de mettre un terme immédiat aux hostilités». «Plusieurs dizaines de civils ont peut-être été tués ou blessés au cours de ces attaques», poursuivait le texte qui concluait : «il s’agit là d’une violation majeure du cessez-le-feu». Bien sûr, Kofi Annan «appelle fermement à la reprise immédiate du dialogue afin de reprendre l’application des accords de Linas-Marcoussis et d’Accra III, qui demeurent la seule feuille de route viable pour la résolution de la crise en Côte d’Ivoire». En attendant, l’Onu a suspendu vendredi toutes ses activités humanitaires, vitales pour les populations des zones FN. Et les 6 000 casques bleus ont continué d’entendre les Stukhoï circuler au-dessus de leurs têtes.

A Paris, la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie condamne «ces faits» et estime elle-aussi que «la seule solution est une solution politique». Tandis que les chefs de file de l’Union africaine, son président en exercice, le Nigérian Olusegun Obasanjo et le président de sa commission, le Malien Alpha Oumar Konaré se prépare à réfléchir à la question ivoirienne samedi à Lagos, la diplomatie française répète en leitmotiv qu’elle suit «très attentivement l'évolution de la situation sur le terrain» et réitère sa condamnation, lançant «à nouveau un appel, avec l'ensemble de la communauté internationale, pour le respect absolu du cessez-le-feu». L’«absolu» intrigue les habitants des zones bombardées. Ils s’interrogent quant à eux sur ces «forces impartiales» chargées de surveiller le cessez-le-feu mais non-mandatées pour intervenir en cas de violation. Réaction classique en pareille situation, étant donné l’opacité des textes onusiens pour le néophyte. Du reste, en Côte d’Ivoire, les troupes françaises sont intervenues à la demande du président Gbagbo, comme il l’a rappelé à plusieurs reprises dans le passé. Vendredi, Laurent Gbagbo ne s’était toujours pas exprimé publiquement sur les actions militaires en cours. Un silence politique en forme de consentement.

Vendredi, le ministre ivoirien de l’Intérieur, Martin Bléou, a interdit toute manifestation à Abidjan, «dans le souci de préserver les vies humaines et les biens», indique-t-il, dénonçant les «actes de violences et de vandalismes perpétrés jeudi» contre les locaux de journaux mais surtout contre les sièges des partis de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara et de l’ancien président Bédié, tous deux alliés à l’opposition armée des FN dans un G7 (groupe des sept). L’interdiction vaut trois jours. Lundi peut-être les «patriotes» seront-ils appelés à manifester de la joie.



par Monique  Mas

Article publié le 05/11/2004 Dernière mise à jour le 08/11/2004 à 09:58 TU