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La France dans l’œil du cyclone

Les soldats français de la force Licorne ont continué de se déployer lundi matin à Abidjan.  L'objectif est d’assurer la sécurité des ressortissants français. 

		(Photo : AFP)
Les soldats français de la force Licorne ont continué de se déployer lundi matin à Abidjan.  L'objectif est d’assurer la sécurité des ressortissants français.
(Photo : AFP)
Lundi après-midi, à Abidjan, dans le quartier chic de Cocody, qui abrite de nombreux expatriés, des milliers de manifestants tentaient de rompre un cordon d’une cinquantaine de véhicules blindés de l’armée française stationnés aux abords de l’hôtel Ivoire où s’annonçait une importante réunion de crise. Comme les jours précédents, leurs slogans anti-français accusaient le président Jacques Chirac de vouloir renverser son homologue ivoirien Laurent Gbagbo. Ce dernier vient de revendiquer l’offensive de jeudi, sans assumer le pilonnage du cantonnement français de Bouaké et tout en appelant les populations au calme. De son côté, après avoir neutralisé l’armée de l’air ivoirienne, Paris renforce sa présence militaire à Abidjan et demande à l’Onu des sanctions contre le pouvoir ivoirien mais l’évacuation des Français de Côte d’Ivoire n’est pas à l’ordre du jour.

Selon le porte-parole du contingent militaire français en Côte d'Ivoire, Henry Aussavy, une rencontre à l’hôtel Ivoire était prévue lundi entre «différents responsables, des acteurs civils et militairespour voir comment on peut gérer le retour au calme et l'évolution favorable de cette crise». Celle-ci est désormais ouvertement franco-ivoirienne, les dénégations de Paris et d’Abidjan venant finalement le confirmer depuis que la tentative lancée jeudi par les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) pour forcer le bastion des Forces nouvelles (FN), les anciens rebelles, a tourné au fiasco. Samedi, en effet, le pilonnage, délibéré selon Paris, du cantonnement français de Bouaké a fait neuf morts et une trentaine de blessés, provoquant en représailles l’anéantissement de la force de frappe aérienne ivoirienne – 60% de ses capacités militaires selon son état-major – sur décision politique du président Chirac. L’assaut «final» tenté par les Fanci paraît sinon mort-né, du moins très compromis. Mais côté français, la situation aussi a complètement basculé. Les exigences d’une mission d’interposition (au regard de l’actuel programme de maintien de a paix) imposent un autre mandat et supposent éventuellement de faire la guerre aux récalcitrants. La sécurisation des Français de Côte d’Ivoire implique de son côté un éventuel changement de priorité.

Renforts français «suffisants en hommes et en armes»

Lundi, quelque 1 200 étrangers, dont une grande majorité de Français ou de Franco-Ivoiriens avaient été regroupés dans un camp militaire français à Abidjan, après le vent de terreur soulevé par les pillards et les casseurs de la fin de semaine. «Dans la nuit de dimanche à lundi», des renforts «suffisants en hommes et en armes» sont arrivés dans la capitale économique en provenance du contingent français auparavant basé dans la métropole nordiste de Korhogo, indiquait un porte-parole de l’opération française Licorne. Celle-ci est en train de changer de contours, puisqu’à Abidjan, les troupes françaises sont désormais censées «passer sous le commandement inter-armées». Dimanche, un communiqué du ministère français de la Défense annonçait en effet que «les forces françaises de Licorne, en liaison avec les forces de sécurité ivoiriennes, devraient déployer dans la journée un dispositif de sécurité dans Abidjan au profit des ressortissants français et étrangers, et de la population Ivoirienne», ce qui constitue déjà en soi un effort de conciliation.

A Korhogo, les soldats français restant ont pris «position pour parer à une éventuelle attaque de soldats des forces loyalistes». La mission militaire de la France en Côte d’Ivoire est donc désormais double. Pour la France, il s’agit de poursuivre «résolument son action de paix» selon les termes du président Chirac, c’est-à-dire, d’empêcher toute nouvelle attaque des Fanci dans les zones où la France sert de force d’intervention rapide pour la mission de l’Onu en Côte d’Ivoire (Onuci), sans pour autant coiffer le casque bleu. Mais les soldats français vont aussi participer au maintien de l’ordre à Abidjan avec pour «unique objectif», selon le président Chirac, de garantir la sécurité des ressortissants français. Cette sécurisation devient bien évidemment une priorité et devrait voir plusieurs centaines de soldats quitter la zone tampon pour lui être affectée, en plus des autres renforts arrivés depuis samedi de France (300 parachutistes et soldats d’infanterie ainsi qu’une soixantaine de gendarmes mobiles dont trois escadrons déjà dépêchés en février 2003 lors de précédentes manifestations anti-françaises) ou du Gabon (300).

Avant la tentative de coup d’Etat de septembre 2002, 600 hommes du 43ème Bataillon d'infanterie de marine (BIMA) stationnaient près de l’aéroport d’Abidjan (qu’ils contrôlent actuellement), en vertu de l’accord de défense entre les deux pays. Au total, lundi, la présence militaire française dépassait largement la barre des 5 000 hommes ce qui constitue davantage qu’une simple montée en force du dispositif de 4 000 soldats déployés en Côte d’Ivoire depuis deux ans. Des foules d’Ivoiriens s’en sont irrités. Jacques Chirac leur a répondu à sa manière lundi matin, déclarant que «la France est l'amie de la Côte d'Ivoire». Il reste en revanche sans aménité à l’égard de  son homologue ivoirien, Laurent Gbagbo, frappé non seulement de représailles militaires mais aussi menacé de sanctions diplomatiques. En retour, le président Chirac sert d’épouvantail aux manifestants en furie qui ont tenté de déborder samedi les troupes françaises postées à l’aéroport international d’Abidjan. Beaucoup croient dur comme fer que la France tente de déposer Gbagbo une deuxième fois, après l’épisode Marcoussis-Kléber de janvier 2003. 

Gbagbo tenu personnellement responsable

La France «souhaite que ce pays retrouve le chemin de la réconciliation nationale. C'est dans cet esprit qu'elle y poursuivra résolument son action de paix dans le cadre fixé par les Nations unis», indique Jacques Chirac après le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier qui jugeait utile d‘affirmer samedi que «en aucune façon, la France n'est là pour déstabiliser la Côte d'Ivoire et ses institutions ou prendre parti». En même temps, Paris obtenait du Conseil de sécurité la reconnaissance de sa «légitime défense» dans les événements de Bouaké et la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, interpellait nommément le président Gbagbo, tenu «personnellement responsable devant la communauté internationale» de la sécurité des 14 000 Français installés en Côte d’Ivoire.

«Toutes les ressources du dialogue pour mettre fin à la guerre sans faire la guerre ont été épuisées» s’est justifié, dimanche soir, le président ivoirien, dans un discours tardif à la Nation (et aux «chers amis de la Côte d’Ivoire»), le premier depuis le début, jeudi, de cette «opération militaire dans les zones assiégées par les rebelles» qui, dit-il, «s’est imposée à nous», «les chefs politiques de la rébellion» ayant décidé de «quitter le processus de désarmement». Fustigeant au passage le «pillage organisé et continu de notre économie» et les attaques de banques dans les zones contrôlées par les Forces nouvelles (FN), «j’ai donc décidé d’agir pour libérer le pays et pour restaurer son unité», reconnaît Laurent Gbagbo qui assure même que «le samedi 6 novembre, les forces ivoiriennes de défense et de sécurité étaient à leurs dernières frappes aériennes sur les cibles militaires de la rébellion à Bouaké…le succès de l’offensive des forces ivoiriennes ne faisait plus de doute. C’est à ce moment précis que les autorités militaires françaises ont annoncé qu’une bombe tombée sur leur cantonnement à Bouaké aurait causé la mort de neuf personnes dont huit militaires français et un civil américain».

Laurent Gbagbo assume donc l’offensive de «libération», c’est-à-dire la violation du cessez-le-feu, mais pas le pilonnage «délibéré» du cantonnement français de Bouaké. Sa description par le menu de la destruction des appareils ivoiriens ne témoigne pas non plus de la moindre disposition à minimiser les représailles françaises : «d’abord à l’aéroport de Yamoussoukro où deux avions de chasse de type Sukhoï et un hélicoptère MI 24 ont été détruits au sol. Ensuite, toujours à Yamoussoukro, deux hélicoptères de type Puma et MI 24, stationnés dans la cour du palais présidentiel ont été détruits au mortier. Enfin, à l’état-major des forces aériennes d’Abidjan où le reste des aéronefs militaires ivoiriens ainsi que les avions civils présidentiels Gulfstream 3 et Gulfstream 4 ont été pris pour cibles par les forces françaises du 43ème BIMA». La population d’Abidjan a alors cru «que ces attaques de l’armée française visaient la déstabilisation de la Côte d’Ivoire et la chute du président Laurent Gbagbo», dit-il, en appelant ses compatriotes à rentrer chez eux car «aujourd’hui, c’est notre armée qui se bat. Restons unis, soyons soudés derrière nos soldats qui sont au front».

«La confusion était d’autant plus grande que les autorités ivoiriennes n’avaient d’aucune façon déclaré la guerre à la France et que c’est du reste à ma demande que les forces françaises de l’opération Licorne se trouvent en Côte d’Ivoire», notait dimanche soir le président ivoirien, en présentant ses condoléances «aux familles des victimes ivoiriennes, françaises et américaine» et en exhortant ses compatriotes à «s’abstenir de toute agression contre les étrangers vivant en Côte d’Ivoire, contre les représentants des Organisations internationales présentes dans notre pays. Ils ne sont pas nos ennemis» et «notre but c’est le désarmement des rebelles et la restauration de l’intégrité de notre territoire».

Dimanche soir, Laurent Gbagbo s’affichait quand même disposé à une solution négociée, affirmant que «tous les textes prévus à l’exception du projet de loi relatif à l’indemnisation des victimes de guerre sont déjà adoptés par le gouvernement et transmis au parlement» et en demandant «aux responsables politiques de la rébellion, à la classe politique en général, de se ressaisir». Mais après un hommage appuyé aux Fanci et à «tous les patriotes pour leur mobilisation sans faille depuis le début de la guerre», après la dénonciations de «dérapages inacceptables», comme les attaques contre les locaux des partis ou des journaux de l’opposition, Laurent Gbagbo réaffirme : «notre cause est juste parce que nous avons le droit de notre côté». Ce n’est pas l’avis du secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan qui a confirmé le 6 novembre que «les forces françaises et l'ONUCI sont autorisées à faire usage de tous les moyens nécessaires à la pleine exécution de leur mandat».

Paris autorisé à faire usage de la force

Paris peut désormais user de la force pour empêcher «toute partie d’envoyer des forces à travers la zone de confiance», la zone tampon entre les anciens belligérants. Pour leur part, les anciens rebelles des Forces nouvelles ont toutes les raisons de s’abstenir d’imiter leur adversaire dont ils demandent la démission. L’ancien Premier ministre Alassane Ouattara aussi, dont la candidature à la magistrature suprême restait à l’affiche de l’opposition comme pomme de discorde essentielle, à la veille de ce regain belliqueux dont nul n’est vraiment sûr qu’il soit fini. Dimanche soir, le président du parti du présidentiel, l’ancien Premier ministre Pascal Affi N'Guessan demandait en effet toujours «le départ immédiat de toutes les troupes françaises» et appelant les «patriotes à occuper massivement la rue à Abidjan et toutes les villes du pays et d'empêcher par tout moyen la libre circulation de toute force étrangère jusqu'à la victoire finale». De son côté, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Mamadou Coulibaly, prophétisait un «nouveau Vietnam», pour la France, cette fois.

 Pour garantir ses arrières, Paris entend donc faire adopter par le Conseil de sécurité un embargo sur les ventes d'armes et d’avions de guerre au gouvernement ivoirien, mais aussi geler les fonds ivoiriens à l'étranger et interdire de sortie du territoire les «individus qui font peser une menace sur le processus de paix et de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, notamment en entravant la pleine application des accords de Linas-Marcoussis et d’Accra III». En attendant, lundi, le chef d'état-major des armées françaises, le général Henri Bentégeat, indiquait qu’une évacuation des ressortissants français n’étaient «absolument pas d'actualité» et estimait que «s'il n'y a pas d'erreurs, si certains n'essaient pas de lancer de nouvelles provocations dans les jours à venir normalement la situation devrait se calmer». En tout cas, après son coup de poker manqué, le président Gbagbo n’a pas dénoncé l’accord de défense avec la France. Celle-ci campe pour l’instant sur ses positions.



par Monique  Mas

Article publié le 08/11/2004 Dernière mise à jour le 08/11/2004 à 17:44 TU

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Said Djinnit

Commissaire de l'Union africaine chargé de la paix et de la sécurité

«Marcoussis ne sera mort que lorsqu'on l'aura enterré. Nous travaillons toujours dans l'esprit de marcoussis.»

[08/11/2004]

Journaliste à RFI

[08/11/2004]