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Côte d'Ivoire

Paris impose un bémol à Abidjan

Le général Mathias Doué  

		(Photo : AFP)
Le général Mathias Doué
(Photo : AFP)
Lundi soir, les représentants des états-majors ivoirien, français et onusien ont affiché une communauté d’intérêts toute neuve, expliquant urbi et orbi qu’ils allaient désormais assurer ensemble la sécurité d’Abidjan avec des patrouilles mixtes nocturnes. La nuit de lundi à mardi a été calme et tandis qu’à Abidjan, les plus fervents accusateurs de Paris se déclaraient convaincus que le déploiement militaire français ne visait pas à déposer le président Gbagbo, à New York, le Conseil de sécurité des Nations unies renvoyait à plus tard l’examen de la résolution d’embargo militaire et de sanctions personnalisées demandée par la France. Mardi, tout en renforçant son dispositif militaire à Abidjan, Paris se ménageait une plaque-tournante à Lomé, la capitale du Togo voisin.

«L'idée est que les forces de défense et de sécurité de Côte d'Ivoire qui, jusqu'à aujourd'hui, ont été en partie écartées de tout le processus par les forces françaises, puissent jouer leur rôle de forces de sécurité», explique le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Mamadou Coulibaly. En janvier 2003, il avait quitté la table de Marcoussis en dénonçant un «coup d’Etat». Dimanche, il promettait encore à la France qu’elle s’enliserait en Côte d’Ivoire comme les Américains au Vietnam. Lundi, c’est pourtant lui qui aurait pris l’initiative de la rencontre-explication entre états-majors ivoiriens, français et onusien, à l’hôtel Ivoire. Gardé par des blindés français, l’établissement de Cocody, où siège aussi la présidence, était alors assailli par une foule démontée qui dénonçait une tentative pour déposer Laurent Gbagbo et croyait même voir Alassane Ouattara se profiler dans un véhicule français.

Combattre «les prophéties auto-réalisatrices»

Depuis samedi, la France s’inscrit en faux contre cette «rumeur» qui exprime, certes à l’emporte-pièce, le ressentiment de nombre d’Ivoiriens face au bras de fer entre l’ancienne puissance coloniale et le chef d’un Etat désarmé par les représailles françaises et fractionné par une rébellion. C’est ce sentiment d’humiliation dans une relation «du fort au faible» que les trois états-majors tentent de traiter avec leurs équipages mixtes. Ces derniers ont donc sillonné toute la nuit les quartiers sud de la capitale, du port à l'aéroport que les forces françaises ont fermé au trafic civil depuis samedi. De son côté, le bouillant Mamadou Coulibaly a donc lui aussi changé son fusil d’épaule lundi, exhortant les Ivoiriens à ne plus écouter ou colporter ces «rumeurs qui permettent d’atteindre les résultats que nous ne cherchons pas en réalité. Des prophéties auto-réalisatrices. Ils vont enlever Gbagbo. Il va tomber. A force de le répéter, nous nous comporterons de telle façon que cela finisse par arriver».

La rumeur «a même dit que la force Licorne est à l’hôtel Ivoire pour chasser le président Gbagbo et installer le général Doué, que la force Licorne n’obéit qu’aux ordres du général Doué», a renchéri le chef d’état-major ivoirien, le général Mathias Doué, appelant lui aussi à la répression des «pillages qui mettent à mal l’économie et qui risquent de mettre en péril la vie sociale de plusieurs centaines de milliers d’Ivoiriens». Le civil et le militaire ivoiriens se sont l’un comme l’autre déclarés convaincus par le chef de l’opération Licorne, le général Henri Poncet. Mamadou Coulibaly veut le prendre au mot. Le général Poncet «l’a dit», relève le président de l’Assemblée nationale, «si le travail – la protection des ressortissants français et étrangers – pour lequel il est venu à l’hôtel Ivoire se termine parce que le calme est revenu, il quitte les lieux».

Mardi matin l'activité économique n'avait toutefois pas encore repris dans le quartier des affaires du Plateau et aucun autobus ne circulait. A Paris, à l’état-major des armées, le colonel Gérard Dubois annonçait l’installation d’un «relais de transit militaire à Lomé» en précisant que «cette antenne-air n'est pas le montage» d’une opération d’évacuation des étrangers de Côte d’ivoire. Lomé tiendra lieu de plaque-tournante pour les approvisionnements civils et militaires de l’armée française et de base-arrière où garer ses avions en toute sécurité. «Nous n'allons pas laisser sur l'aéroport d'Abidjan l'ensemble des moyens aériens», observe le colonel Dubois, mais «l'évacuation [des ressortissants français] n'est ni décidée ni à l'ordre du jour», affirme-t-il, même si le nombre de civils réfugiés à Port-Bouet «continue à grimper».

Les «expatriés» sont déjà 1 300, réfugiés dans le camp militaire français de l’aéroport international. Des centaines d’autres ont demandé asile dans les locaux de l’Onu ou à l’hôtel Ivoire. En outre, rien dans les derniers développements n’est vraiment de nature à les rassurer, si ce n’est justement le renforcement de la présence militaire française à Abidjan. La capitale économique rassemble la majorité des quelque 15 000 Français de Côte d’Ivoire. Beaucoup ont déjà fait savoir qu’ils souhaitaient quitter définitivement le pays. Si une évacuation n’est vraiment pas au programme, leur protection – qui vient de justifier officiellement les patrouilles mixtes – ne peut pas durer indéfiniment. Les forces françaises peuvent difficilement s’éterniser en tant que telles dans les rues d’Abidjan, sauf à la demande du président Gbagbo, en vertu de l’accord de défense, ou bien en cas de mise sous tutelle onusienne de la Côte d’Ivoire, ce qui ne paraît pas vraiment d’actualité, sauf aux anciens rebelles bien sûr.

Aux Nations unies, le projet de résolution présenté au Conseil de sécurité par la France pourrait se transformer en menace d’embargo sur les armes, de gel des avoirs et de frein à la circulation de certains dignitaires du régime Gbagbo, mais non point en sanctions immédiates. C’est du moins le vœu de la Chine. Mais si le Conseil a renvoyé à mardi ou mercredi son vote initialement prévu lundi, c’est sans nul doute parce que Paris juge opportun de temporiser, au vu des risques de casser la machine des négociations et de se voir débordé par l’ire populaire ivoirienne. Ce «délai» a sans doute aussi servi d’argument dans les dernières manifestations de bonne volonté, sinon de bonne foi, communes. «Le président Gbagbo, dans ces moments très difficiles et très tragiques, a lancé un appel au calme, je pense qu'il aura été entendu, mais je pense qu'il a effectivement une responsabilité importante parce qu'il est chef de l'Etat ivoirien, notamment vis-à-vis de tous les supporters, de tous les jeunes qui le soutiennent et qui doivent, eux aussi, entendre la raison», déclarait mardi le chef de la diplomatie française, Michel Barnier.

Bavure involontaire ou bourde délibérée, le pilonnage du cantonnement français de Bouaké est désormais un objet d’enquête, même si Michel Barnier «imagine difficilement que des pilotes passent deux fois au-dessus d'un camp et que la troisième fois tirent pour tuer, de manière improvisée». Il «pense qu'en tout cas leur geste à eux était délibéré». Mais globalement Paris et Abidjan retiennent leur souffle, de crainte de ranimer les braises qui, selon la Croix Rouge internationale, auraient fait ces derniers jours quelque 600 blessés, dont au moins 150 lundi, et un nombre inconnu de morts parmi les manifestants ivoiriens.



par Monique  Mas

Article publié le 09/11/2004 Dernière mise à jour le 09/11/2004 à 15:41 TU

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Claudine Vidal

Directrice de recherches au CNRS, spécialiste de la Côte d'Ivoire

«Laurent Gbagbo a toujours beaucoup de mal a admettre l'éligibilité d'Alassane Ouattara.»

[09/11/2004]

Said Djinnit

Commissaire de l'Union africaine chargé de la paix et de la sécurité

«Marcoussis ne sera mort que lorsqu'on l'aura enterré. Nous travaillons toujours dans l'esprit de marcoussis.»

[08/11/2004]