Côte d’Ivoire
Situation «calme, stable et précaire»
(Photo : AFP)
Officiellement, c’est en raison des fêtes de l’Aïd, qui marquent la fin du ramadan, que le président ivoirien a renoncé à participer aux cérémonies en hommage aux victimes ivoiriennes tombées au cours des manifestations qui ont eu lieu après les incidents militaires déclencheurs de samedi dernier. Mais, compte tenu de la persistance de la tension, on estime qu’il s’agit en réalité d’une mesure visant à ne pas prendre le risque de provoquer de nouveaux débordements. Selon Laurent Gbagbo, la répression des émeutes qui ont succédé l’attaque du camp militaire français de Bouaké, causant la mort de 9 soldats français, et la destruction en représailles de la quasi totalité de l’aviation militaire ivoirienne, ont fait 62 morts parmi les Ivoiriens. Samedi, les informations en provenance d’Abidjan faisait état d’une ville calme, où l’activité avait repris.
Selon Abidjan, après les représailles françaises contre les aéronefs ivoiriens, les manifestants ont légitimement crû comprendre que la France voulait déposer le président Gbagbo, et peut être le tuer. Il apparaît aujourd’hui peu probable aux yeux des autorités militaires françaises que le chef de l’Etat ivoirien ait pu donner l’ordre d’attaquer les positions françaises. Une enquête doit être menée pour établir à quel niveau la décision a été prise, a déclaré le ministre français de la Défense. De son côté la Côte d’Ivoire a annoncé qu’elle allait saisir la Cour internationale de justice pour que les auteurs et les commanditaires de la répression des manifestations d’Abidjan, qualifiée de « crimes odieux », soient « sanctionnés ». Et, signe du fossé qui s’est creusé entre les deux capitales et de la difficulté qu’elles éprouvent à dialoguer, dans un entretien au quotidien américain Washington Post, M. Gbagbo met en doute la mort des soldats français dans le bombardement de samedi, déclarant en substance qu’il n’a pas vu leurs cadavres.
Les membres de la communauté blanche expatriée déclarent qu’ils ont traversé une épreuve terrifiante. Soumis aux mots d’ordre du groupe de soutien au président ivoirien « Jeunes patriotes », encouragés par des médias dont l’influence est dénoncée par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, les émeutiers ont commis des actes de violence et des exactions ciblés sur les blancs. Catherine Rechenmann, représentante des Français de l’étranger, évoque « 37 exactions graves dont 3 à 4 viols avérés ». Les soldats français du 43ème Bataillon d’infanterie de marine (Bima), engagés dans les opérations de secours des expatriés en péril, confirment avoir accueilli des gens qui avaient été violés, tabassés, blessés à coups de machette ou de couteaux, ou en état de choc après avoir été longuement assiégé et avoir échappé de justesse aux agressions.
Malgré parfois plusieurs générations de présence dans le pays, un attachement matériel et humain considérable, la communauté blanche traumatisée d’être entraînée dans la guerre civile ivoirienne s’enfuit. Sollicités, les soldats français acheminent les candidats au départ ou les personnes vulnérables jusqu’à l’aéroport, où les cantonnements du Bima sont installés. Plus de 4 000 personnes ont ainsi été recueillies depuis jeudi. Certaines sont retournées chez elles à la faveur d’une accalmie. Choquées, la plupart sont parties ou en attente de départ à destination de l’Europe. Les autorités françaises assurent qu’il n’est pas question d’évacuation à proprement parler, mais elles ont mis en œuvre deux rotations aériennes quotidiennes effectuées par des appareils d’Air France d’une capacité totale d’environ 800 places. D’autres avions, affrétés par divers gouvernements étrangers, dont la Grande-Bretagne, l’Italie et le Maroc, ont également été affectés à l’opération.
La diplomatie impuissante
Dans une telle atmosphère d’hostilité, les autorités françaises, et les militaires en particulier, doivent gérer une situation particulièrement délicate, écartelés entre l’obligation d’agir pour secourir efficacement, dans le respect du mandat qui leur a été confié, et la nécessité de discrétion pour ne pas provoquer d’incidents. Entre camp retranché et camp de réfugiés, le 43ème Bima gère l’urgence tandis que la représentation diplomatique française d’Abidjan réduit la voilure dans une certaine confusion. Vendredi, on annonçait à Abidjan l’évacuation du « personnel non indispensable à la marche de l’ambassade », tandis qu’à Paris le porte-parole du Quai d’Orsay démentait en déclarant qu’il « s’agit d’une opération de relève normale ainsi que de faire rentrer en France essentiellement les familles d’agents ayant des enfants qui (…) ne peuvent plus poursuivre sur place une scolarité normale ».
Face à l’aggravation de la situation, l’agenda diplomatique africain est bien rempli. C’est au président sud-africain que l’Union africaine (UA) a confié le dossier. Thabo Mbeki devait s’entretenir samedi soir avec son homologue burkinabé, Blaise Compaoré, discret en la circonstance, accusé par Abidjan de soutenir la rébellion depuis son déclenchement voici deux ans. Cette rencontre intervient à la veille d’un sommet de l’UA, convoqué dimanche dans la capitale nigériane Abuja. Mais, en raison des délais extrêmement serrés, on ignore si le président Mbeki pourra s’y rendre. L’initiative confiée au président sud-africain l’avait conduit à Abidjan, où il avait rencontré son homologue ivoirien Laurent Gbagbo, le 9 novembre. La rencontre n’a pas eu d’influence sur le cours des événements. Thabo Mbeki s’est également entretenu à Pretoria le 11 novembre avec le leader d’opposition Alassane Ouattara, président du Rassemblement des républicains, et le secrétaire général de l’ex-parti unique, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire, Alphonse Djédjé Mady.
La médiation africaine est encadrée par un calendrier international serré. Un front diplomatique est également ouvert à New York où la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies programmée pour lundi examinera la proposition de résolution française prévoyant l’imposition conditionnelle de sanctions à la Côte d’Ivoire. En substance, la communauté internationale lancerait un ultimatum d’un mois aux parties ivoiriennes pour qu’elles appliquent les volets constitutionnel et sécuritaire des accords de Marcoussis et d’Accra. Faute de quoi, le pays serait soumis à un embargo d’un an sur les armes, assorti du gel des avoirs et d’une interdiction de voyager pour les personnes « désignés comme constituant une menace pour la paix et la réconciliation, notamment celles qui bloquent l’application complète des accords » de réconciliation. L’adoption de la résolution, présentée en début de semaine, avait été retardée à la demande du groupe des pays africains soucieux de laisser sa chance à l’initiative de l’UA. « Souvent les sanctions tendent à durcir les positions et à rendre le problème plus difficile », a déclaré l’ambassadeur d’Afrique du Sud à l’ONU.
Enfin les autorités d’Abidjan ont rétabli l’eau et l’électricité dans le Nord du pays, contrôlés par les insurgés. Ces régions n’étaient plus approvisionnées depuis le début de l’offensive militaire gouvernementale, il y a une dizaine de jours.
par Georges Abou
Article publié le 13/11/2004 Dernière mise à jour le 13/11/2004 à 14:08 TU