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Kenya

Le combat pour la terre des Maasaï

Le bail foncier, concédé par les Maasaï en 1904, est expiré, selon eux, depuis le 15 août. 

		(Photo : AFP)
Le bail foncier, concédé par les Maasaï en 1904, est expiré, selon eux, depuis le 15 août.
(Photo : AFP)
Les Maasaï du Kenya réclament la restitution des terres ancestrales dont les a privé la colonisation. Cette revendication met à l’épreuve le nouveau gouvernement, en soulevant l’un des points les plus délicats de son programme : la réforme foncière.

 

 « Depuis quelque temps, le tourisme communautaire écologique, à petite échelle, est devenu une alternative aux traditionnels safaris de luxe, organisés par les vieux colonialistes qui sous-paient leurs employés autochtones ». Sur son site internet, le ranch de groupe « Lekurruki », gérant de l’un des plus beaux sites d’hébergements du Kenya,  n’y va pas par quatre chemins quand il s’agit d’attirer les touristes sur ses 24 000 hectares, préservés de la civilisation. Ses actionnaires sont des Maasaï  du district de Laikipia. Une région au nord de la capitale, qu’il y a près d’un siècle, fut offerte aux colons par les autorités britanniques, à la suite de traités avec des chefs locaux.

Fin août, une quarantaine d’éleveurs Laikipiak, dont les pâturages souffrent de la sécheresse, ont pénétré en force sur les territoires des ranches privés, appartenant à des Kenyans blancs. Arrachant les barbelés et poussant devant eux, entre 30 et 35 000 têtes de bétail. Prévenues, les unités spéciales anti-émeutes les attendaient. Elles ont tiré sur des jeunes moran (guerrier) qui levaient leurs lances. Un éleveur de 70 ans a été tué et quatre autres blessés.

Le lendemain des incidents de Laikipia, 200 Maasaï se rassemblent dans le parc du centre-ville de Nairobi, prêts à marcher sur l’ambassade britannique, pour faire valoir leurs droits : le bail foncier, concédé par leurs ancêtres en 1904, est expiré, selon eux, depuis le 15 août. La police intervient avec des gaz lacrymogènes. « L’histoire nous a laissé des situations douloureuses à gérer » commentera, suite à ces incidents, un porte-parole du gouvernement, ajoutant : « nous ne permettrons à quiconque d’envahir les terres d’autrui ». Une remarque judicieuse puisque nombre de politiciens et de ministres, anciens et actuels, ont bénéficié de la gabegie qui entoure les cessions foncières au Kenya.

Depuis les échauffourées du mois d’août, les fermiers blancs de Laikipia ont trouvé un compromis avec leurs voisins éleveurs : ils ont abandonné les poursuites judiciaires et autorisé un pâturage limité jusqu’à ce que l’herbe repousse sur les terres maasaï, mais « le gouvernement doit s’engager à régler le problème, sous peine qu’un jour, les Kikuyu –l’ethnie la plus importante du Kenya*– ne revendiquent la propriété de Nairobi ».

 « Beaucoup de propriétaires se sont succédé sur ces terres et ils ont amélioré leur rendement. Comment pourraient-ils être indemnisés ? », se demande Nahez, un Kenyan d’origine pakistanaise. Les disparités sociales, dont font état les journaux du jour, étalés sur son bureau de directeur d’entreprise –10% des Kenyans contrôlent la moitié des richesses du pays- , mais il rejette l’idée d’une restitution. Sans doute, les avocats des Maasaï auront à étudier les recours juridiques possibles pour corriger les injustices des traités de 1904 et 1911, dont le premier devait rester valide jusqu’à ce que « la race maasaï existe ». Ceux-ci privaient les pasteurs-nomades de milliers de pâturages du Nord et organisaient le déplacement des familles et des bêtes vers la réserve du Sud. Mais, ira-t-on évaluer l’impact des lois de non-concurrence que les autorités ont édicté pour protéger la production agricole des colons ? Interdiction aux maasaï d’améliorer la race bovine avec des bêtes d’importation, interdiction aux « natives » de cultiver des produits autres que vivriers, ou d’exploiter la forêt des Hauts-plateaux centraux, réservée aux Blancs ?

Des rapports compromettants pour certains ministres

Les accords de Lancaster House qui précédèrent l’indépendance de la colonie ont bien tenté de rééquilibrer le partage des terres fertiles en attribuant 400 000 hectares aux Kenyans –majoritairement kikuyu–, enfin autorisés à quitter leurs réserves officielles. Néanmoins, ils ne sonnent pas la fin des grandes propriétés. Et les Maasaï, qui ne pratiquent guère l’agriculture, resteront les plus grands spoliés de cette épisode.

La question foncière était l’une des priorités de l’opposition, avant même qu’elle n’arrive au pouvoir en 2002. Quelques mois après son investiture, le président Mwai Kibai annonçait l’ouverture d’enquêtes sur les acquisitions frauduleuses de terres, qui ont marqué le règne de ces deux prédécesseurs. Les rapports n’ont pas tous été publiés, jugés « trop compromettant pour certains de nos ministres, explique une responsable kenyane. Le Kenya n’a jamais eu de politique foncière claire et codifiée. C’est devenu un vrai bourbier. Une élite politico-commerciale s’est approprié un énorme pourcentage des meilleures terres. Les planificateurs ont été incapables de guider les Kenyans sur l’usage de leurs sols, selon les régions. Ce qui a entraîné, entre autres, une dégradation dramatique de l’environnement. La revendication des Maasaï montre à quel point il est important d’impliquer les populations locales dans une refonte du système foncier ». Les autorités se sont données jusqu’à juin 2005 pour obtenir un consensus national, mais « l’application des réformes sera longue ».

*42 ethnies au Kenya. Les Kikuyu représentent environs 28% de la population.



par Marion  Urban

Article publié le 15/11/2004 Dernière mise à jour le 15/11/2004 à 15:06 TU