Sommet de la francophonie: Ouagadougou 2004
De Beyrouth à Ouagadougou: pour une mondialisation plus juste
(Photo: AFP)
Le dernier sommet francophone, du 18 au 20 octobre 2002 à Beyrouth, s’est déroulé dans un contexte exceptionnel. En pleine crise internationale autour de la question d’Irak, la rencontre en terre arabe des chefs d’Etat francophones a donné un caractère à la fois dramatique et solennel aux prises de position adoptées : notamment l’affirmation du multilatéralisme, de la primauté du droit international et du rôle central des Nations unies (Onu) dans la résolution des crises. Le thème même du sommet, le Dialogue des cultures, entrait singulièrement en résonance avec la situation mondiale.
Si l’événement a marqué, c’est aussi qu’il s’inscrivait dans la logique d’évolution, toutes ces dernières années, de l’organisation. Depuis Hanoi en 1997, depuis la création de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et l’institution du poste de Secrétaire général, les Francophones ont montré leur ambition de constituer l’ensemble qui les réunit – fort de ses 56 Etats et gouvernements membres, dont 5 observateurs – comme acteur de la vie politique internationale. Ceci en défendant un certain nombre d’options dont les Francophones considèrent qu’elles découlent d’une identité fondée sur une langue commune, mais aussi sur « les valeurs que sous-tend et qu’exprime la langue » : la défense de la diversité culturelle et linguistique, la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, la solidarité entre pays inégalement engagés sur la voie d’un développement durable…
Les grands chantiers du développement durable
Ce sont ces thèmes que la Francophonie entend faire valoir dans le processus de mondialisation, en prenant une part active aux grandes rencontres internationales : elle s’est ainsi associée aux priorités dégagées en matière de lutte contre la pauvreté par la Déclaration du Millénaire des Nations unies, et aux efforts manifestés par la communauté internationale lors de la conférence de Monterrey sur le financement du développement, au sommet de Johannesburg sur le développement durable, ainsi que dans le cadre des négociations à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). A l’appui de ces initiatives, et tout en rappelant que parmi les 40 pays les plus pauvres et endettés dans le monde, la moitié sont des francophones, la Francophonie veut faire entendre la voix d’une organisation multilatérale attachée, en raison de son histoire et de sa composition, à une mondialisation plus juste, respectueuse des différences et des faibles.
Dans la perspective du sommet de Ouagadougou, dédié à la question du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, la Francophonie a multiplié les initiatives pour montrer ce que peut être son apport dans ce processus. Ceci en partant d’un constat général : si elle n’est pas un bailleur de fonds traditionnel, l’organisation peut en revanche favoriser la rencontre et la réflexion entre responsables politiques et économiques des pays membres, leur fournir une expertise, appuyer diversement les efforts de modernisation et d’acquisition des outils de ce qu’il est convenu d’appeler la bonne gouvernance.
En l’espèce, les principaux chantiers identifiés concernent l’aide à apporter aux pays du Sud en matière de formulation de leurs politiques de développement, d’accès aux financements internationaux, ou encore d’accroissement de leurs capacités dans le cadre des négociations internationales, ainsi que des actions en faveur de la réduction de la « fracture numérique ». Parmi les actions récentes, on évoquera en 2004 la tenue d’un Symposium sur l’accès au financement du développement, ou encore le grand colloque, organisé en juin à Ouagadougou avec le concours de l’Agence universitaire de la Francophonie, destiné à mettre en valeur la contribution des scientifiques au développement durable.
En arrière-plan de ces actions, deux enjeux cruciaux restent pour la Francophonie comme ses « chevaux de bataille » : la défense de la diversité culturelle, avec pour horizon la lutte – qui s’annonce rude – pour l’adoption d’une convention internationale sur la diversité culturelle, dont l’avant-projet doit être présenté à l’Unesco en 2005 ; et la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, un thème majeur lié à la capacité pour les Etats à faire progresser l’Etat de droit et la gouvernance, et facteur évident de création d’une dynamique de développement durable. Outre les initiatives de médiation (ainsi dans la crise ivoirienne, ou en Haïti) ou d’appui direct (Forum sur la transition en République démocratique du Congo, organisé à Kinshasa en avril 2004), la Francophonie doit parachever la mise en place de son Observatoire de la démocratie et des droits de l’homme.
L’enjeu du « cadre décennal »
L’année 2004 a aussi rappelé que la défense du français restait une préoccupation permanente, avec l’ouverture de l’Europe communautaire, en juin, à dix nouveaux pays membres, ouverture porteuse de menaces pour l’équilibre linguistique européen. Il est significatif de constater que les plans projetés par les Etats francophones d’Europe (France, Belgique, Luxembourg) le sont en coordination étroite avec l’institution francophone, désormais perçue comme incontournable sur ces aspects hautement stratégiques. Parmi les manifestations plus classiques, le Congrès mondial des enseignants de français (à Atlanta, en juillet 2004) est venu à point nommé rappeler l’importance d’œuvrer à la diffusion d’une langue commune qui est à la fois en progression et en position précaire partout dans le monde.
Si le sommet de Ouagadougou doit permettre de préciser et approfondir les types d’intervention de la Francophonie sur la scène internationale, il marquera aussi sans doute une étape importante dans la définition même de l’institution francophone. Celle-ci a été conçue à l’origine comme un outil de coopération entre Etats membres, qui définissait tous les deux ans ses grands programmes d’intervention. Aujourd’hui, elle devrait, outre le passage à une programmation quadriennale, se doter d’un cadre inédit pour y inscrire sa nouvelle dimension politique : le cadre décennal 2005-2015 qui, après d’intenses consultations, doit constituer le vade mecum francophone pour la décennie à venir. L’objectif est de clarifier le statut et l’identité d’une organisation qui reste d’une grande originalité au sein de la communauté internationale, et rencontre encore de ce fait d’assez grandes difficultés à faire comprendre ce qu’elle est et en quoi sa démarche est cohérente et… utile.
par Thierry Perret
Article publié le 16/11/2004 Dernière mise à jour le 16/11/2004 à 17:55 TU