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Sommet de la Francophonie: Ouagadougou 2004

Bataille autour d’une Convention

L’avant-projet de convention internationale existe désormais. Les experts ayant rendu leur rapport, c’est maintenant au tour des États de s’exprimer. Les débats sont loin d’être clos : on s’interroge notamment sur le degré de force contraignante que la Convention sur la diversité culturelle pourra revêtir.

A l’image du dieu Janus, la mondialisation est biface, à la fois chance et menace pour la diversité culturelle. D’un côté, elle favorise les échanges en facilitant la circulation des biens et services. De l’autre, elle permet l’apparition de puissantes multinationales qui risquent de mettre en péril le pluralisme. Faut-il laisser la culture être régulée par les seules forces du marché ? Cette question a divisé – et divise encore – la communauté internationale. Pour les États-Unis et la Grande-Bretagne, ces activités doivent être entièrement soumises aux principes du commerce international, alors que pour la France et les pays francophones, elles ne sauraient, en raison de leur spécificité, qu’y déroger.

Pour affermir leur position, ces derniers ont milité pour l’adoption d’une convention mondiale en faveur de la diversité culturelle. De retour au sein de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), qu’ils avaient quittée avec fracas en 1984, les États-Unis se sont farouchement opposés à l’élaboration d’un tel instrument. Après de longs affrontements, la 32e Conférence générale de l’Unesco, réunie en 2003, a abouti à un consensus visant à lancer le projet de Convention. C’est le directeur général de l’Unesco, Koïchiro Maatsura, qui a été mandaté pour mener les travaux préparatoires.

La contribution décisive de la Francophonie

La volonté de doter l’ordre juridique international d’une Convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques a été, pour une large part, déterminée par l’influence francophone. Que la Francophonie fasse figure de pionnière sur cette question n’a rien d’étonnant, car sa charte constitutive y fait référence. Forte de 56 États et gouvernements représentatifs des cinq continents, la Francophonie constitue un laboratoire de la diversité culturelle.

Chaque Sommet a été l’occasion pour la communauté francophone d’affiner sa stratégie. Lors du dernier, à Beyrouth en octobre 2002, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres ont rappelé avec force la nécessité d’adopter un traité pour garantir la diversité des expressions culturelles. Cette détermination s’est traduite en pratique par les interventions répétées du principal rouage opérationnel francophone : l’Agence intergouvernementale de la Francophonie. Mission de sensibilisation et d’information auprès des gouvernements, organisation de séminaires régionaux, réalisation d’études et actualisation de recueils documentaires, concertation avec la société civile sont autant d’initiatives qui ont accompagné le processus d’élaboration du projet de convention.


L’avant-projet propose des mécanismes novateurs de coopération

Globalement, l’avant-projet de convention légitime les politiques culturelles et les mesures adoptées par les États parties pour assurer la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Le préambule, premier des sept chapitres du texte, contient des notions importantes telles que la reconnaissance de la double nature – culturelle et économique – des biens et services culturels, la nécessité du respect des droits de l’artiste, le lien entre diversité culturelle et développement. L’avant-projet propose des mécanismes novateurs de coopération, ainsi que plusieurs « outils » de mise en œuvre, tels l’Observatoire de la diversité culturelle ou des facilités pour le développement de partenariat dynamiques, qui se démarquent d’une simple logique de soutien.

Le principal mérite de ce texte est de prendre en compte les problèmes des pays en développement dont le tissu industriel, nécessaire pour diffuser l’expression de toute créativité nationale, est encore insuffisamment structuré. Ainsi, une disposition oblige les États parties à la Convention à intervenir en faveur des expressions culturelles considérées comme vulnérables. Ce concept de vulnérabilité est un point fondamental de la Convention. Il renforce la possibilité pour toutes les cultures d’avoir accès aux moyens d’expression et de diffusion culturelle.

Dernier point fort, l’avant-projet surmonte les doutes exprimés par certains opposants à la convention, qui estiment en effet qu’une telle réglementation en matière culturelle inciterait les pays à ne promouvoir que leur culture nationale, ou que certains États se fonderaient sur ce texte pour légitimer des pratiques contraires aux droits de l’homme. Sur ce point, l’article 2-1 de l’avant-projet indique : « Nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l’homme garantis par le droit international ou pour en limiter la portée. » Il rappelle que la diversité culturelle est inévitablement consubstantielle à la démocratie.

Reste à savoir comment interpréter les « menaces sérieuses »

Cependant, il persiste quelques zones d’ombre, notamment en ce qui concerne les relations de la Convention avec d’autres textes internationaux, et plus particulièrement avec les accords de l’Organisation mondiale du commerce. Sur ce point, les experts ont conservé deux variantes. La première option prévoit que « rien, dans la présente Convention, ne modifie les droits et obligations des États parties au titre d’autres instruments internationaux existants », ce qui réduirait considérablement sa portée. En revanche la seconde prévoit qu’en cas de conflit avec un autre traité, la convention puisse prévaloir sur les droits et obligations découlant du traité contraire, si et seulement si « l’exercice de ces droits ou le respect de ces obligations causait de sérieux dommages à la diversité des expressions culturelles ou constituait pour elle une sérieuse menace ». Reste à savoir comment et par qui ces sérieux « dommages » ou « menaces » seront interprétés.

A n’en pas douter, de nombreuses questions seront soulevées lors des réunions intergouverne­mentales par les délégations permanentes, invitées à présenter leurs observations sur « l’avant-projet de convention internationale sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques ». Une fois finalisé et accompagné du rapport de Koïchiro Matsuraa, cet avant-projet sera soumis à la 33e session de la Conférence générale d’octobre 2005.



par Olivier  Rabaey

Article publié le 18/11/2004 Dernière mise à jour le 17/11/2004 à 23:00 TU