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Trafic d’armes

Jacques Monsieur dit «le Renard» : marchand d’armes et espion ?

Pour Jacques Monsieur le commerce des armes n’était qu’une «couverture» pour des activités de renseignement. 

		(Photo : Berry Républicain)
Pour Jacques Monsieur le commerce des armes n’était qu’une «couverture» pour des activités de renseignement.
(Photo : Berry Républicain)
A 51 ans, Jacques Monsieur sort de son silence et parle de son activité de marchand d’armes. La justice française à ses trousses, l’homme vit en Belgique où il profite d’une liberté provisoire. Pour sa défense il assure que le trafic d’armes n’était qu’une couverture pour des activités d’espionnage au profit de services de renseignement occidentaux. Celui que l’on surnomme « Le Renard » donne sa version des faits.

De notre envoyé spécial à Bruxelles

Jacques Monsieur, l’homme au patronyme passe-partout, cultive la discrétion comme une seconde nature. Il est presque anonyme, perdu dans la foule mais familier du bar discret d’un hôtel quatre étoiles du centre de Bruxelles. Costume bleu sombre, cravate, attaché-case : la panoplie ordinaire de l’homme d’affaire.

D’emblée, il vérifie : «vous n’enregistrez pas, là ?». Fantasme ou simple réflexe d’homme aux vies cloisonnées ? Celle d’aujourd’hui commence en 1978. Papa est notaire, côté flamand, le fils entame des études de droit, qu’il abandonne en maîtrise. 1978 : l’appel sous les drapeaux. Hasard ou pas ? Jacques Monsieur, plutôt chétif, se retrouve dans un bataillon de chasseurs à pied, «une unité de renseignement». Après un détour par le Portugal (où il se découvre une passion pour les Lusitaniens, de fameux chevaux de dressage), il affirme qu’il bascule «par goût» dans l’univers des «services».

Dès le départ, le cadre de son action est fixé assure-t-il : il sera marchand d’armes, profession idoine pour voyager dans des pays en conflit et se faire des relations au plus haut niveau. Aujourd’hui sous le coup d’une information judiciaire pour «commerce illicite de matériel de guerre», il défend pied à pied cette version de l’histoire : le commerce des armes n’était qu’une «couverture» pour des activités de renseignement. Tout au long de l’entretien -enregistré cette fois- qu’il nous a accordé, Jacques Monsieur n’a cessé d’expliquer pourquoi, derrière le marchand d’armes, il faut voir un espion au service de ses puissants protecteurs.

Le «Renard» s’installe en France

Raffiné et polyglotte, l’agent Monsieur aurait d’abord travaillé pour le SGR, les services secrets militaires belges, tout en étant supervisé par les services américains sur lesquels il refuse d’être plus précis. La nature même des opérations auxquelles il participe laisse penser que la CIA n’est pas étrangère à ses activités. En particulier lors de l’Irangate (fourniture d’armes à l’Iran par les Américains en pleine guerre Iran-Irak et alors que Washington et Téhéran sont à couteaux tirés).

Dans ce contexte, la motivation pécuniaire des services n’est pas à exclure, car les montants des marchés en jeu sont colossaux. Certains services de renseignement ont pu engager ces opérations pour financer leurs propres activités clandestines ou pour affaiblir l’ennemi. A titre indicatif, sur la période 1993-96, les comptes en banque français de Jacques Monsieur encaissent la somme globale de 7 767 646 francs et 30 centimes. De l’argent qu’il utilise notamment pour la réfection du domaine des Amourettes qu’il a acquis dans le centre de la France.

L’amateur de Lusitaniens s’est alors mué en éleveur de chevaux (il se déclare comme «agriculteur») en plein pays berrichon, terre de l’âne noir et des fleurons de l’industrie de l’armement. En s’installant en France, Jacques Monsieur prétend avoir alerté la DST (le contre-espionnage français) de ses activités et de sa «couverture». La DST aurait accepté de fermer les yeux sur le trafic d’armes, en échange d’une collaboration gratuite et désintéressée. Est-ce plausible ? «Possible, répond l’ancien patron de la DST, Yves Bonnet, la DST a parfois recours à des marchands d’armes, car ce sont des gens qui ont des entrées à très haut niveau dans les Etats qu’ils fréquentent».

Trahi ou lâché ?

Au-delà des principes, la façon dont l’intermédiaire contourne les embargos ou les dispositifs légaux en vigueur démontre qu’une telle activité ne peut être envisagée sans la complicité active des autorités militaires. La fourniture d’armes et de munitions à la Croatie et à la Bosnie en est l’exemple le plus achevé. Alors que l’ONU et les forces de l’OTAN imposent un blocus naval en mer Adriatique, plusieurs cargos livrent leurs marchandises directement dans des ports croates. Pour la Bosnie, les livraisons s’effectuent par des avions-cargos Iliouchine se posant sur des aéroports théoriquement contrôlés par les casques bleus ! Dès lors, difficile de ne pas donner un certain crédit à l’hypothèse du «feu orange» (accord officieux) accordé par les services secrets.

La chute de Jacques Monsieur est à rapprocher des déboires d’un autre marchand d’armes désormais bien connu, Pierre Falcone. Les vrais ennuis judiciaires de l’intermédiaire franco-brésilien commencent en décembre 2000, tout juste un mois après l’arrestation de Jacques Monsieur à Téhéran. Dans les deux cas, leurs parrains occidentaux semblent avoir fait le choix de les sacrifier sur l’autel de l’efficacité.

Or, Pierre Falcone se savait menacé par une procédure fiscale démarrée en 1996, comme Jacques Monsieur, dont les activités ont été dénoncées aux autorités judiciaires belges par une dénonciation des douanes américaines… en 1996. Au delà du parallèle entre leurs deux situations, faut-il voir tout un pan des réseaux animés par les services secrets qui, soudainement, s’effondre ? Le rapprochement s’arrête au statut de ces deux intermédiaires : Pierre Falcone est un représentant appointé de la Sofremi, organisme d’Etat, tandis que Jacques Monsieur est un « indépendant », les deux hommes bénéficiant de contact privilégié avec différentes branches du réseau qui anime le ministère de l’Intérieur entre 1993 et 1995. Il faudra d’ailleurs attendre l’alternance politique pour que le ministre de la Défense (socialiste) Alain Richard prenne la décision de porter plainte contre les deux intermédiaires.

Aujourd’hui, Pierre Falcone parcourt l’Asie à la recherche de débouchés pour le régime angolais dont il est devenu le représentant attitré auprès de l’Unesco, jouissant ainsi d’une protectrice immunité diplomatique. Jacques Monsieur, lui, a choisi d’attendre la clémence des juges français ou, à défaut, de ses anciens commanditaires. Mardi 23 novembre 2004, la chambre de l’instruction du Tribunal de Bourges (centre de la France) a décidé d’appliquer le principe du non bis in idem (on ne juge pas deux fois les mêmes faits) à son dossier. En clair, toutes les infractions, pour lesquelles il a déjà été condamné par le tribunal de Bruxelles en décembre 2002, seront écartées de l’instruction française. Habile, le « Renard ».

par David  Servenay

Article publié le 06/12/2004 Dernière mise à jour le 06/12/2004 à 11:37 TU