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Côte d'Ivoire

Feuille de route sud-africaine

Thabo Mbeki : «Il faut que le désarmement commence et que la Côte d’Ivoire soit réunifiée.» 

		(Photo : AFP)
Thabo Mbeki : «Il faut que le désarmement commence et que la Côte d’Ivoire soit réunifiée.»
(Photo : AFP)
Pendant cinq jours, d’Abidjan à Bouaké, le président sud-africain Thabo Mbeki a fait la promotion de sa «feuille de route pour la paix» auprès du président Gbagbo, de la rébellion des Forces nouvelles (FN) et de l’opposition non armée. Il assure que «toutes les parties se sont mises d'accord sur quatre propositions pour accélérer la mise oeuvre des accords de paix» de Marcoussis et d'Accra. Les anciens belligérants seraient disposés à régler «la question de l'article 35» sur les conditions d'éligibilité à la magistrature suprême, mais aussi à commencer les opérations de désarmement-démobilisation-réintégration des combattants (DDR). «Tous les ministres titulaires du gouvernement de réconciliation nationale doivent revenir à leur poste et exercer leur fonction normalement», indique également Thabo Mbéki qui annonce en outre que «des patrouilles conjointes entre les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) et les casques bleus de l'Onuci» devraient permettre le retour de la sécurité à Abidjan.

«Il ne m'est pas possible de vous communiquer pour le moment le calendrier de ces propositions. Nous avons donné ce calendrier à tout le monde ce [lundi] matin, et nous aurons probablement une idée plus claire, plus tard pendant la semaine», souligne le président en exercice de l’Union africaine (UA) qui a fait en cinq jours le tour de la galaxie ivoirienne. Thabo Mbeki a en effet multiplié les entretiens in situ avec les représentants du pouvoir, du sommet de l’Etat, à la présidence de l’Assemblée nationale, en passant par le parti de Laurent Gbagbo, le Front patriotique ivoirien (FPI) et sa base patriote, mais aussi avec ceux de l’opposition armée et non armée restés au pays.

Mbeki s'inquiète du silence du Premier ministre

Venu à Abidjan armé d’une «feuille de route pour la paix» plutôt légaliste, Thabo Mbeki s’est inquiété de l’absence et du silence, ces dernières semaines, du Premier ministre de la «réconciliation nationale», Seydou Diarra. Avant sa tournée en Côte d’Ivoire, il avait reçu à Pretoria le chef du Rassemblement des républicains (RDR), Alassane Ouattara. Et dimanche, il s’est rendu dans le fief de l’ancienne rébellion des Forces nouvelles (FN).

Avant d’entendre l’opposition ivoirienne, le président sud-africain était déjà venu à Abidjan prendre le pouls de son pair ivoirien, le 9 novembre, au moment des événements de l’hôtel Ivoire aujourd’hui reprochés à l’armée française. Celle-ci plaide désormais la manipulation, accusant le pouvoir d’avoir joué la provocation pour tenter d’édifier Thabo Mbeki sur la brutalité de la répression française en terre africaine. De leur côté, les «patriotes» ivoiriens ont, en tout cas, réussi à convaincre une partie non-négligeable de l’opinion sud-africaine de la nécessité, selon eux, de rompre avec la France «coloniale». Rien de tout cela n’est indifférent à la suite de la médiation sud-africaine, si panafricaine soit-elle. C’est du moins visiblement le sentiment des Ivoiriens qui ont cherché à donner une certaine image d’eux-même à Thabo Mbeki.

Article 35 : Mbeki se félicite d'une avancée en trompe l'oeil

A Bouaké, le chef politique des FN, Guillaume Soro, a rendu un hommage très appuyé au chef de la «nation arc-en-ciel», dénonçant un apartheid à l’ivoirienne. Mais pour Thabo Mbeki, «lorsque l’on signe un accord, on l’applique», une allusion au désarmement jusqu’ici refusé par les anciens rebelles en l’absence d’une réforme de l’article 35 hors de la voie référendaire. A Abidjan, de son côté, le président Gbagbo s’était empressé de saluer l’arrivée du médiateur sud-africain en transmettant «immédiatement» à l'Assemblée nationale le projet de loi sur la réforme des conditions d'éligibilité à la présidence de la République. Ce faisant, Laurent Gbagbo autorisait Thabo Mbeki à se réclamer d’une avancée auprès des néophytes, sans pour autant changer son fusil d’épaule.

En même temps, le président ivoirien tentait de dédramatiser ses relations avec l’UA qui a condamné sa tentative ratée pour restaurer la souveraineté nationale sur l’ensemble du territoire, début novembre. Mais Laurent Gbagbo ne s’est nullement engagé à renoncer à soumettre la future réforme constitutionnelle à référendum comme l’exigent ses adversaires. Sur ce point, il s’accroche au constitutionnalisme qui l’a sauvé de la destitution depuis l’accord de Linas-Marcoussis, le 24 janvier 2003.

La quadrature du cercle constitutionnel

Si la «table ronde» organisée par la France à Linas-Marcoussis avait pour objectif politique de déchoir Laurent Gbagbo de ses prérogatives présidentielles, le texte de l’accord signé par les partis politiques ivoiriens n’a pas dénoncé la Constitution ivoirienne de 2000, même s’il exige qu’une réforme de son article 35 permette à l’ancien Premier ministre Alassane Ouattarra de concourir dans la future joute présidentielle. L’article 35 prévoit que tout candidat à la magistrature suprême soit «ivoirien d'origine, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens d'origine». «Il doit n'avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s'être jamais prévalu d'une autre nationalité», ajoute-t-il tandis que le texte de Marcoussis se contente de stipuler que le postulant doit être «exclusivement de nationalité ivoirienne né de père ou de mère Ivoirien d'origine».

Le texte de Linas-Marcoussis fait l’impasse sur toute la série d’articles organisant la révision de la Constitution à l’initiative du chef de l’Etat et de l’Assemblée, sur vote parlementaire «à la majorité des 2/3» et «après avoir été approuvée par référendum». Dans ses déclarations optimistes sur un nouvel accord, Thabo Mbéki ne dit rien sur cette troisième et cruciale étape référendaire. Par ailleurs, l’article 127 précise qu’«aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire». C’est pourtant ce qu’exigent les opposants du régime Gbagbo, et en particulier ceux qui occupent militairement la moitié du territoire ivoirien. A moins que la volonté affichée de Thabo Mbeki de travailler à la réunification rapide de la Côte d’Ivoire ne lève cet ultime obstacle également posé devant tout scrutin éventuel.

«Flou artistique» selon le PDCI

La Constitution actuellement en vigueur a été concoctée en 2000 par le général-président Robert Gueï. Ce texte qui excluait Ouattarra avait été adopté par référendum. Les Ivoiriens voteraient ils en sens inverse aujourd'hui ? La question se pose. Pour leur part, les représentants de l’opposition non armée, les poids lourds RDR et PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, l’ancien part unique) n’ont pas pris le risque de se mettre Thabo Mbeki à dos en suggérant trop fort que sa victoire diplomatique n’en est pas vraiment une, puisque Laurent Gbagbo a de longue date admis la réforme de l’article 35, sous réserve du fameux référendum.

Le secrétaire général du PDCI, Alphonse Djédjé Mady, parle de «flou artistique» et attend de plus amples informations avant de se prononcer. Le porte-parole du RDR, Ibrahim Bacongo, a d’abord félicité la médiation pour cette «décision du chef de l'Etat» de soumettre l’article 35 à l’Assemblée nationale. Cela «va dans le bon sens», dit le RDR avant d’ajouter qu’il «demande désormais au président Gbagbo de faire un pas de plus, et de prendre une nouvelle décision qui évite un recours au référendum», ce qui n’est pas nouveau non plus. «Wait and see», déclarent de leur côté les FN en ajoutant que «Gbagbo continue à faire ce qu'il fait depuis deux ans. Nous sommes convaincus qu'il ne tiendra pas ses promesses». Dans le camp adverse, le président de l'Assemblée nationale, un tenant de la ligne dure, Mamadou Koulibaly, il assureque «le 17 décembre, nous devons boucler l'étude des textes» de lois préparés par le gouvernement conformément au programme politique de Marcoussis. Il promet que «si ce calendrier est tenu, l'article 35 qui vient d'arriver sera programmé dès le début du mois de janvier».

Tévoédjré rend son tablier

«Il est très urgent que la crise soit résolue, il est nécessaire que vous finissiez le programme législatif que demande la transition» a expliqué Thabo Mbeki aux Ivoiriens de tous bords, précisant son intention d’éviter toute «crise institutionnelle avant octobre 2005», c’est-à-dire avant la fin du mandat de Laurent Gbagbo. «Il faut tenir les échéances électorales et il faut que le processus de désarmement commence», insiste Thabo Mbeki. «La Côte d'Ivoire doit être réunifiée, la division du pays doit cesser», dit-il, car il est urgent de «démarrer les préparatifs des élections pour nous assurer qu'elles seront justes et transparentes». Reste à savoir si les ex-belligérants n’attendent pas surtout des scrutins à venir qu’ils leur soient profitables. Faute de quoi, ils se contenteraient du statu quo.

La mission du président Mbeki est celle «de la dernière chance», assure le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d'Ivoire, Albert Tévoédjrè, qui a «informé le 24 novembre le Secrétaire général de [sa] démission». Nommé en février 2003, Albert Tévoédjrè présidait également le Comité de suivi des accords de paix de Linas-Marcoussis. En jetant l’éponge, il a motivé sa démission par «les événements du 4 novembre», l’offensive des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci), «un choc personnel», assure-t-il. Entre temps, il a été critiqué par chacun des deux camps et estime «avoir tout fait pour pousser au maximum les exigences de la communauté internationale». «La mission de médiation du président Mbeki permettra sans doute une reprise en main à laquelle l'Onuci doit participer», indique son courrier à Kofi Annan qui conclut «je ne crois pas qu'il était nécessaire d'avoir tant de morts pour arriver enfin à faire ce qu'il fallait faire depuis le début».



par Monique  Mas

Article publié le 06/12/2004 Dernière mise à jour le 06/12/2004 à 18:34 TU

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