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Turquie-Union Européenne

Les points de friction de la candidature turque

Septembre 2001: la gauche turque manifeste contre la répression des Kurdes (Photo). Parmi les critères d'adhésion le Conseil européen appelle Ankara à respecter la liberté, la démocratie et les droits de l'Homme. 

		(Photo : AFP)
Septembre 2001: la gauche turque manifeste contre la répression des Kurdes (Photo). Parmi les critères d'adhésion le Conseil européen appelle Ankara à respecter la liberté, la démocratie et les droits de l'Homme.
(Photo : AFP)
Au cours de ce Conseil européen des 16 et 17 décembre à Bruxelles, les dirigeants des 25 pays membres vont décider si la Turquie peut faire acte de candidature pour adhérer à l’Union européenne. Cette décision doit être prise à l’unanimité. Si le oui l’emporte, elle donnera le coup d’envoi à une longue période de négociations.

Le « oui mais » de la Commission


Si la décision est prise à l’occasion de ce sommet d’ouvrir avec la Turquie des négociations d’adhésion, elle ne sera pourtant pas automatique. Le document préparé par la Commission maintient la possibilité de suspendre les négociations d’adhésion en cas de violation des principes fondamentaux de l’UE. Il s’agira d’un «processus ouvert dont le résultat ne peut être garanti avant terme ». Même si l’actuel Premier ministre turc Recep Tayyp Erdogan ne veut pas en entendre parler, ces négociations pourraient seulement aboutir à un partenariat privilégié, une formule économique inédite dont le contenu reste à déterminer. Les précédentes candidatures n’ont jamais donné ce résultat. De toute façon, ces discussions UE-Turquie vont s’étaler sur dix ou quinze ans. Si elles débutent, elles seront basées sur les mêmes critères que pour les dix pays qui ont rejoint l’Union cette année.

La question divise l’Europe et les Européens


Malgré l’opposition de l’UMP, le parti gouvernemental français, Jacques Chirac s’est prononcé pour l’entrée de la Turquie dans l’Union. Le président français a cependant demandé qu’un bilan soit fait au bout de quelques années pour décider de la poursuite ou non des négociations d’adhésion. Par ailleurs les Français seront invités à se prononcer sur la question par référendum lorsque les négociations entre les deux partenaires seront presque terminées.

En Allemagne, le chancelier Schröder s’est prononcé pour l’entrée de la Turquie au sein de l’Union. Comme en France, le parti de droite, la CDU est contre. L’Autriche et le Danemark sont, eux aussi, plutôt contre cette adhésion en raison de la pression de leurs partis d’extrême droite. De leur côté, les dix nouveaux pays membres sont globalement pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Les opinions publiques sont souvent en décalage sur cette question de l’adhésion de la Turquie comme en France ou en Autriche où plus de 75% de la population se dit hostile à l’adhésion turque et réclame la définition d’un « partenariat privilégié » plutôt que des pourparlers d’intégration. Pour Alexandre Lefèbvre, spécialiste des relations internationales, « les opinions publiques ne sont manifestement pas prêtes ».

La République de Chypre, qui a fait partie de la dernière vague d’adhésion à l’Union européenne, menace de brandir son veto lors de cette négociation de Bruxelles si la Turquie ne la reconnaît pas officiellement. Pour Ankara, estiment les analystes, reconnaître le gouvernement chypriote-grec signifierait de facto ne plus reconnaître la République turc de Chypre nord (RTCN, autoproclamée).

L’argument géographique


« La Turquie n’est pas européenne, sa capitale n’est pas en Europe, elle a 95% de sa population hors d’Europe ». C’est l’un des arguments de Valéry Giscard d’Estaing pour refuser la candidature de la Turquie. Pour les géographes, la quasi-totalité du territoire turc est en Asie. D’autres politiciens, comme le socialiste français Dominique Strauss-Kahn, affirment que la conception de l’Europe n’est pas une affaire de frontières continentales mais qu’il s’agit d’un groupe de pays démocratiques pouvant s’étendre à toute la Méditerranée.

L’argument religieux


La Turquie compte 70,7 millions d’habitants. 99% sont musulmans, en majorité sunnites. « Si l’Union européenne n’est pas un club chrétien (expression de l’ancien chancelier Helmut Kohl), la population turque, qui est musulmane, ne devrait poser aucun problème, au contraire », a déclaré le Premier ministre turc Erdogan dans une interview au quotidien italien La Stampa, quelques jours avant le sommet de Bruxelles. Au même moment, le président de la Conférence des évêques de France écrivait au président Chirac pour lui demander de faire du respect de la liberté religieuse en Turquie un préalable à l’ouverture des négociations avec Ankara.

L’interdiction récente de porter le foulard à l’école (en France) et à l’université (en Turquie) ont montré l’attachement de ces deux pays à la  laïcité.

Les partisans de l’adhésion rappellent que l’Europe compte déjà 12 millions de citoyens de confession musulmane et que sur le continent européen, deux pays, la Bosnie et l’Albanie, non membres de l’Union, ont une population à majorité musulmane.

Jacques Chirac, le président français soulignait « Refuser, pour des raisons d’ordre ethnique ou religieux la Turquie, serait faire le jeu de ceux qui prônent le choc des civilisations ».

Le statut des femmes


Le nouveau code civil, entré en vigueur en 2002, autorise les femmes à travailler sans l’autorisation de leur mari, accorde aux épouses des droits à la propriété. Elles peuvent désormais entamer une procédure de divorce en cas d’adultère.

Le nouveau code pénal, entré en vigueur le 26 septembre 2004, renforce les libertés individuelles, reconnaît la notion de viol dans un couple et punit plus sévèrement les violences faites aux femmes.

L’image de réformateur pro-européen du Premier ministre Erdogan a cependant suscité des doutes en septembre dernier lorsqu’une nouvelle loi a été soumise au vote du parlement turque. Cette loi prévoyait des sanctions pénales en cas d’adultère. L’Union Européenne a fait part de son hostilité. Le projet a finalement été abandonné.

La démocratisation des institutions turques


Le Conseil européen a appelé le gouvernement turc à réformer sa législation pour satisfaire aux critères politiques de l’UE : respect de la liberté, de la démocratie, droits de l’homme, libertés fondamentales, Etat de droit et maintien de la stabilité des institutions.

Depuis trois ans, dans la perspective de l’ouverture des négociations d’adhésion, la Turquie a fait entrer dans ses institutions un grand nombre de réformes, à un rythme si soutenu qu’il étonne les observateurs. La Constitution a été amendée pour renforcer les libertés publiques comme la liberté de la presse, la liberté d’association, la liberté d’expression, les droits des inculpés et des détenus. L’usage de la langue kurde n’est plus interdit. Le carcan policier s’est desserré, la torture n’est plus tolérée. Les pouvoirs des militaires ont été réduits au Conseil national de sécurité ainsi que dans le Conseil de l’audiovisuel et dans celui de l’éducation. Une procédure pénale ordinaire s’est substituée aux cours de sûreté. Le ministère turc des Affaires étrangères s’est montré ouvert à toute réforme supplémentaire à la demande du commissaire chargé de l’élargissement. Les députés européens de leur côté ont apprécié la forte motivation et la volonté politique du gouvernement de l’AKP, le Parti de la justice et du développement mais ils estiment que ces réformes seront jugées selon leur mise en œuvre réelle à tous les niveaux du système judiciaire, des forces de sécurité, et de l’administration civile et militaire.

La question kurde


20% de la population turque est kurde, ce qui représente une communauté de 15 millions de personnes environ au voisinage des minorités kurdes d’Iran, d’Irak, et de Syrie. L’arrivée des militaires au pouvoir en 1980 a représenté les pires années de guerre entre les séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les militaires (1984-1999). Ces opérations de guérilla et la répression dans le sud-est du pays, ont provoqué la mort de 35 000 personnes. Deux millions de paysans ont fui leur région d’origine, le sud-est anatolien, pour s’installer à l’ouest du pays dans des conditions de vie assez misérables. Des indemnisations sont actuellement en question même pour les jeunes qui n’ont pas envie de rentrer au pays.

La langue kurde, même orale, avait été interdite au moment du coup d’Etat militaire. Depuis 2002, les Kurdes peuvent à nouveau parler leur langue, une loi sur l’enseignement a été votée, des centres d’enseignement ont vu le jour, même s’ils ne sont pas encore nombreux en raison de problèmes de financement. Les Kurdes ont aussi des émissions de télévision et de radio dans leur langue. Donner un prénom kurde à un enfant n’est plus interdit.

Selon un sondage, 60% des Kurdes de Turquie se disent favorables à l’entrée de leur pays dans l’UE car ils la perçoivent comme un espace supranational de paix et de démocratie. Ils comptent sur Bruxelles pour leur donner des droits équivalents à ceux des autres citoyens de l’Union. Il semble que d’autres minorités kurdes, au-delà des frontières de la Turquie, comptent elles aussi sur cette adhésion pour améliorer leur sort dans leur propre pays par effet de contagion. Il y a quelques jours, deux cents personnalités kurdes de la diaspora ou de Turquie ont signé un appel pour un règlement équitable de la question kurde dans le cadre des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Dans cet appel, ils demandent une Constitution nouvelle et démocratique, une amnistie politique générale et la mise en œuvre, avec le soutien de l’Europe, d’un vaste programme de développement économique de la région kurde.

A quand la reconnaissance du génocide arménien ?


La communauté arménienne  (chrétienne orthodoxe) compte environ 70 000 personnes. Le refus d’Ankara de reconnaître le génocide d’environ 1,5 million d’Arméniens en 1915 constitue un obstacle sérieux à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Ce génocide a provoqué la dispersion de cette communauté à travers le monde. Un million d’Arméniens vivent aux Etats-Unis, cinq cent mille en Europe, trois cent mille au Moyen-Orient. Le reste de cette population de sept millions de personnes vit en Arménie. Les Arméniens de la diaspora sont les plus intransigeants dans la reconnaissance du génocide. En France, au moment où les députés débattaient des avantages et des inconvénients d’une éventuelle adhésion de la Turquie dans l’UE, les Arméniens de France manifestaient contre cette éventualité. « Il me paraît impossible que la Turquie adhère sans reconnaître son passé », a déclaré pour sa part le socialiste Michel Rocard, fervent supporter de l’entrée de la Turquie dans l’Union. « Nous avons mis plus de quarante ans à reconnaître Vichy, et nous n’aurions jamais accepté de recevoir de leçons de qui que ce soit », explique l’ancien Premier ministre. Selon lui, la Turquie se penchera automatiquement sur son passé.

La France a fait de ce génocide une loi datant du 29 janvier 2001. « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». La Turquie, candidate de longue date à l’UE, n’a pas apprécié. Elle conteste le fait que le pouvoir ottoman ait planifié ces massacres. Comme la France, d’autres pays membres ont reconnu le génocide : l’Italie, la Belgique, la Grèce. Le Parlement européen pour sa part a voté une résolution qualifiant les « événements tragiques » subis par les Arméniens de «génocide ». Il demandait aux chefs d’Etat et de gouvernement européens d’obtenir de la Turquie une reconnaissance.

La peur d’une vague d’immigration turque


Avec un PNB actuel de 2 790 dollars par habitant, à comparer  aux 19 775 dollars en moyenne chez les 25 (source Banque Mondiale 2003), les Turcs ont souvent choisi la solution de l’immigration, une immigration d’autant plus choisie que plusieurs régimes militaires se sont succédé dans le pays, la Turquie ayant connu trois coups d’Etat en un siècle. Résultat, avec 2,5 millions de personnes, c’est l’Allemagne qui accueille la plus importante communauté turque de l’étranger. La France est leur deuxième destination. En Autriche et au Royaume-Uni des migrants turcs se sont installés pour des raisons politiques ou économiques ainsi qu’au Danemark. Dans ces pays, le voisinage de cette minorité a souvent rendu l’homme de la rue turcosceptique. Il se prononce alors contre l’intégration de la Turquie dans l’Union par peur d’un nouvel afflux d’immigrants musulmans.

Les hommes politiques pour leur part ont fait leurs comptes. Le niveau de la population de la Turquie va jouer un grand rôle dans l’attribution des sièges de parlementaires. Leur nombre va désormais être limité à 750. La répartition se fera à la proportionnelle de la population, avec un correctif pour ne pas désavantager les plus petits pays, et un plafond de 96 députés européens par Etat. Si la Turquie entre dans l’Union, comme elle représenterait un peu plus de 15% de la population totale de l’UE, elle disposerait de 96 parlementaires à Strasbourg, à égalité avec l’Allemagne. En plus, pour faire de la place à ces nouveaux parlementaires, le nombre de représentants de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Italie serait réduit. Sans parler de la nouvelle prise de décision dans la future Constitution européenne qui se fera avec le soutien de 55% des Etats membres représentant 65% de la population totale de l’Union. Là encore, la Turquie jouera un rôle décisif.

Quant à l’immigration clandestine, des voix s'élèvent pour estimer que repousser les frontières de l’UE à la limite d’un Moyen-Orient instable est une prise de risque trop forte pour la stabilité de l’Union.



par Colette  Thomas

Article publié le 14/12/2004 Dernière mise à jour le 14/12/2004 à 17:40 TU