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France

Ecoutes téléphoniques: affaire d’Etat, motifs privés

Les deux principaux protagonistes du procès des écoutes de l'Elysée, Christian Prouteau (à g.) et son adjoint, le capitaine Paul Barril, à Ajaccio en janvier 1980. 

		(Photo: AFP)
Les deux principaux protagonistes du procès des écoutes de l'Elysée, Christian Prouteau (à g.) et son adjoint, le capitaine Paul Barril, à Ajaccio en janvier 1980.
(Photo: AFP)
Le tribunal correctionnel de Paris a renvoyé au 4 janvier la poursuite des débats sur l’affaire des écoutes téléphoniques ordonnées par le président François Mitterrand au début des années 80. Douze personnes comparaissent, accusées d'avoir réalisé des écoutes illégales de nombreuses personnalités sous le premier septennat de François Mitterrand. Les faits s’inscrivent dans un contexte international troublé par une campagne d’attentats dont la France était notamment la cible. L’ancien président de la République avait détourné de sa fonction initiale la mission d’une cellule antiterroriste parallèle mise en place à l’Elysée.

Les débats ont bien montré pourquoi, dès le départ, cette cellule anti-terroriste était vouée à tous les dérapages possibles. D'abord, il y a un contexte. Il faut bien comprendre que, dès sa création, en août 1982, la cellule de l'Elysée a deux missions. La première, assurer la sécurité du président de la République; la seconde est une «mission de coordination, d'information et d'action contre le terrorisme». A l'époque, les attentats se multiplient sur le sol français, et, politiquement, le président Mitterrand veut montrer qu'il agit.

En fait, de ces deux objectifs, seul le premier va subsister. Et beaucoup d'écoutes téléphoniques n'auront pour seule justification que la protection de la vie privée du président. Ensuite, il y a les hommes. La cellule, ce sont les super-gendarmes du GIGN, le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale. Le commandant Prouteau et le capitaine Barril sont des hommes d'action. Paul Barril va d'ailleurs prendre la tête du groupe d'action mixte, une sorte de bras armé de la cellule.

Ces hommes sont les meilleurs pour organiser un plan de sécurité, négocier avec des preneurs d'otages ou tuer un terroriste au fusil à lunette. En revanche, ce sont pas de bons procéduriers, respectueux la légalité. Pour mémoire, ce sont eux qui, en 1979, ont réprimé dans le sang la prise d'otages de la Mecque, en Arabie Saoudite, où il y a eu des dizaines de morts.

Contournement des procédures d'écoutes

Très vite, ces baroudeurs vont s'entourer d'une équipe d'espions: des analystes, spécialistes des mouvements terroristes, qui viennent du contre-espionnage (DST) et des Renseignements généraux. Comme beaucoup d'hommes du renseignement, ces policiers sont extrêmement soupçonneux, à la limite de la paranoïa. Ajoutez à cela des moyens presque illimités (ils voyagent dans le monde entier, ils peuvent utiliser les fonds secrets, et éprouvent un très fort sentiment d'impunité), et vous obtenez un mélange détonant qui va être le terreau des dérapages.

Rappelons d'abord qu'à l'époque, il n'y a pas de loi pour encadrer ces écoutes dites «administratives». Il n'y a pas de loi, mais un usage fixé par des instructions ministérielles. A chaque écoute, le demandeur doit indiquer l'identité de l'écouté, sa profession, le numéro à écouter, le motif de l'écoute. Tout cela est ensuite autorisé par le ministre de la Défense. En fait, dans la plupart des écoutes litigieuses, ces règles étaient contournées.

L’abus de la notion du «secret défense»

Exemple de l'avocat Antoine Comte: pour l'écouter, les gens de la cellule ont mis le nom de son amie et comme motif, «sécurité défense nationale». Même chose pour le journaliste du quotidien Le Monde, Edwy Plenel, écouté par le biais de sa femme. Lorsque le signataire -le ministre ou son directeur de cabinet- avait un doute sur la réalité du motif invoqué, il pouvait demander des détails. Dans la pratique, très peu l'ont fait, parce que ces demandes émanaient de la cellule de l'Elysée. A titre d'information, le général Charroy, qui dirigeait le Groupement interministériel de contrôle (GIC) a reconnu avoir écouté 50 000 personnes en 16 ans.

Depuis un mois, les prévenus ont usé et abusé de cette notion. Le secret-défense est apposé sur tout document, objet ou information susceptible de «nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation». C'est large, et c'est surtout une notion qui est laissée à l'appréciation d’un petit groupe de gens habilités à s’en servir. Evidemment, on peut facilement en abuser. C'est ce qu'ont fait les membres de la cellule pour les écoutes. Puis c'est aussi ce qu'ils ont opposé au juge d'instruction, lors de l'enquête. Avant, finalement, que le juge ne découvre les archives de la cellule, puis que Lionel Jospin, une fois devenu Premier ministre, ne décide de lever le secret-défense sur cette affaire.

La face sombre des années Mitterrand

Cette cellule était en quelque sorte le bras armé du président. Christian Prouteau a d'ailleurs reconnu que François Mitterrand lui avait personnellement donné l'ordre d'écouter Edwy Plenel. Ensuite, il y a le fidèle Gilles Ménage, le directeur de cabinet chargé des questions de sécurité et de renseignements. Cet énarque a servi d'intermédiaire entre le président et la cellule.

Chez les politiques, il y a eu plusieurs attitudes. L'ancien Premier ministre Pierre Mauroy, par exemple, a dit qu'il ne «voulait pas s'occuper des écoutes, sources de dérapages», car cela aurait perturbé sa relation avec le président. Posture un peu similaire de Paul Quilès : l'ancien ministre de la Défense admet une «responsabilité technique», puisqu'il signait les demandes d'écoutes. Mais il ne s'y est jamais opposé, car il n'était pas au courant de ces écoutes. C'est en tout cas ce qu'il prétend. Enfin, l'ancien ministre de l'Intérieur, Pierre Joxe, semble avoir été plus direct. «Combien de fois j'ai dit au président qu'il ne fallait pas avoir un service de police parallèle, que ça n'attirait que des ennuis». Et Pierre Joxe de conclure: «Il ne m'écoutait pas».



par David  Servenay

Article publié le 16/12/2004 Dernière mise à jour le 16/12/2004 à 14:39 TU

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Journaliste

[16/12/2004]