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Côte d'Ivoire

L’ONU veut «donner une chance» à la médiation sud-africaine

Laurent Gbagbo (en haut) et Guillaume Soro. En Côte d'Ivoire, le jeu de poker menteur se poursuit. 

		(Photos: AFP)
Laurent Gbagbo (en haut) et Guillaume Soro. En Côte d'Ivoire, le jeu de poker menteur se poursuit.
(Photos: AFP)

Jeudi soir, le Conseil de sécurité devait demander au Comité des sanctions de commencer à dresser la liste des personnalités ivoiriennes visées par la résolution 1572. Formé le 15 novembre dernier sur la base de cette résolution qui décrétait un embargo immédiat contre les ventes d’armes à la Côte d’Ivoire, le Comité des sanctions est chargé d’établir des responsabilités nominatives du blocage politique et de la violation des droits de l’homme. Le Conseil de sécurité s’est en effet engagé à les sanctionner par des interdictions de circuler et par le gel de leurs avoirs à l’étranger. Des subtilités diplomatiques fixant leur mise en œuvre automatique au 15 décembre (en l’absence de progrès constatés) permettent de reporter leur effets concrets, officieusement au 10 janvier, le temps de finaliser la fameuse liste. Mais le Conseil de sécurité explique aussi qu’il veut «donner une chance à la nouvelle dynamique» attendue de la médiation et «des efforts du président Mbeki».


De fait, les sanctions nominatives de l’ONU ne sont pas entrées en vigueur «automatiquement» le 15 décembre à minuit comme le Conseil de sécurité en avait menacé le pouvoir et les anciens rebelles dans sa résolution 1572 du 15 novembre. De telles mesures ne peuvent se décider qu’à partir du moment où sont envisagées des pressions particulières à l’encontre de protagonistes dûment identifiés et ciblés. C’est leur raison d’être. Reste à alimenter les actes d’accusation brandis en particulier comme épée de Damoclès au-dessus du camp présidentiel et de ses adversaires rebelles. Cité par l’Agence France Presse, l’ambassadeur d’Allemagne à l’ONU affirme qu’il n’existe pas encore «de liste des personnes qui bloquent le processus… donc cela va prendre un peu de temps et nous espérons bien sûr que pendant ce temps, la mission du président Mbeki sera couronnée de succès».

Ce «délai nécessaire à l’établissement» de la fameuse liste noire constitue de fait une «trêve des confiseurs» accordée aux Ivoiriens visés par les sanctions personnelles. Elle témoigne aussi du souci constant de l’ONU de sous-traiter le dossier ivoirien à l’Union africaine (UA) et au médiateur sud-africain, le président Thabo Mbéki. Officieusement envisagée pour le 10 janvier 2005, l’échéance du nouvel ultimatum coïncide d’ailleurs avec la date du prochain Conseil de paix et de sécurité de l'UA. En attendant, ONU et UA se sont donc entendus sur une pression internationale en forme de menace alors que l’embargo sur les armes a été immédiatement mis en vigueur pour sanctionner la rupture unilatérale du cessez-le-feu par les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci). Pour le reste, et après un mois supplémentaire de réflexion, il sera temps de trancher. Diplomatie oblige.

Gbagbo: «laissez courir les bruits».

Interrogé sur le risque de subir les foudres onusiennes par le quotidien français Le Parisien libéré, le président Gbagbo répondait mercredi: «le rôle des bruits, c’est de courir… le rôle des hommes, c’est d’agir sur les faits. Laissez courir les bruits». Mettre nommément au ban international un chef d’Etat, ce n’est en tout cas pas vraiment au goût sud-africain si l’on en juge par la position de Pretoria vis-à-vis de son voisin zimbabwéen Robert Mugabe. Mais les anciens rebelles des Forces nouvelles (FN) peuvent craindre eux-aussi les manifestations d’équité onusienne. Ils étaient mercredi à Pretoria pour soumettre à Thabo Mbeki leur propre plan de «règlement de la crise», une manière plus ou moins diplomatique de remettre en question celui dont le président sud-africain s’est réclamé à l’issue de sa dernière tournée ivoirienne, début décembre.

Jusqu’à présent, les FN ont refusé de désarmer. Début novembre, l’offensive ratée des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) leur a donné du grain sécuritaire à moudre en plus de leur habituelle revendication politique. «Le négociateur, à la demande des rebelles, veut me faire voter des lois et je le fais. Mais, contrairement à ce que pense la communauté internationale, je ne crois pas qu’ensuite ils déposeront les armes», indique à ce propos Laurent Gbagbo au Parisien Libéré. A la fin de la semaine dernière, il a effectivement accéléré le pas dans la direction exigée par l’ONU en soumettant à l’Assemblée nationale la révision de l’article 35 qui ouvre désormais la lice présidentielle à des candidats «nés de père ou de mère ivoirien», c’est-à-dire en particulier à l’opposant Alassane Ouattara.

L’article 35 révisé a été adopté en commission par les députés du parti du président, le Front populaire ivoirien (FPI) qui a fait ajouter que, conformément à la constitution, ce projet de réforme serait soumis à référendum. Sous la férule du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), le parti du président déchu Henri Konan Bédié, le père de «l’ivoirité», l’opposition a opté pour l’abstention. Elle a en revanche concédé une unanimité rare à l’Assemblée nationale en votant mercredi soir un projet de loi sur la naturalisation. Conformément à l’accord de paix de Marcoussis, ce dernier devrait  permettre de «régler de façon simple et accessible des situations aujourd'hui bloquées» et qui concerneraient quelque 700 000 habitants de Côte d’Ivoire.

L’ONU porte ces «avancées» au crédit de la médiation sud-africaine et justifie ainsi sa patience affichée vis-à-vis des «progrès» attendus en vain en Côte d’Ivoire selon le secrétaire général Kofi Annan. Dans son troisième rapport d’étape daté du 9 décembre, Kofi Annan, note surtout «le manque de progrès réalisés dans l'application des Accords d'Accra III et de Linas-Marcoussis, le lancement d'une opération militaire par les Forces armées nationales de Côte d'Ivoire (Fanci) contre les positions des Forces nouvelles au début de novembre 2004, les troubles violents qui se sont ensuite produits à Abidjan et ailleurs et l'escalade des discours ont fortement ébranlé le processus de paix». Il exhorte les parties ivoiriennes «à rétablir et consolider la sécurité dans les meilleurs délais et à relancer le dialogue» sous l’égide sud-africaine.

France-ONU: des impératifs militaires difficiles à concilier

Plus concrètement, à propos des événements de début novembre, Kofi Annan rappelle que le dispositif de la mission des Nations unies en Côte d’ivoire (Onuci) «était subordonné à l'aptitude de la force Licorne à fournir une réponse rapide lorsque cela est nécessaire». Il ne dit pas si, lors de ces sanglantes turbulences, il a fait appel aux forces françaises chargée d’appuyer le dispositif onusien. Mais il explique l'inertie des casques bleus de l'Onuci par le fait qu'ils n'ont pas pu compter, comme prévu dans le mandat ad hoc, sur les compétences et la logistique française, en matière de réaction rapide. Certes, ajoute Kofi Annan, l’Onuci «a aussi montré les limites de la mission en cas d'émeutes et d'agressions contre certains groupes de civils manifestement préparées, organisées et exécutées dans un climat d'impunité». Mais force est de constater qu’en ce moment crucial de novembre, l’état-major et les troupes de l’opération Licorne étaient indisponibles, accaparés par les «impératifs», à savoir la contre-offensive de «légitime défense» et les évacuations ordonnées par Paris.

Pour donner une capacité d'autonomie à l’Onuci dans les «situations d'urgence», Kofi Annan demande «un bataillon d'infanterie supplémentaire de 850 hommes qui constituerait une réserve, des moyens aériens supplémentaires dont 8 hélicoptères, une unité de 30 personnes équipée d'embarcations légères chargée du déploiement de troupes et du sauvetage de personnel, du personnel supplémentaire (76 personnes) chargé d'assurer la protection rapprochée et une unité de police constituée de 125 personnes afin de renforcer la protection du siège de l'Onuci à Abidjan». Ces moyens sont ils destinés à remplir le mandat initialement confié aux forces françaises ? Quid de la présence militaire française en Côte d’Ivoire ? Pour sa part, le président Gbagbo élude la question sur son éventuel départ. «Je ne l’ai pas encore demandé», répond-il au Parisien Libéré. Le jeu de poker menteur se poursuit.



par Monique  Mas

Article publié le 16/12/2004 Dernière mise à jour le 16/12/2004 à 17:03 TU